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Iris Munos - Genèse d’un album léché et culotté : "Gainsbourg ou Gainsbarre ?" 

Chanteuse, actrice, metteur en scène, entrepreneuse culturelle, Iris Munos dirige également L'Iris Création, centre francophone de formation et de création artistique et est co-directrice de Drameducation, dont le programme 10 sur 10 fait partie. Malgré un agenda bien rempli, Iris a trouvé le temps de nous accorder un long entretien. Dans ce premier volet, nous suivons son travail d’artiste engagée qui s’attaque au monument Gainsbourg.

Iris Munos chante GainsbourgIris Munos chante Gainsbourg
Iris Munos
Écrit par Bénédicte Mezeix
Publié le 29 avril 2022, mis à jour le 2 mars 2024

 

Arrivée en Pologne en 2012, elle y bâtit depuis, avec pugnacité, de nombreux projets et festivals ayant pour but de promouvoir la langue française auprès des jeunes grâce au théâtre et à la chanson. Elle a également été lauréate du Trophée éducation des Français de l'étranger organisé par lepetitjournal.com en 2018. Franco-Allemande avec des origines espagnoles, Iris a l’âme voyageuse mais s’est enracinée en Pologne où dernièrement elle a fait éclore un nouvel opus musical qui, après plusieurs faux départs liés à la pandémie de Covid-19, peut enfin rencontrer son public. Découvrez et soutenez l’album Gainsbourg ou Gainsbarre ?, en vous rendant sur la plateforme de financement participatif, pendant encore quelques jours, pour contribuer à son lancement - tout juste 30 ans après le décès de l’icône de la chanson française tant fascinante que dérangeante, injustement méconnue en Pologne.

 

Lepetitjournal.com/varsovie : Iris Munos, vous aviez déjà exploré et réinterprété Jacques Brel avec votre précédent spectacle Et si Brel était une femme ?. Qu’est-ce qui vous a personnellement poussée vers l’univers de Serge Gainsbourg ?

Iris Munos : Bon, je ne sais pas pourquoi, mais les projets, ce sont les autres qui me les proposent, en général. Ils me donnent l’idée va-t-on dire. Jan Nowak, mon compagnon et co-fondateur de Drameducation et du programme 10 sur 10, m’a proposé de chanter Serge Gainsbourg. J’y ai réfléchi, tant sur l’aspect, le fond que le sens véritable de ce projet… Et puis l’idée de la création d’un concert a jailli. Au départ, je n’avais aucune ambition de faire un album. Mais la pandémie a bousculé tous mes projets : les concerts ont été annulés ou reportés et la saison culturelle a eu du mal à reprendre. Plus encore maintenant en Pologne avec la guerre en Ukraine, qui a de nouveau bousculé les programmes des centres culturels, des villes, etc.

L’idée de l’album était un formidable tremplin pour ne pas « mourir » d’un manque de travail artistique.

Du coup, je l’ai intégré à la création d’un projet cyclique en relation avec le programme Nuits du monde - festivals de chanson francophone (avec la création de 3 albums qui soutiendraient le programme grâce à la vente de ces derniers), toujours par philanthropie et volonté d’avancer dans des actions utiles. En même temps, je m’éclate en studio où les recherches musicales et le travail de la voix me passionnent totalement.

 

Chez Gainsbourg, les femmes sont à la fois objets et sujets de ses chansons. En vous appropriant son répertoire qu’est-ce que vous apportez à son univers ? 

Oui, les femmes sont très présentes dans les chansons de Serge Gainsbourg. Il faut dire qu’à chaque femme qu’il « baisait », il écrivait une chanson.

Ce n’est pas mon type pour tout vous dire, personnellement (rires) ! C’est un pervers et on ne peut le nier. Ceux qui disent le contraire souhaitent simplement le protéger. Surtout avec le mouvement MeToo, il y a des choses sur lesquelles on ne peut plus fermer les yeux. Il y a des chansons que je n’aime pas, que je trouve misogynes et irrespectueuses envers la gente féminine. Il y a de même, des chansons que je ne chanterai jamais, malgré leurs belles mélodies. Il y en a d’autres qui sont dérangeantes et provocatrices, mais qui me semblent « chantables » et à retourner gentiment, avec malice contre Gainsbourg lui-même !

Les chansons que j’interprète à ma façon, parlent de libération sexuelle et on peut dire, qu’aujourd’hui encore elles sont très choquantes. Comme quoi, il y a du boulot à faire… On ne s’intéresse pas au plaisir féminin, par exemple ! C’est dingue de dire ça en 2022...

En tant que femme et artiste, j’ai pris mes distances avec l’archétype malsain de la femme-enfant soumise, ou même, les fantasmes graveleux d’un homme marqué par les clichés de son époque. C’est pour moi plus intéressant de reprendre les chansons comme si elles étaient miennes. Et finalement, je pense que c’est un bel hommage à Serge Gainsbourg.

Serge Gainsbourg possède une langue, un lexique particulier, tout en doubles sens, ironie, allusions et sous-entendus, qui mêle anglicismes, langage soutenu et mots de la rue. Un vrai challenge pour un public étranger ?

Les chansons de Gainsbourg sont intéressantes tant sur le fond que la forme. Il disait que la langue française n’était pas si musicale, c’est pourquoi il ajoutait des anglicismes ; l’anglais sonnait « mieux », pour lui. Ce qui me touche, c’est qu’il a inventé des mots, des expressions magnifiques comme : « C’est moi qui t’es suicidée mon amour » NDLR, chanson : Sorry Angel. Cela apporte une très grande poésie et ouvre le champ des possibles... Ses textes donnent à réfléchir : on ne l’écoute pas pour danser mais pour saisir le sens de chaque mot… pour savoir exactement où il veut nous emmener. Les thèmes, les orchestrations, le style de ses chansons se développent au cours de sa vie, de ses albums. Sa langue française évolue aussi, cela est étonnant et peut nous braquer également : on peut ne pas être à l’aise du tout avec sa prose.

Mais c’est tout l’art de la poésie : celle de nous extraire de notre zone de confort, en nous poussant à la réflexion, plutôt qu’à nous endormir avec la guimauve de la facilité. Les chansons de Gainsbourg mènent à ça et je peux vous assurer que cela me perturbe aussi parfois !

En fait, c’est qu’il a vraiment bien fait son boulot. Gainsbourg est un auteur-conteur qui a non seulement marqué sa génération mais aussi les générations futures. Ses arrangements musicaux tout comme ses textes sont une véritable source d’inspiration. Qu’on l’aime ou pas, Gainsbourg est à connaitre impérativement, selon moi.

 

 
 

Ce qui me touche, c’est qu’il a inventé des mots, des expressions magnifiques comme : « C’est moi qui t’es suicidée mon amour » - Iris Munoz interprète Sorry Angel

 

 

En vivant à l’étranger, c’est comme si nous entrions dans une dimension musicale parallèle, où le temps se serait arrêté à certains artistes francophones, certes, ayant marqué leur époque, mais qui ne résument pas à eux seuls, l’ensemble de la richesse de la scène française, y compris actuelle… Le public polonais, adorateur des univers d'Edith Piaf et Zaz est-il prêt à plonger dans l'univers poisseux de Serge Gainsbourg ?

C’est un challenge évidemment pour le public étranger, qui ne comprend pas le français et s’arrête à la beauté de langue, le côté romantique et cliché de la vie parisienne, les émotions un peu niaises... Gainsbourg, c’est parfois « moche », je le conçois.

Si vous saviez combien de fois j’ai entendu les Polonais me dire après avoir écouté Serge Gainsbourg que c’était  « nul et moche », qu’il a une voix affreuse…

Evidemment, nous ne pouvons pas leur en vouloir d’émettre cet avis, c’est la facilité d’aimer ce qu’on connait déjà, de préférer le confort culturel de classiques comme Joe Dassin, Aux Champs Elysées ou Piaf, La vie en rose. Découvrir une autre langue française, la rage de Gainsbourg, son coté provocateur, le sale, la sueur, le désir... c’est déstabilisant !

 

Les Polonais le connaissent-ils au moins ?

Le public polonais est mitigé. Il ne le connait que très très vaguement et n’est pas conscient du phénomène hexagonale qu’il représente. Bref c’est très flou, mais je pense qu’il est prêt à le découvrir. Mes concerts sont néanmoins parfois un « choc », car mon univers lié à celui de Gainsbourg entrainent les Polonais dans des eaux plus troubles et tourmentées, disons… Mais le public apprécie tout de même.

Une fois, une dame m’a dit que c’était un super concert mais quand même, elle préférait Edith Piaf (rires) ! Que répondre ? Cette image vieillotte et un peu ringarde de la chanson française m’épuise parfois.

Les chansons de Serge Gainsbourg sont tellement provocatrices que le public polonais peut être totalement choqué. Je fais donc preuve de pédagogie et de psychologie lors de mes concerts, pour faire passer les sous-entendus et « coquineries ». Les polonais ne sont pas dupes, ils adorent aussi ce côté grivois, subversif. C’est juste une question de générations, cela dépend de l’âge des personnes dans la salle.

Le choc des générations en Pologne est, je dois dire, très présent, même si la Pologne reste un pays extrêmement moderne, malgré le parti extrémiste au pouvoir. Point positif : la jeunesse est virulente, révoltée et moderne ! Elle a tout simplement une autre culture et une autre façon de l’exprimer : elle ne se plaint pas, elle travaille dur et se débrouille pour avancer, ce n’est pas une jeunesse de « grandes gueules » ! C’est ce que je trouve très touchant. En France, on aurait envie de les secouer…. Mais quand vous vivez dans un pays où la démocratie est, et a été, sans arrêt bafouée, où le rôle de l’église est écrasant, où les femmes sont privées de certaines libertés, et bien pour survivre, vous vous concentrez sur vos projets, car vous savez que vous ne pouvez rien attendre du Pouvoir.

Le premier jour de la guerre en Ukraine, le 24 février, tous mes amis polonais, je dis bien tous, commençaient à se préparer pour l’accueil de réfugiés à la maison, l’achat massif de médicaments, la récolte d’argent... Ici, les gens ne parlent pas, ils font, tout simplement. J’aurais simplement été contente que les réfugiés syriens reçoivent le même accueil…

Je voudrais rajouter que la langue française est aussi pas mal considérée comme ringarde chez les jeunes. Or, la chanson française est pour moi synonyme de jeunesse, de révolte, de combat. C’est ce que je m’efforce de leur expliquer.

 

Comment s’est fait le choix des chansons ?

Le choix des chansons est simple : je dois les adorer et sentir les différentes interprétations possibles. Cela passe par les arrangements, le texte, le fond et la forme de la chanson, le thème. Ce sont tous ces facteurs qui m’aiguillent.

 

Quel regard portez-vous sur l’œuvre prolifique de Serge Gainsbourg aujourd’hui ?

Chaque album est une nouvelle création en soi. Une avancée. Gainsbourg créait véritablement, il était en recherche constante. Il ne fut parfois pas dans son temps et même en avance sur son époque. Le rock n’roll l’a surpris avec la venue des Beatles. Mais il s’est toujours réinventé. J’adore son album reggae.

Le fait qu’il ait travaillé avec des Jamaïcains a apporté un nouveau son : il a « explosé » la Marseillaise, je trouve ça formidable ! Bien plus que ses « sauteries » autour des femmes avec des chansons mielleuses.

Parlez-nous de vos deux musiciens : comment ont-ils participé à l’élaboration du projet ?

C’est toujours difficile de trouver de bons collaborateurs. J’entends, des personnes avec des qualités artistiques mais aussi humaines. Je recherche donc des musiciens ouverts et adaptables à mon univers. Pour le projet Gainsbourg, j’ai tout simplement mis une annonce sur internet. Je voulais absolument un guitariste. Je voulais un son bien rock et pêchu. Mateusz Rychły fut le premier et le dernier guitariste rencontré. Il s’est ramené dans un bar de mon quartier avec sa longue chevelure blonde. Nous avons organisé une première répétition pour sentir la musique : la chanson Aux enfants de la chance est sortie toute seule. Je l’ai gardée ! Le travail s’est effectué en duo dans un premier temps : on a créé ensemble les arrangements, posé les tonalités, magnifié l’interprétation. C’était des répétitions hivernales très sympathiques dans un bar rock, Le Dragon, bien connu du centre-ville de Poznan.

Mais j’avais en tête de prendre aussi un pianiste pour ajouter un son légèrement électro. Après plusieurs essais peu concluants avec des pianistes différents, incluant des catastrophes relationnelles, Jakub Kaczmarek s’est présenté, grâce à des connaissances de connaissances de Mateusz Rychły. Jakub est cool, ouvert, agréable et passionné par la musique, dès la première répétition, j’ai su que je tenais enfin mon pianiste !

 

 

Pour que l’album puisse voir enfin le jour, vous avez lancé, le 29 mars, un appel à participation financière via une plateforme participative, pourquoi ce choix de financement ?

La création du concert  Gainsbourg ou Gainsbarre ? a eu lieu fin 2019 et début 2020. Manque de chance, la pandémie est arrivée en Pologne, avec le confinement en mars 2020 qui nous a tous abasourdis, alors que nous devions jouer ce concert pour la première fois en avril 2020. Ce fut une catastrophe ! Les restrictions sanitaires ont été levées à l’été 2020 et j’ai enfin réussi à programmer le premier concert à Sopot les 30 et 31 août 2020, chez un ami qui dirigeait à l’époque Dworek Sierakowskich. Le Public a été au rendez-vous, ce fut deux soirées magnifiques, à l’époque en duo, avec Mateusz Rychły, seulement. Jakub nous a rejoints en automne 2020, en même temps que la nouvelle vague de pandémie et les confinements : les concerts ont été reportés voire carrément annulés. Ce fut la dépression totale, croyez-moi !

 

Répétitions Iris Munos gainsbourg
Iris Munos avec Jakub Kaczmarek et Mateusz Rychły.

 

 

J’ai donc décidé de faire ces fameux concerts en live streaming, ce qui a contribué à réunir un public international en direct. Ce fut une expérience très intéressante. Nous en avons fait plusieurs, dont un organisé en coopération avec l’Ukraine pour le mois de la Francophonie en mars 2021. Quand j’y pense maintenant… Ça me fend le cœur. Il y avait tant de belles perspectives avec ce pays…

D’annulations en annulations, j’ai commencé alors à perdre espoir. Je ne voulais pas que ce projet Gainsbourg soit sacrifié. C’est là que j’ai décidé de créer un album ; c’est l’actualité qui m’a poussée à le faire, afin de ne pas rester inactive, de pouvoir continuer à créer. Sauf que les concerts en streaming offerts au public coutaient très chers : nous n’avions aucune rentrée d’argent, tout passait dans l’investissement, nos comptes étaient à sec ! Je me suis, malgré tout, cramponnée à cette idée d’album en l’inscrivant dans le cycle des Nuits des Grandes Etoiles, qui puise dans le très riche répertoire de la chanson francophone pour apprendre à parler français tout en éveillant sa créativité. J’avais aussi un projet de nouveau festival de chanson (reporté aussi maintes fois). Il me semblait intéressant de proposer à chacun de participer au projet de l’album qui financerait le festival sur l’engagement de la jeunesse.

A suivre….

Dans le second volet de cet entretien, Iris se livrera sur son parcours d’ex grande timide sauvée par le théâtre, son arrivée en Pologne, ses projets fous auxquels, son compagnon Jan Nowak et elle, étaient les seuls à croire et qui, aujourd’hui s’étendent bien au-delà de la Pologne.

 

Tout savoir sur l’album d’Iris Munos Gainsbourg ou Gainsbarre ? 

Un contenu :

- 12 chansons choisies parmi les titres connus et moins connus de l’auteur-compositeur français.

- 12 chansons qui parlent amour, drogue, liberté sexuelle, liberté tout court : des thématiques particulièrement en phase avec notre actualité.

Pour soutenir l'album : attention, il ne vous reste plus que quelques jours ! 

Tous savoir sur Iris Munos

 

 

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