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Chanson - Justyna Bacz : "Le français, ma plus belle histoire d’amour linguistique"

Justyna Bacz par Radosław Paszkowski scène musiciens Pologne DalidaJustyna Bacz par Radosław Paszkowski scène musiciens Pologne Dalida
Radosław Paszkowski - Justyna Bacz
Écrit par Bénédicte Mezeix
Publié le 23 août 2022, mis à jour le 23 août 2022

À l’occasion de son concert, ce dimanche 28 août à 20 heures, avec le quatuor dirigé par Mariusz Dubrawski au Centrum Kultury i Aktywnosći w Dzielnicy Warszawa-Targówek, Justyna Bacz a accepté de répondre à nos questions, même si elle l’avoue de sa voix chaude, ronde et distinguée, parler d’elle ce n’est pas ce qu’elle préfère… Et pourtant : artiste-interprète, traductrice, enseignante à l’Institut français de Varsovie, nommée en 2018 au grade de Chevalier des Arts et des Lettres et de très nombreuses fois primée, il y a beaucoup à raconter. En 2013, par exemple, elle a reçu à Paris, le Prix du Public aux Journées Georges Brassens ; en 2020, c’est le Grand Prix d’interprétation féminine international attribué par l’association et la revue parisienne Les Amis de Georges, qui lui est remis. Retour sur le parcours d’une artiste intense à la voix veloutée. 

 

Lepetitjournal.com/varsovie : avant d’explorer votre parcours d'artiste interprète, Justyna Bacz, retournons là où tout à commencé, semble-t-il… Pourriez-vous nous raconter ce qui vous a poussée à apprendre le français ?

Justyna Bacz : J’ai commencé à apprendre le français assez jeune, à l’âge de 10 - 11 ans. Ma maman était historienne de l’art et dans son milieu professionnel le français occupait une place importante. Cela a donc été sa suggestion. J’en ai été heureuse et curieuse. D’autant plus que mon père parlait 3 langues étrangères, ce qui m’impressionnait.

Mon premier professeur de français, Mme Marguerite Schneider, que tous ses élèves appelaient « Madame », était suisse, originaire de Lausanne, installée en Pologne. Grâce à sa personnalité, sa bienveillance et l’ambiance qu’elle créait pendant ses cours particuliers, je suis tombée amoureuse de la langue. Comme j’écoutais beaucoup de musique, un jour, mes parents m’ont offert comme cadeau un disque de chansons d’Édith Piaf — une révélation qui a éveillé en moi le désir de comprendre les textes et de chanter en français. J’ai donc poursuivi l’apprentissage, d’abord au lycée Sempołowska de Varsovie, en programme renforcé de français. J’ai eu également la chance, grâce à mes parents, de suivre un cours de vacances à l’Université de Genève. Après le retour c’était clair, ma décision prise, je voulais étudier le français et la linguistique appliquée à l’Université de Varsovie.

 

On vous sent habitée par cette langue. Comment définiriez-vous votre rapport au français ?

Le français est  « ma plus belle histoire d’amour » linguistique… Je n’ai aucun lien familial dans des pays francophones — autant que je sache… Ma grand-mère paternelle, en tant que romanisante, enseignait le français, mais habitait dans un autre coin de la Pologne, nous étions en contact plutôt occasionnellement. Ce qui est d’ailleurs intéressant, c’est qu’elle était diplômée du conservatoire de musique…

Tout de même, le français fait partie de ma vie, aussi bien professionnelle que privée. C’est une langue dans laquelle, parallèlement au polonais, je pense, travaille, communique, lis au quotidien. J’ai beaucoup d’amis et de connaissances francophones en Pologne, en France et dans d’autres pays avec qui je reste en contact, aujourd’hui beaucoup plus facilement grâce à l’Internet, entre autres.

En utilisant le français, j’éprouve toujours un énorme plaisir. J’adore cette langue. Je ne m’en lasse pas. Cela ne m’arrive avec aucune autre langue étrangère… Quand je chante, j’écoute des chansons françaises, je me sens libérée, comme si j’existais dans une autre dimension.

Le français, à part sa musicalité, est une langue très riche et sophistiquée, héritière des langues romanes donc du latin — l’étymologie et l’histoire n’y sont donc pas pour rien. Ce qui est particulier pour la langue française c’est le fait que son développement et sa codification ont été travaillés par les milieux intellectuels comme les poètes de la Pléiade (NDLR Incluant Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay, Jean-Antoine de Baïf, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Jean Dorat, Jacques Peletier et Pontus de Tyard). C’est une langue où la littérature a joué un rôle spécial. Elle l’a formée. Ce n’est pas par hasard si le français est resté pendant des siècles la langue de l’aristocratie en Europe dont en Pologne et bien sûr dans le monde entier, langue de la diplomatie. Je ne cesse de la découvrir, je fais des liaisons entre le français et le polonais, héritage surtout du XVIIIe siècle.

 

Comment s’articulent vos différentes activités : chanson, traduction, enseignement ?

Le français a vraiment déterminé ma vie professionnelle de chanteuse et de linguiste - enseignante et traductrice et a servi de lien entre ces différents domaines.

Mon répertoire est dominé par la chanson française. La plupart de mes récitals et de mes disques y sont consacrés, y compris mes spectacles musicaux Brassens mon amour ou Dalida. Chant d’amour et Femmes, czyli kobiety que j’ai joués au Théâtre Kamienica de Varsovie et dans toute la Pologne.

Je traduis des chansons françaises en polonais, parfois inversement. Il m’arrive d’écrire des textes de chansons en français. Pour l’un de mes textes, j’ai d’ailleurs reçu un prix au Festival de la Chanson européenne à Châteauroux.  

 

 

J’ai également enseigné cette langue dans différents établissements. Et depuis plusieurs années, à l’Institut français de Varsovie. Je m’occupe également de traduction et un peu d’interprétariat français-polonais.

La langue est pour moi, aussi bien à travers l’enseignement, la traduction, que la chanson, un moyen de diffuser la culture française en Pologne, de bâtir des ponts entre nos deux cultures. Dans mes tours de chant en France, je tiens également à toujours introduire des chansons polonaises traduites en français.

 

Petite, Justyna, rêviez-vous déjà de bruler les planches ?

Ce n’est pas très original, mais je dois avouer que, toute petite, je chantais dès que c’était possible. Mon père m’avait offert un magnétophone, ensuite une guitare, ma mère — un Gramophone et m’avait inscrite à un cours de piano. J’écoutais  « en boucle »  tous les disques et casettes ( à l’époque) se trouvant à la maison et chantais ce répertoire avec ses interprètes.

J’adorais m’enregistrer. Mon grand rêve était de me promener sur scène avec un vrai microphone… Je chantais dans une chorale à l’école primaire. Lycéenne, j’ai commencé à suivre des cours de guitare et à me produire lors de différentes manifestations culturelles dans le cadre scolaire, souvent en interprétant les chansons françaises populaires.

 

A quel moment, tout cela a pris un tournant plus "professionnel" ?

Les vrais débuts ont eu lieu lors du Festival de chansons de Léonard Cohen à Cracovie, en 1984 où, alors étudiants, avec Kuba Michalski, nous avons participé en duo : voix-guitares et avons gagné le premier prix. Cela a été un déclic. J’ai compris que la scène était ma deuxième vie…

Pour compléter mon éducation musicale, j’ai suivi des cours de chant au Studio Piosenki ( Ateliers de la chanson) « Hybrydy » auprès de l’Université et « Remont » auprès de l’École Polytechnique. Avec Kuba nous avons créé tout un programme de chansons de Léonard Cohen, très populaire en Pologne à l’époque. Je chantais en anglais, en polonais — dans les traductions de Maciej Zembaty — et en français dans celles de Greame Allright. Il y avait déjà chez moi ce pressentiment qu’un jour, je chanterai en concert un répertoire français !

Pour des raisons personnelles, j’ai déménagé à Cracovie durant 6 ans, notre duo avec Kuba, par la force des choses a cessé d’exister.

J’ai reçu une invitation pour le concours de la chanson française organisé par Jerzy Menel — traducteur et admirateur de la chanson française qui m’a toujours encouragée à continuer mon chemin artistique. J’ai commencé à m’y préparer. J’ai décidé de participer aux ateliers de la chanson au Pałac pod Baranami ( Palais sous les moutons) puis de travailler ma voix en cours particuliers.

Avec deux petits enfants, cela n’a pas été facile… mais finalement, tout s’est bien déroulé et les invitations à d’autres festivals en Pologne, puis en France ont commencé à arriver. Mon répertoire s’est élargi. Et s’élargit toujours d’ailleurs, car la chanson française est un puits inépuisable…

 

Quelle est la place de vos musiciens dans votre travail, vos créations, votre interprétation ? 

Ce qu’il faut souligner dans mon développement artistique c’est le rôle primordial des musiciens, ayant le goût de la musique française. Je voudrais mentionner ici avant tout, les pianistes-compositeurs-arrangeurs, Jerzy Kluzowicz — artiste cracovien et Mariusz Dubrawski avec qui nous collaborons depuis plus de 20 ans, nous avons même enregistré 7 disques ensemble.  Avec Piotr Olszewski — guitariste de jazz, nous avons réalisé le projet jazzy Brassens mon amour.

J’ai vraiment eu la chance et je l’ai toujours, de collaborer avec d’éminents musiciens, instrumentalistes, chanteuses, chanteurs. Chacun, chacune apporte sa touche artistique personnelle, chaque concert, chaque rencontre musicale apportent quelque chose de précieux.

 

Radosław Paszkowski - Justyna Bacz concert varsovie paris
Justyna Bacz et ses musiciens — photo Radosław Paszkowski

 

Parlez-nous de ce festival de L’Argentière-la-Bessée qui vous a étrangement conduit de Brassens à Chopin, cet été…

Je viens de rentrer du festival intitulé Autour de Brassens auquel j’étais invitée par Maurice et Hélène Bonnardel — présidents de l’Association Autour de Brassens. Cette année, c’était la 16e édition. Au Foyer culturel de L’Argentière-la-Bessée dans les Hautes Alpes, accompagnée par Jean-Sébastien Bressy au piano j’ai présenté 2 programmes : Hommage à Georges Brassens et Hommage aux femmes. L'accueil chaleureux des organisateurs et du public restera longtemps gravé dans ma mémoire…

Le public a particulièrement été réactif à la chanson que je viens d’écrire et que j’ai chantée pour la première fois : elle parle d’une jeune femme ukrainienne que nous avons hébergée en Pologne… Je vais d’ailleurs l’interpréter pendant mon prochain concert.

Au lendemain du concert de L’Argentière-la-Bessée, les émotions étaient encore palpables, bien que différentes.

Nous avons également visité le lieu de naissance du grand-père de Frédéric Chopin. Une histoire passionnante que je me ferai un plaisir de vous raconter prochainement…

 

Rendez-vous sur le site internet de Justyna Bacz, en cliquant ici.

Tout savoir sur le concert du dimanche 28 aout en cliquant ici.