Dans l’ombre des conseils d’administration du CAC 40 ou des loges présidentielles de Ligue 1, une génération de dirigeants espagnols trace sa voie au sommet des grandes entreprises françaises. Ingénieurs, stratèges du numérique ou spécialistes de la finance, ils s’imposent avec discrétion dans les arcanes du pouvoir économique hexagonal. Petit tour d’horizon.


En 2021, selon l’Insee, plus de 2,2 millions de personnes étaient employées en France par des entreprises à capitaux étrangers. Parmi elles, les firmes espagnoles représentaient 64.300 emplois, un chiffre modeste mais révélateur d’un tissu économique transfrontalier bien vivant.
Les talents, eux aussi, circulent : nombreux sont les cadres ibériques à avoir été formés dans les meilleures écoles espagnoles – IESE, ESADE, Universidad Politécnica de Madrid – avant de poursuivre leur carrière à Paris, Lille ou Lyon. En toile de fond : la proximité linguistique et culturelle, un marché du travail européen unifié, et un goût pour la prise de décision et le sens de l’effort.
Les talents espagnols au cœur du pouvoir économique français
Barbara Martin Coppola en est l’exemple le plus emblématique. Née en 1976, cette ingénieure franco-espagnole, passée par Télécom Paris et l’Université polytechnique de Madrid, a fait ses armes chez Google et Ikea avant de devenir, en 2022, la première femme à diriger Decathlon. En trois ans, elle aura insufflé à la marque nordiste un virage numérique assumé, porté la durabilité au cœur de la stratégie, et ouvert davantage l’horizon à l’international. Partie en mars 2025, elle laisse derrière elle un groupe profondément transformé.
Dans un tout autre registre, Pablo Longoria, 38 ans, autodidacte et polyglotte, a pris la présidence de l’OM en 2021. Loin des figures traditionnelles du foot français, ce stratège des datas passé par l’Italie a modernisé la gouvernance du club, professionnalisé les structures, et apporté une touche de rigueur… et de transparence. Son style tranche, mais les résultats parlent : un OM plus stable, plus compétitif, et plus clair sur ses ambitions européennes.

Le secteur de la tech et des services financiers n’est pas en reste. Ramón Luis Pérez Blanco, ingénieur en télécommunications diplômé de l’Universidad Politécnica de Madrid et de l’IESE, est depuis janvier 2025 Executive Vice President et Managing Director chez Capgemini Espagne.

À la tête de la division Services Financiers, il pilote les relations avec les grandes banques et compagnies d’assurance en Europe. Sa trajectoire, jalonnée de postes stratégiques en cybersécurité et cloud, témoigne du rôle central des experts espagnols dans la transformation numérique des entreprises françaises. Il est aussi co-président de la Commission Innovation de la Chambre de commerce franco-espagnole.
Autre figure de proue de cette cartographie franco-espagnole du pouvoir : Enrique Martínez, à la tête de Fnac Darty depuis 2017. Né à Valencia, diplômé de l’ESIC University et de l’IESE Business School, il a rejoint la Fnac à la fin des années 1990 avant d’en gravir les échelons, entre Madrid, Lisbonne et Paris.
D’abord directeur de la filiale portugaise, puis du pôle Iberia, il s’impose à la direction générale du groupe au moment de la fusion avec Darty. Sous sa houlette, l’enseigne renforce sa stratégie omnicanale, développe de nouveaux services et absorbe Nature & Découvertes. Discret mais déterminé, Martínez incarne cette génération de dirigeants venus du sud, à l’aise avec les équilibres européens et les logiques d’adaptation permanente.
Top 5 des écoles espagnoles les plus représentées dans les entreprises françaises : IESE Business School (Barcelone) : l’une des meilleures d’Europe, adossée à Harvard, très présente chez L’Oréal, Decathlon ou Capgemini ; IE Business School (Madrid) : réputée pour son innovation et son rayonnement international ; ESADE (Barcelone) : école de commerce historique, fortement implantée dans les secteurs du conseil et du luxe ; ICADE – Universidad Pontificia Comillas (Madrid) : formation très cotée en droit et business, avec de nombreux liens franco-espagnols ; UC3M – Universidad Carlos III (Madrid) : université publique d’élite, appréciée pour ses cursus en ingénierie et économie.
Le luxe, secteur-clé de l’identité économique française, n’est pas en reste. Avec plus de 25 ans d'expérience à la tête de LVMH Iberia et des Parfums Loewe, Juan Pedro Abeniacar orchestre depuis la capitale espagnole les opérations du géant français du luxe dans la péninsule. Parfums, maroquinerie, art de vivre… Cette figure bien connue du secteur reflète la finesse d’une diplomatie économique où le style est aussi affaire de gouvernance. En coulisses, son rôle contribue à tisser des ponts entre les deux rives des Pyrénées.

Même logique d’interconnexion dans la tech, où Bienvenido Espinosa Cano dirige la filiale espagnole du groupe Berger-Levrault, éditeur français de logiciels destinés aux collectivités et aux services publics.

Ingénieur en télécommunications, basé lui aussi à Madrid, il pilote le développement du groupe sur le marché ibérique. Une manière concrète d’illustrer la coopération franco-espagnole à l’ère numérique, dans un secteur en quête de souveraineté technologique autant que de proximité locale.
Entrepreneurs français en Espagne : les talents à suivre de près en 2025
L’Europe en action
Ils s’appellent Pablo, Enrique, Barbara ou Ramón, et incarnent une nouvelle manière de faire circuler les idées… autant que les responsabilités. Qu’ils dirigent depuis les tours de La Défense, les open spaces de Madrid ou les salons feutrés du Paseo de Gracia, ces cadres espagnols sont les artisans du rapprochement entre la France et l’Espagne.
Car ce ne sont plus seulement les capitaux ni les sièges sociaux qui franchissent les Pyrénées, mais les têtes bien faites. Une élite mobile, polyglotte, rompue aux passerelles culturelles et aux stratégies transfrontalières.
À sa suite, ce sont les écosystèmes français et espagnols qui se mêlent, s’enrichissent, s’alignent. Les marques dialoguent, les talents circulent, les visions s’accordent. Et dans les bureaux parisiens, (presque) plus personne ne s’étonne d’entendre un "vamos" ponctuer une réunion de pilotage !
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