Al-Andalus. Nom mystérieux qui rappelle des temps reculés mais pas oubliés. Une époque où le croissant dominait une vaste partie du pays que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire de l’Espagne musulmane, qui court de 711 à 1492, a toujours fasciné et divisé. A travers cette série que nous lui consacrons, nous tâcherons de vous faire revivre ces siècles de découvertes, de cohabitations mais aussi de guerres et de paradoxes.
Lors du précédent article, nous avions laissé Al-Andalus aux mains d’Abd-al-Rahman III qui, au Xe siècle, avait fait de l’émirat de la péninsule Ibérique un califat indépendant de l’Orient. Ainsi, l’Omeyade était devenu le chef politique et religieux exclusif d’al-Andalous. Le règne fut particulièrement brillant à bien des égards : recentralisation politique, cohabitation entre Juifs, Chrétiens et Musulmans, avancées scientifiques et culturelles majeures et commerce florissant.
Toutefois, et comme seuls les diamants sont éternels, le califat omeyade entra dans une phase de troubles très importants au siècle suivant. La lumière d’Al-Andalus commencera à se ternir avant d’être cachée par les nuages de la discorde.
Une apogée et une fin
A la mort d’Abd-al-Rahman III, la situation semble pourtant idéale. Son fils, le calife al-Hakam II poursuit l’œuvre de son fondateur de père : Al-Andalus atteint alors son apogée. Il tient son califat et le protège contre les menaces extérieures venant des royaumes chrétiens du nord, du Maghreb ou encore des raids lancés par les vikings.
Pour tout dire, le principal point noir du règne d’al-Hakam II est sa fin. En effet, son califat dure une quinzaine d’années à l’issue desquels il meurt en laissant un héritier mineur. Son fils, connu sous le nom d’Hisham II est extrêmement jeune quand il lui succède. Il va sans dire que la jeunesse du nouveau calife est une aubaine pour les plus ambitieux d’Al-Andalus au premier rang desquels un certain Al-Mansour.
Calife à la place du calife
Al-Mansour (il s’agit d’un surnom signifiant "le Victorieux") est vizir au palais des califes d’Al-Andalus. Pour faire simple, les vizirs sont des conseillers de haut rang qui peuvent avoir différents domaines de compétence. Al-Mansour, lui, se spécialise rapidement dans le militaire. C’est en outre un homme très pieux qui entend faire du conflit contre les royaumes chrétiens du nord une "guerre sainte".
A force d’intrigues et de stratégies astucieuses, le vizir écarte du pouvoir réel le jeune calife Hisham II afin d’assurer lui-même la direction des affaires d’Al-Andalus. Cette lutte intestine au sommet de l’Etat porte en elle le germe de la guerre civile qui éclatera bientôt.
On retient surtout d’Al-Mansour une politique très agressive aux frontières avec les royaumes chrétiens. Le vizir conquiert, entres autres, Salamanque et Coïmbre. De plus, il pille Barcelone et surtout Saint-Jacques de Compostelle. Cette dernière attaque a un impact symbolique considérable et donnera un souffle décuplé aux rois chrétiens qui commencent la "Reconquista".
La guerre civile
Après plusieurs décennies de règne officieux, Al-Mansour meurt au tout début du XIe siècle. Le vizir, pendant ses années au plus haut sommet de l’Etat, a fortement compromis la cohésion religieuse d’Al-Andalus mais aussi ses fondements multiethniques. Al-Mansour a notamment favorisé les Berbères enrôlés dans ses armées à l’assaut des villes chrétiennes.
De plus, les sujets en général et les habitants de la puissante ville de Cordoue en particulier, voient d’un très mauvais œil ce qu’on ne peut nommer autrement qu’une usurpation du pouvoir califal si ce n’est la volonté à peine masquée de mettre en place une dynastie parallèle à celle des Omeyades.
La crainte de la population est justifiée car c’est le fils d’Al-Mansour, Al-Muzaffar, qui, à son tour, exerce la réalité du pouvoir. A la mort de ce dernier, dont le règne est fort bref, éclate la guerre civile entre Arabes, Berbères, fidèles au vizir ou loyaux aux Omeyades.
Le temps de la splendeur est passé et les troubles resurgissent. Comme le symbole d’une prochaine décadence, Cordoue est attaquée par les Chrétiens en 1009, un an après la mort d’Al-Muzaffar.
Le morcellement
Alors qu’Abd-al-Rahman et son fils Hakam II étaient parvenus pendant quelques décennies à maintenir un royaume prospère et centralisé, la guerre civile qui sévit en Al-Andalus en ce début de XIe siècle ravive les flammes de la division.
Des "Etats dans l’Etat" germent ici et là avant que le califat lui-même ne cesse d’exister en 1031 quand les notables de Cordoue, lassés des querelles de palais, décident de ne plus reconnaître de calife. Hisham, troisième du nom, est chassé de la capitale.
C’est le début des "taïfas", à savoir la division du territoire andalous en de multiples petits royaumes dirigés par des chefs musulmans de différentes ethnies ou dynasties. Nous avons ainsi par exemple la "taïfa" de Tolède, celle de Séville ou d’Almeria. La concurrence entre elles est féroce ce qui, on s’en doute, n’offre pas la meilleure des défenses contre les Chrétiens.
Ces tensions incessantes entre les nouveaux royaumes que sont les "taïfas" donnent lieu à des alliances inimaginables au siècle passé où des rois d’Al-Andalus vont chercher de l’aide auprès de chefs chrétiens du nord dans l’optique de vaincre tel ou tel royaume musulman concurrent.
Loin de n’être qu’une opposition frontale entre chrétiens croisées et Arabes musulmans, la "Reconquista" est un processus long et complexe dont les différentes interactions sont souvent étonnantes. Cette période, toujours âprement discutée par les universitaires, sera le sujet de notre prochain article.