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Pétain: quand le maréchal était ambassadeur de France en Espagne

Philippe Pétain espagnePhilippe Pétain espagne
Philippe Pétain photographié par Henri Manuel (domaine public)
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 17 février 2020, mis à jour le 17 février 2020

Françaises, Français ! Vous qui êtes en Espagne depuis peu ou depuis des années. Vous qui comptez y rester le temps d’un échange universitaire ou bien pour la vie. Vous qui y travaillez, étudiez ou voyagez. Sachez que vous êtes le fruit d’une longue histoire. Vous n’êtes certes pas les derniers mais surtout pas les premiers à tenter l’aventure au-delà des Pyrénées. 

 


Cette semaine nous nous intéressons à la période espagnole du maréchal Pétain. C’est un fait peu connu mais celui qui fut et le "héros de Verdun" et le chef de la France collaboratrice fut aussi ambassadeur de France en Espagne. Son rôle de représentant de la République dans l’Espagne du général Franco dura un peu plus d’un an, juste avant la seconde Guerre Mondiale. 


Un ambassadeur de prestige

La figure du maréchal Pétain est aujourd’hui indissociable de celle du dirigeant de la France qui collabora avec Adolf Hitler et participa aux horreurs du  Troisième Reich. 

Toutefois, il convient de ne pas avoir une lecture téléologique de l’Histoire et de ne pas commettre d’anachronismes. Au début de l’année 1939, le maréchal Philippe Pétain est une personnalité très respectée. Il est "le héros de Verdun" ; en référence à son important rôle dans cette bataille décisive de la première Guerre Mondiale contre l’Empire allemand. Pour avoir une idée de sa réputation d’alors, on peut citer le mot de Léon Blum : le maréchal Pétain est "le plus noble, le plus humain de nos chefs militaires". 


Un accueil froid de la part de l’Etat franquiste

Les nationalistes du général Franco ont gagné la sanglante Guerre Civile espagnole (1936-1939). Toutefois, pour que l’Etat franquiste naissant puisse perdurer, il a cruellement besoin d’une reconnaissance internationale et a fortiori de celle de son voisin direct, la France. 
C’est chose faite fin février 1939 quand la IIIème République reconnait le "Caudillo" comme l’autorité officielle au-delà des Pyrénées. Le président du Conseil de l’époque, le radical Edouard Daladier, nomme Philippe Pétain à l’ambassade de France en Espagne. Il s’agit d’un poste prestigieux mais complexe car les relations entre la République française et les franquistes ne sont pas des meilleures. Il ne faut pas oublier, en effet, que la France espérait davantage une victoire du camp républicain espagnol. 

Ainsi, en mars, Philippe Pétain, 82 ans,  est reçu de manière glaciale par le ministre de l’Intérieur de Franco à qui il remet ses lettres de créance. Cet accueil marquera durablement les relations entre le maréchal et l’Espagne du "Caudillo" même si par la suite, pour des raisons de propagande, on vantera leur bonne entente. 

petain espagne
Philippe Pétain, ambassadeur de France en Espagne (image tirée du domaine public)


Une mission : la neutralité de l’Espagne

Nous sommes alors au bord de la guerre et la montée des tensions est palpable. 

Philippe Pétain se voit charger par Daladier d’une mission très délicate : obtenir la neutralité de l’Espagne franquiste dans la guerre qui vient. En somme, ne pas faire basculer le pays dans une alliance avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. 

Pour ce faire, Pétain s’entoure de jeunes professionnels de la diplomatie, bons connaisseurs de l’Espagne et familiers de l’élite franquiste. Par ailleurs, le maréchal sait qu’il doit redorer l’image de la France, particulièrement mauvaise dans une presse nationaliste qui ne pardonne pas à la République d’avoir soutenus les « rouges ». Pétain va alors user de son aura personnelle qui est, rappelons-le, très forte en 1939. 

Cependant la victoire définitive de Franco après la prise de Madrid, en avril, complique les affaires du maréchal. Le "Caudillo" se sait en position de force dans la Péninsule mais aussi au Maroc où les rapports entre Français et Espagnols sont tendus. La mission de Pétain semble dans une impasse. 
Toutefois, à force de persuasion, et devant l’inflexibilité de Franco, le maréchal parvient à convaincre le président Daladier de la nécessité de donner au "Caudillo" ce qu’il demande en vertus des accords de février reconnaissant l’Etat franquiste. La question la plus épineuse est celle de l’or espagnol stocké en France. Il est finalement rendu à l’Espagne en juin. 


En bon voisinage ? 

Pétain et Franco se rencontrent en août de cette année 1939. Arguant du fait que la France a accompli ses promesses des accords de février, l’ambassadeur veut s’assurer officiellement que de bonnes relations de voisinages, y compris militaires, vont s’établir à présent.  
Encore une fois, le "Caudillo" louvoie et fait savoir que, même s’il désire avoir de bonnes relations avec son voisin, la France doit encore faire des efforts pour tenir ses engagements. Il exige, par exemple, que cessent, sans délai, les activités des républicains espagnols réfugiés de l’autre côté des Pyrénées. 


La victoire de Pétain ? 

Le 4 septembre 1939, le général Franco fait savoir, via une déclaration officielle, que l’Espagne resterait neutre. Faut-il y voir la récompense des efforts du maréchal Pétain lors de son ambassade ? 

Selon les historiens, l’influence de Pétain dans cette décision est négligeable. Franco aurait surtout fait le calcul et se serait rendu compte que le pays était exsangue, ruiné par la guerre civile et donc incapable de participer à une guerre. 

Malgré tout, la normalisation des relations franco-espagnoles s’engage et un accord commercial entre les deux pays est même signé en janvier 1940. Mais cela reste instable et le contexte reste tendu. Les doléances de Franco se maintiennent concernant la nécessité de neutraliser les réfugiés républicains et la situation au Maroc ne semble pas réglée non plus. 

La politique de concessions mise en place par le maréchal Pétain eut donc des résultats médiocres où la France fut presque en permanence en position de faiblesse vis-à-vis d’interlocuteurs espagnols instables et exigeants. Cette politique devait s’accélérer au printemps 1940 avant que l’avancée des troupes allemandes dans l’Est de la France ne rappelle Pétain à Paris. 

En conclusion, selon l’historien Michel Catala, si l’ambassade de Pétain en Espagne fut très peu avantageuse pour la France, elle conforta la personne du maréchal capable d’influencer les plus hautes sphères du pouvoir français et renforça son autorité.