Véritable personnalité du monde valencien, le journaliste Vicent Marco est né à Benifaio, dans la Ribera del Xùquer. S’il a passé toute sa vie dans la région il a cependant connu une parenthèse française d’une année pour ses études à Paris. Auteur de la série de livres ¡De Categoria! qui aborde la culture valencienne sous un angle humoristique, il nous a confié sa vision de la Région.
Lepetitjournal Valence : Vous avez fait vos études de journalisme à Valencia mais également une année à Paris. Comment s’est passée votre année en France ?
Vicent Marco : J’ai fait une année d’Erasmus à Paris X à Nanterre. Cette Université avait une convention avec la mienne et cela correspondait à un moment où je voulais apprendre le français. Et il n’y a pas meilleur endroit pour ça que Paris ! Je suis parti à 22 ans, le 11 septembre 2002 exactement. J’y ai passé de très bons moments. En fait, je passais mes journées à Paris, à faire du tourisme. Ce n’était pas ma première fois en France puisque j’étais déjà allé à Nîmes, Avignon et Paris avec mes parents mais je n’avais jamais vécu là-bas.
J’ai passé de très bons moments à Paris
Je suis revenu à Paris en 2011. Je logeais vers le Canal Saint Martin, un quartier un peu bobo. Mais Paris est comme ça : un peu snob d’un côté et plus populaire de l’autre. Au final, Paris est une ville de touristes, pas vraiment de voisinage. Je pense qu’il faut beaucoup d’argent pour pouvoir profiter de Paris. C’est une ville musée en fait. Un parc d’attraction pour personnes âgées en quelques sortes. C’est une ville onéreuse. La plupart des gens vivent en banlieue et ce n’est pas le Paris carte postale que l’on trouve en visitant la ville à la différence de Valencia où l’on peut toujours descendre dans ton bar de quartier et sortir à des prix raisonnables. Valencia est une ville-village en fait.
Quelle fût votre première impression en arrivant à Paris ?
Tout était énorme et grand ! A Valencia, on peut tout faire à pied. Et ses trottoirs : toujours lisses à l’inverse d’ici ! J’ai été frustré aussi parce que je faisais un effort pour parler en français mais on me répondait systématiquement en anglais … Et puis cette ambiance de stress généralisé. Bon, j’étais jeune étudiant, donc pas stressé pour un sou.
Quand j’ai pris le métro parisien pour la première fois, j’ai eu un choc car je pensais que les horaires des transports en commun auraient été plus tardifs pour une capitale. En habitant à Nanterre, j’ai eu pas mal de problèmes le soir pour rentrer chez moi. Je pense finalement que Paris, tout comme Madrid, ne représente pas la France. Dans un pays, chaque région à ses particularités en fait.
Comment voyez-vous Valencia par rapport à Madrid, Barcelone ou d’autres villes espagnoles ?
Je dirais qu’ici, nous profitons de ce que nous avons. Nous n’avons pas besoin que les autres viennent nous aider. L’explosion du tourisme est récente dans la région, c’est seulement depuis les années 60 qu’elle a eu lieu alors que dans d’autres villes, c’est plus ancien.
A Valencia, nous profitons de ce que nous avons.
Le Valenciano aime bien fanfaronner. On dit par exemple que pendant les Fallas, il y a un million de visiteurs mais en réalité, ce sont surtout des gens du coin et des villes alentours qui viennent. Mais on nous vend cela comme des visiteurs extérieurs ! On dit que c’est bien d’avoir des touristes qui viennent mais après on se plaint qu’il y a trop de monde, que l’on ne peut pas aller dans son bar habituel !
Le Valenciano, par rapport aux habitants des autres régions, est très ouvert dès la première rencontre, mais très difficile à conquérir par la suite. Sympathiser avec un Valencien, c’est rapide. Mais pour l’étape suivante, aller manger ensemble ou sortir, c’est plus compliqué ! Lorsqu’un Galicien ou un Basque, vous propose de prendre un café avec lui une autre fois, il le fera. Ici, le Valencien le remettra toujours à plus tard.
C’est quelque chose que beaucoup de francophones nous ont dit en effet.
J’ai des amis français lorsqu’ils m’invitent à sortir avec eux, je suis toujours le seul Valencien. C’est notre défaut : nous sommes faciles à la première approche mais les suivantes sont plus compliquées.
Que conseilleriez-vous à des Francophones qui souhaiteraient sympathiser avec des Valenciens ?
Inscrivez-vous à une Falla ! Si vous avez des enfants, ils joueront avec les autres et vous sympathiserez avec les parents ! Et surtout ici, nous apprécions toujours quand on s’intéresse à notre culture. Cela nous touche beaucoup.
Quand on s’intéresse à notre culture, cela nous touche beaucoup
Mais si vous voulez rencontrer des valenciens, il faut beaucoup sortir. A Paris par exemple, les gens font plus de fêtes chez eux alors qu’ici, tout se passe dehors. S’il y a une Feria del Vino, c’est plus facile de proposer à un Valencien de le retrouver là-bas plutôt que de lui proposer de passer chez vous. Il faut s’inscrire à un maximum d’activités organisées dans votre quartier : c’est une belle porte d’entrée.
Il faut aussi apprendre un peu l’espagnol avant de s’installer ici, c’est un minimum. Il faut venir avec une base. Il y a des bars qui organisent des intercambios. Un étudiant Erasmus va apprendre sur le tas, pas de problème mais si quelqu’un vient pour travailler, au début, il aura peu de contacts avec des espagnols, surtout s’il travaille pour une société française où il n’aura que peu d’occasions de parler en espagnol.
Comment vous est venue l’idée de sortir votre premier ouvrage « ¡De Categoria ! » ? Ressentiez-vous une certaine frustration que les gens ne comprennent pas les valenciens ?
Non (rires) ! Il y a beaucoup de livres sur les Basques, les Galiciens, les Andalous. Mais sur les Valenciens, pas grand-chose ou alors des ouvrages très anciens. J’ai donc commencé à écrire de façon aléatoire sur un blog et à réfléchir sur nos différences culturelles, à comment nous sommes, nous les Valenciens. Des choses simples, dont nous n’avons pas forcément conscience, me sont venues à l’esprit. Je pense qu’être journaliste, ce n’est pas juste une question de savoir bien écrire ou de bien communiquer. Ce qui est important c’est cette capacité d’observation ... et je suis très observateur !
Tous ces constats, je les ai couchés sur papier. Par exemple, nous les Valenciens, nous nous arrêtons toujours au milieu de la rue pour papoter alors que dans d’autres région, non. Et là, beaucoup de gens se sont reconnus. C’est quelque chose que l’on fait sans nous en rendre compte. Par exemple, après les Fallas, tout le monde marche au milieu de la rue et oublie les voitures ! J’ai mis en perspective notre réalité et de fil en aiguille, c’est devenu un livre.
Avez-vous l’impression qu’il y a de plus en plus d’étrangers qui s’installent à Valencia ?
Les latino-américains ne viennent plus ici. Avec la crise, beaucoup sont partis. A l’heure actuelle, Valencia attire les freelances ou les professions libérales qui s’installent pour le climat et la qualité de vie. Valencia n’est pas chère et bien connectée. Il y a le soleil, la mer, la montagne … Elle dispose de nombreux avantages par rapport à d’autres villes.
Est-ce que la ville s’est adaptée à la demande étrangère ? Le mythe de ne pas pouvoir manger avant 14h00 existe-t-il encore ?
Avec le tourisme, beaucoup de chaines comme 100 montaditos vous permettent dorénavant de manger tôt. La zone touristique s’est adaptée au consommateur, c’est évident. Mais même dans un bar local on peut demander un plat chaud, ils s’accommodent toujours. Après, je trouve que c’est dommage, car quand on vient ici, il faut s’adapter à la vie locale.
Avez-vous peur que Valence devienne un jour comme Barcelone ?
Oui et j’ai justement écrit un papier dessus (Valencia Plaza : ʺBarris de turistes o barris de veïns ? ʺ). Je ne veux pas que Valencia devienne une ville à touristes mais reste une ville de vecinos. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est trop d’appartements touristiques parce qu’à la fin on se retrouve avec une hausse des loyers qui expulsent les habitants vers les villes alentours. Le risque c’est de se retrouver à la fin avec une ville vidée de ses habitants et ici, ce sont les Valenciens qui font Valencia.
Ce sont les Valenciens qui font Valencia
Le centre est déjà en train de se convertir en ce que la ville ne doit pas devenir. Mais cela va se finir par se réguler. Il va y avoir plus de contrôles et de taxes sur les appartements touristiques. Et puis nous avons encore de la marge avant que Valence ne devienne comme Barcelone (rires) ! Le centre historique de Valencia est petit et ce n’est pas une destination où l’on vient passer une semaine. Elle est idéale pour un séjour court. Mais c’est un sujet qui fait parler de lui, c’est sûr. Chaque quartier de Valencia, comme Patraix ou Benimaclet, sont des quartiers avec une vie et il faut que ça reste comme cela.
Que pensez-vous de l’empreinte laissée par l’ancienne Maire de la ville, Rita Barbera ?
Elle a eu son lot de polémiques … C’est vrai que maintenant, les gens arrivent à placer Valencia sur la carte d’Espagne. Mais c’est trop : Il n’y avait pas besoin du circuit de Formule 1, de l’America’s Cup et d’une Cité des Sciences aussi monumentale.
Je me souviens d’un voyage en Inde où j’avais expliqué aux Indiens que je venais de Valencia. A cette époque, il y avait un pilote de F1 et je racontais que nous avions une course de F1. Mais personne ne connaissait ! En revanche, ils connaissaient très bien la Tomatina qui était apparue dans un film de Bollywood !
Je pense que c’est Canal 9 qui a fait que Valencia soit reconnue : avoir une télévision locale a permis de diffuser dans le monde des images des Fallas ou de la Tomatina.
La Marina a été très mal gérée également selon moi. Des bâtiments sont restés vides pendant 10 ans alors qu’à cette époque, les meilleurs designers nautiques étaient dans la région. C’est un vrai gâchis. Une bonne gestion de l’après America’s Cup aurait eu beaucoup plus de retombées que la Formule 1.
Nous avons ce défaut à Valencia : nous faisons des choses très bien mais nous les gèrons très mal derrière. On a cette phrase valencienne qui est pensat i fet (réfléchis et fais). Par exemple, pendant mon Erasmus en France, avec des amis nous voulions organiser une fête étudiante en moins d’une heure. Je leur ai dit « ne vous inquiétez pas, je m’occupe de la boisson » et j’ai fait 150 litres de Sangria ! Tout le monde était scotché. On m’a ensuite proposé de le faire chaque semaine pour gagner de l’argent, mais là pour moi, cela s’est arrêté là. Une fois et pas plus en somme !
Comment est votre Valencia ?
La lumière de Valencia est exceptionnelle. Ma Valencia aura toujours une visite à l’Albufera, à el Palmar ou à la playa de la Devesa del Saler, qui est un Oasis. Pour moi c’est marcher dans le centre et s’installer en terrasse pour boire une bière avec des amis. C’est aller au musée del Carmen qui est en train de revivre avec des concerts et des expositions. C’est aller au Trinquet de la calle Pelayo, manger le dimanche en famille une paëlla, dévorer une orange directement de son arbre. C’est être dehors, voir des falleras, entendre de la musique et le soir, voir des feux d’artifice et se demander pourquoi ils en tirent un. On ne sait jamais pourquoi il y a un feu d’artifice mais il y en a toujours un (rires) !
C’est se balader en vélo dans le Turia, voir le parc Gulliver, faire un pique-nique. Nous avons une chance incroyable d’avoir ce parc depuis 40 ans. Il a changé Valencia. Cela aurait dû être une autoroute mais la pression exercée par les habitants a été la plus forte. Le Turia a permis de joindre les deux parties de Valencia car avant, personne ne vivait près du Turia. C’est l’ancien fleuve de la rivière qui nous permet de nous retrouver désormais.
D’un point de vue culturel, je crois que l’almuerzo est une chose incroyable. On peut croiser à midi des touristes qui déjeunent, des Valenciens qui prennent un almuerzo et les deux du fonds qui boivent leurs godets d’alcool. C’est un mélange très surprenant mais c’est Valencia !
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