Il est des noms que les événements imposent. Ils les marquent, les déforment et font presque oublier ce qu’il y a derrière. C’est le cas de la rue Nuñez de Balboa, nichée dans le quartier cossu de Salamanca, à Madrid.
Depuis deux semaines, Nuñez de Balboa, dans la presse, chez les observateurs politiques et pour la population, est synonyme de casseroles, de drapeaux, de grognes contre la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement Sanchez. La rue en question est le foyer de la résistance pour les uns, l’antre des irresponsables pour les autres.
Mais le nom de Nuñez de Balboa, revigoré ces derniers temps, a été célèbre en d’autres temps, en d’autres lieux. Explorateur, aventurier et conquistador de l’époque des Grandes Découvertes, le personnage a eu une existence fascinante.
Le jeune hildalgo en quête du Nouveau Monde
Vasco Nuñez de Balboa voit le jour en Estrémadure dans une famille noble mais pauvre d’origine galicienne. Nous sommes en 1475, sous le règne des Rois Catholiques, Isabelle et Ferdinand. La péninsule Ibérique compte encore en son sein le royaume musulman de Grenade et Christophe Colomb n’a pas encore entrepris son voyage vers les "Indes".
Toutefois, c’est bien ce dernier événement qui va encourager, à la suite du Génois, bon nombre d’aventuriers qui ont un profil similaire. Ces hommes ont peu de chance de progresser socialement dans la Péninsule, de s’y enrichir et se disent qu’ils ont tout à gagner en partant pour le Nouveau Monde. L’Estrémadure de cette époque est ainsi une terre de conquistadores en devenir : Nuñez de Balboa donc, mais aussi Cortès et Pizzaro.
Ainsi, âgé d’environ vingt cinq ans, Nuñez de Balboa embarque dans le cadre d’une expédition du navigateur Rodrigo de Bastidas en direction de ce Nouveau Monde qui cristallise les ambitions. Le bateau atteint les Caraïbes, les "Indes" comme on dit alors, et Nuñez se fixe quelques années sur l’île d’Hispaniola (actuellement la République dominicaine et Haïti). Là, il achète un lopin de terre et se lance dans l’agriculture. Hélas, le temps des îles est capricieux et les profits attendus tardent à venir. Au contraire, il accumule des dettes et n’a finalement d’autres choix que de fuir ses créanciers en prenant à nouveau la mer.
Nuñez embarque alors clandestinement sur la caravelle de Fernández de Enciso chargé d’aller porter secours à des compatriotes installés en terres indigènes qui ont toutes les peines du monde à se maintenir. En découvrant l’intrus à bord, l’intention d’Enciso est alors de le déposer sur une île déserte mais Nuñez, qui dispose d’une solide expérience de la zone, le convainc de la garder auprès de lui.
L’expédition accoste dans l’actuelle Colombie et la ville de Santa María la Antigua del Darién est fondée. Baptisée du nom de la Vierge de Séville, il s’agit de la première ville construite par les Européens dans la région. Il s’agit d’une victoire de plus pour la Couronne.
Malgré tout, les rivalités entre conquistadores étant une constante, elles ne tardent pas à envenimer la situation à Santa María. Nuñez de Balboa, populaire auprès des hommes de l’expédition, parvient à se faire élire maire de la ville à la place d’Enciso. Ce dernier, qui avait pris Nuñez sous son aile, est jeté en prison.
La découverte du Pacifique
Nous sommes alors au début des années 1510 et c’est véritablement à cette période que Nuñez de Balboa, débarrassé temporairement de ses rivaux, devient l’explorateur et conquistador qui passera à la postérité.
Nouant des alliances avec des tribus indigènes, en soumettant brutalement d’autres, Nuñez progresse dans l’actuel isthme de Panama à la recherche d’or et d’esclaves. Il alterne ainsi, à l’encontre des autochtones, la force brutale avec la diplomatie. S’il est certain que l’appât du gain faisait qu’on était peu regardant sur la méthode, il fallait parfois recourir à la carotte plutôt qu’au bâton ; ne serait-ce que pour préserver les troupes en terre inconnue.
Un bon exemple nous est donné quand Nuñez de Balboa défait la tribu de Careta. Au lieu d’une relance des hostilités qui auraient été dommageable aux deux camps, un "juste milieu" est trouvé par la négociation : la tribu vaincue assurera l’alimentation des Ibériques tandis ceux-ci fourniront du fer aux locaux. Pour sceller l’alliance avec le chef, qui s’est d’ailleurs converti au catholicisme, Nuñez épouse une de ses proches parentes.
C’est d’ailleurs au contact des indigènes que le conquistador entend parler d’une mer "au-delà des montagnes". Guidé par ceux-ci dans la jungle panaméenne et appuyé par moins de deux cents Espagnols, Nuñez de Balboa atteint une cordillère offrant un point de vue imprenable. De là, il aperçoit une vaste étendue d’eau. Nous sommes en septembre 1513 et l’explorateur la baptise "Mer du Sud". Quelques années plus tard, Magellan la renommera "Pacifique".
L’impitoyable rivalité entre conquistadores
Auréolé de gloire, Nuñez de Balboa ne se presse pas pour rentrer à Santa María et passe plusieurs mois à accumuler or et perles dans l’isthme de Panama. Sa situation n’est pas sans créer certaines jalousies ajoutée à d’anciennes rancœurs. Alors qu’il était de facto la plus haute autorité sur les régions nouvellement conquises, Nuñez doit se soumettre au nouveau gouverneur, Pedrarias Davila.
Les relations entre les deux hommes sont détestables et le mariage (encore un !) de Nuñez avec une des filles de Davila n’y changera pas grand-chose. Le gouverneur n’a pas l’intention de faciliter la tâche de ce remuant conquistador qui ne rêve que de continuer l’exploration de la "Mer du Sud".
C’est dans cette entreprise, finalement accordée en apparence par Pedrarias Davila, que Nuñez est capturé par Pizarro, un fidèle du gouverneur et futur conquérant de l’Empire Inca. Nuñez de Balboa, est jugée sommairement, condamné à mort pour trahison envers Davila et exécuté le 15 janvier 1519.
Postérité
Si Nuñez de Balboa n’est certainement pas le plus connu des conquistadores, son nom est toutefois loin d’être oublié.
De l’autre côté de l’Atlantique, et surtout au Panama actuel, Nuñez fait presque office de père fondateur. Parcs et rues ont été baptisés en son honneur ainsi que la monnaie nationale. Le balboa est en circulation depuis le début du XXe siècle.
En comparaison, l’empreinte du découvreur du Pacifique est plus modeste en Espagne. Ce qui n’empêcha pas sa région d’origine, l’Estrémadure, de lui rendre hommage en 2013 pour célébrer les 500 ans du repérage de la "Mer du Sud". Enfin, à Madrid, un arrêt de métro porte son nom ainsi que la rue qui fait l’actualité ces derniers temps.