Le 29 septembre dernier avait lieu la 2e journée internationale antigaspi. lepetitjournal.com en a profité pour parler avec plusieurs Français, souvent pionniers en Espagne, et qui ont longtemps prêché dans le désert pour que leur projet voit le jour. Ils travaillent dans tous les secteurs de l’économie, et ont depuis fait des émules. Ils nous racontent leur expérience et parlent du futur.
Chaque année, selon Greenpeace, 12 millions de tonnes de plastique, soit l'équivalent du poids de 1.200 tours Eiffel, atteignent la mer. Or, le plastique n'est jamais détruit, mais il est brisé en minuscules morceaux qui entrent ensuite dans la chaîne alimentaire. En fait, on a déjà trouvé des microplastiques dans le sel, l'eau en bouteille et l'intestin humain lui-même.
Marion de Sinplástico: "Les gens nous traitaient de fous"
De ce constat, et de la rencontre de Marion, une militante écologiste qui souhaite améliorer le monde et de Javier, un père préoccupé par les dangers du plastique sur la santé de ses filles, est né il y a bientôt dix ans Sinplástico. "Nous voulions mener un véritable combat contre le plastique –raconte Marion de La Porte, co-fondatrice de Sinplástico- pour faire prendre conscience à la société de ce que ce matériau faisait à la planète et à ses habitants. Au début, tout le monde pensait que nous étions devenus fous. Ça n’a pas été facile, mais on a persévéré".
Et c’est ainsi qu’en 2014, Marion crée en Espagne avec son associé la première boutique en ligne de produits sans plastique. "A l’époque -se souvient Marion- il n’y en avait nulle part, juste un peu au Canada et en France. A partir de 2016, les gens ont commencé à prendre conscience des dangers du plastique et le débat est arrivé dans la rue et dans les médias. Comme nous étions les pionniers et référents, nous avons alors fait beaucoup de télévision, et nous avons connu une croissance à deux chiffres".
Toujours se réinventer
Ils sont maintenant de plus en plus nombreux sur le marché à offrir des produits socialement et écologiquement responsables à un prix équitable, ce qui est une bonne nouvelle en soi. "La concurrence est féroce –explique Marion- et certaines boutiques en ligne disparaissent. Il est donc important de toujours se réinventer. Nous avons ainsi commencé à ouvrir une structure comme grossiste pour d’autres magasins en ligne. Nous sommes aussi une entreprise avec beaucoup d’activités autour. Nous faisons par exemple des ateliers dans les écoles, les entreprise, de la formation en ligne et nous allons lancer des podcasts. Maintenant, tout le monde vend des brosses à dents en bois, et il faut donc apporter une valeur ajoutée. C’est une perpétuelle mutation". Et comme cette Française n’arrête jamais, elle a d’ailleurs commencé à développer son entreprise en France.
Barbara Chaplain de wezero : "On cherche la commodité"
Barbara Chaplain est une autre entrepreneuse engagée en faveur de l'environnement. Sa démarche est similaire à celle de Marion mais sa boutique inclut les produits alimentaires. "C’est surtout le plastique qui me tient le plus à cœur -affirme-t-elle avec ferveur- car si on ne réduit pas maintenant, ce sera irréparable. Comme consommatrice, cela faisait des années que je faisais mes courses en vrac et aujourd'hui encore, il est difficile de les faire sans plastique. Je devais me rendre dans plusieurs magasins, dans différents quartiers, parfois éloignés. Il fallait beaucoup d’organisation, sans compter le temps perdu à ensuite tout transvaser à la maison. Bref, il y a le facteur temps, on cherche la commodité. Donc pour que le mouvement zéro plastique avance, il faut que ce soit pratique, sinon les gens ne le feront pas".
En mai dernier, Barbara lance ainsi à Barcelone wezero, qui livre en moins de 6 heures en emballages consignés ou biodégradables, sur des scooters électriques, sans empreinte carbone, et se charge de récupérer l'emballage à la prochaine livraison, afin que le client n'ait pas à s'en soucier. Les prix restent raisonnables car, pour Barbara, la consommation sans plastique doit rester à la portée de tous.
Je suis la 1ère cliente de wezero
"En France -explique Barbara- il y a beaucoup plus de sites de ce genre et le système des consignes marchent bien. Ici, nous sommes le seul magasin alimentaire et non alimentaire. Il reste encore beaucoup d’éducation à faire en Espagne, mais depuis que j’ai lancé le site web en mai, j’ai de bons retours. C’est le bouche-à-oreille qui marche le mieux. Je suis moi-même la première cliente de wezéro ! Je recherche à étendre ma gamme de produits et je les essaye". Prochaine étape, d’autres villes d’Espagne.
Alexis de rzilient "Lutter contre l'empreinte numérique des entreprises"
Le numérique fait maintenant partie de nos vies et est même devenu un acteur indispensable lors du confinement. Cependant de plus en plus de voix dénoncent ses effets sur les émissions de gaz à effet de serre et l’épuisement des ressources. Selon l'Institut français du Numérique Responsable, l'utilisation des TIC génère une "pollution numérique" lors de toutes les étapes du cycle de vie du matériel informatique.
Impacts environnementaux du numérique
Dans un rapport publié en 2018 par le think tank The shif project, le numérique génèrerait aujourd'hui plus de gaz à effet de serre que le secteur de l'aviation. Or, comme le montre une récente étude publiée cette année en France sur les impacts environnementaux du numérique en France, la fabrication du secteur concentre 83% des émissions de GES, 88% de la consommation d'eau et plus généralement 100% de la contribution à l'épuisement des ressources naturelles.
Quand on sait qu’un Français jette chaque année pas moins de 20 kg de déchets d’équipements électriques et électroniques, dont environ 3 kg de déchets numériques, il est clair qu’il était urgent d’agir. Mais comment optimiser les outils numériques pour limiter leur impact et consommation ? Alexis Valero, co-fondateur de rzilient nous l’explique. "Dans un contexte d'urgence climatique, réduire l’empreinte environnementale des entreprises et préserver les ressources naturelles est non seulement nécessaire, mais sera demain obligatoire. Nous avons créé rzilient avec la volonté de lutter contre cette empreinte numérique des entreprises, tant online que offline. Au regard du grand nombre d'équipements professionnels neufs mis sur le marché chaque année, mais aussi des différentes frictions inhérentes aux usages informatiques, les effets négatifs d'une gestion de flotte non-responsable sont diverses et toujours plus néfastes pour notre environnement".
Allonger la durée de vie des équipements
Il est donc indispensable d’allonger la durée de vie des équipements. Le reconditionnement permet ainsi de lutter contre l’obsolescence programmée et une surconsommation galopante. En 30 ans, la durée de vie électronique des équipements informatiques a été divisée par 3, avec une difficulté grandissante à réparer, mettre à jour les logiciels ou changer les batteries. Or, remettre à neuf un matériel déjà produit et utilisé permet d'économiser 50 à 350 fois son poids en matières nécessaires à sa fabrication. Une des clés est donc le matériel reconditionné.
Mais rzilient, c’est bien plus que cela. "D’autres boîtes offrent aussi le reconditionnement –raconte Alexis. rzilient apporte une solution pragmatique, que ce soit sur le matériel reconditionné mais aussi sur le service informatique. L’objectif est d’allonger l'ensemble des processus clés, attenant à ce qu'implique gérer une flotte informatique. Nous déployons aujourd'hui nos solutions intégrées à travers une seule et unique plateforme".
Espagnols, plus regardants sur les budgets
Lancée simultanément en France et en Espagne l’an dernier, rzilient offre déjà ses solutions clé-en-main à plus d’une centaine d’entreprises et leur objectif est de continuer de se développer en Europe et, pourquoi pas dans le monde ! En ce qui concerne le marché espagnol, Alexis pensent que "les entreprises espagnoles, peut-être encore plus que les entreprises françaises, souhaitent trouver des réponses qui soient plus pragmatiques et les amènent vers des solutions écoresponsables. En plus, ici les Espagnols sont plus regardants sur les budgets".
Jean-Baptiste, Phenix "C’est vraiment dans l’air du temps"
Cette différence culturelle est également citée para Jean-Baptiste Boubault, country manager de l’application antigaspillage Phenix. "La différence entre la France et l’Espagne –affirme-t-il- c’est qu’en France, il y a deux motifs pour lesquels les usagers utilisent notre appli : en premier, faire un geste contre le gaspillage et en numéro deux, pour le prix. Alors qu’en Espagne, les gens font d’abord ça pour le prix et ensuite pour le geste écologique. Cela montre la différence culturelle".
Une loi antigasti en Espagne pour 2022
Mais ces sujets prennent de plus en plus d’ampleur, surtout lorsqu’on sait qu’un tiers des aliments produits le sont pour rien et seront jetés. Outre les objectifs au niveau européen, l’État espagnol est actuellement en train de préparer une loi anti gaspillage qui devrait sortir en 2022. En France cette loi existe depuis 2016.
Lancée en France en janvier 2014, Phenix était au départ une application destinée aux distributeurs (supermarchés, commerces de proximité, restaurants, etcétera), pour mieux gérer leurs stocks, détecter les produits invendus ou bientôt périmés et pouvoir ainsi les donner à quelques 1.500 banques alimentaires et autres associations caritatives. Mais Phenix a voulu aller encore plus loin. Maintenant, l’application touche également le consommateur final, qui peut ainsi lutter contre le gaspillage en achetant à moindre prix les surplus alimentaires des magasins qui sont près de chez lui.
Objectif zéro déchet
"Il y a une prise de conscience majeure dans la société -affirme Jean-Baptiste- mais il faut dire aussi que l’antigaspillage est aidé par le fait qu’il y a des avantages fiscaux" -qui sont de 60 % en France et de 35 à 40 % en Espagne, sur la valeur du produit. "Nous avons actuellement 2,5 millions d’utilisateurs particuliers. En Espagne, l’application Phenix a été lancée en décembre 2019 et s’est déjà consolidée dans sept villes espagnoles (Madrid, Barcelone, Séville, Valence, Bilbao, Alicante et Palma), et notre objectif est de de nous étendre à plus de villes espagnoles et dans toute l'Europe. Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille, et en plus la presse s’intéresse de plus en plus à ces sujets, c’est vraiment dans l’air du temps". Selon Phenix, 44 millions de rations ont ainsi été économisées en 2020 et 120.000 rations alimentaires, sauvées chaque jour.
Bertrand, El CoCo : une app française choisie par Masterchef
Un autre Français, Bertrand Amaraggi, a lancé en Espagne une application très originale. "El CoCo -explique-t-il- fait référence au 'COnsumidor COnsciente' (Consommateur Conscient). Après 15 ans dans le e-commerce, j’ai été le premier à lancer ce concept en 2019, et ça a tout de suite bien pris. Malgré un budget très limité, pas de publicité, c’est le bouche-à-oreille qui a marché et en un an et demi, j’avais plus de 700.000 téléchargements".
Mais qu’est-ce que El CoCo ? Il ne s’agit pas de cette créature effroyable présente dans la tradition espagnole, qui serait là pour manger les enfants s’ils ne s’endorment pas ! El CoCo est une application qui vise à encourager une consommation plus consciente. "Nos utilisateurs veulent connaître l'impact des aliments –précise Bertrand- non seulement sur leur propre santé mais aussi sur celle de la planète. Ainsi, le café, la viande ou le chocolat font partie des aliments qui ont le plus d'impact sur le changement climatique mondial. Mais certains types de café, de viandes ou de chocolats ont un impact bien moindre que d'autres. Il ne s’agit donc pas d’arrêter d’en manger, mais d’apprendre à les reconnaître et à faire prévaloir la qualité sur la quantité".
Et comme les enfants sont les consommateurs de demain, El CoCo a été choisi par le programme de télévision Masterchef Junior. "Lorsqu’il nous ont appelé -se souvient Bertrand- on pensait que c’était une blague ou une arnaque. Master chef voulait un outil pour aider les enfants, ils ont fait leur recherche et ils nous ont sélectionné comme étant le meilleur outil pour manger sainement".
Depuis, l’application a encore évolué et cherche à être une sorte d’assistant personnel pour une vie plus saine et écoresponsable avec, par exemple, le lancement d’une fonctionnalité anti gaspillage alimentaire pour apprendre à bien utiliser ce qu’on a dans le frigidaire, faire des recettes, ou encore un programme de coaching nutritionnel, mélangeant nutrition et psychologie, puisque, d’après les nutritionnistes, 96% des gens qui perdent du poids finissent par en reprendre.
Julien, Geovelo : "Notre ambition pour l’Espagne est vraiment très importante"
Dans le secteur de la mobilité, on pense immédiatement à l’application française Blablacar, qui est arrivée en Espagne il y a déjà dix ans. Mais le vélo aussi arrive en force en Espagne, avec l’application Geovelo, qui est devenu au cours des années un acteur incontournable du déplacement "Bas-Carbone".
"L’Espagne est un pays où le développement du vélo est très important -affirme Julien de Labaca, consultant et en charge du développement de l’entreprise Geovelo en Espagne. Que ce soit à Barcelone, Valence, Séville ou encore Bilbao, par exemple, la dynamique cyclable est réellement présente. Cela signifie que les infrastructures cyclables se développent, les services vélo aussi (bike sharing notamment), mais bien souvent, il n’existe pas de solutions de guidage, d’autant plus en temps réel. Nous avions déjà eu une première expérience en Suisse. Mais notre ambition pour l’Espagne est vraiment très importante".
Mais quelle différence avec les nombreuses solutions qui existent déjà pour aider le cycliste à se repérer ? "Le produit Geovelo a été créé en France il y a 10 ans –rappelle Julien- ce qui a permis à l’entreprise d’éprouver son algorithme, et d’être devenue une experte des données vélo. C’est aussi une très grande différence avec pas mal de startups, créées ces 5 dernières années, avec des technologies beaucoup moins matures. Des applications gratuites, qui permettent du guidage en temps réel (comme Waze pour les voitures), en door-to-door, et en utilisant un algorithme et des données uniquement cyclables (à la différence par exemple d’un Google Maps), il n’en existe pas". Geovelo a d’ailleurs reçu en 2019 le Prix Gold de la part de l’European Start up Prize.
Un énorme potentiel en Espagne
La pandémie a retardé l’arrivée de Geovelo en Espagne, mais l’entreprise a déjà signé deux pilotes et plusieurs autres projets sont en cours. "Le COVID a eu deux effets –explique le responsable du développement en Espagne. Il a révélé les lacunes de certains territoires en matière de mobilité cyclable, et il a accéléré les dynamiques déjà engagées dans d’autres. Au final, nous avons un potentiel énorme dans tous les cas, car nous pouvons accompagner les territoires les moins matures, et 'augmenter' les autres, en les aidant à aller plus vite, plus loin. L’engouement pour le vélo n’est pas spécifique à l’Espagne, bien sûr, mais notre ambition ici est très forte".
Olivier, KIMPA : investissement à impact social
Mais l’inquiétude pour notre planète n’est pas l’apanage d’un seul secteur de la société. Elle se reflète également dans la nouvelle tendance des investisseurs qui, eux aussi, veulent contribuer au développement durable. Apparu pour la première fois aux États-Unis en 2007, l’impact investing - l’investissement à impact social- a progressé de façon exponentielle au cours de la dernière décennie. C’est un Français, Olivier Rieu, qui a décidé il y a deux ans d’introduire en Espagne ce concept.
Comme il nous l’a expliqué, l’impact investing doit son succès au fait que non seulement il répond à des problématiques sociales, sociétales et environnementales actuelles, mais aussi à son rendement financier très attractif qui dépasse souvent les attentes des investisseurs. C’est ainsi que KIMPA, le "Family Office 100% Impact" est né de l'ambition d'accompagner les entreprises familiales et des familles fortunées, principalement basées en France et en Espagne, qui veulent contribuer à un monde durable en déployant leurs capitaux vers des projets qui soient en ligne avec leurs valeurs et à fort impact pour la planète.