De passage en Espagne, où elle a été invitée par des militants écologistes à Valence et Barcelone, Marine Tondelier, la secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts, revient sur les inondations meurtrières qui ont frappé la province de Valence à l'automne dernier, et plus largement sur la gestion politique de cette catastrophe.


Les habitants de la province de Valence ont droit à une chose très simple : la vérité.
Vous êtes à Valence aujourd'hui (le 28 février), demain à Barcelone. Quel est l'objectif principal de votre visite en Espagne ?
Je suis venue à l'invitation des Verts espagnols de la province de Valence et de Barcelone, mais aussi à l'invitation du groupe local des écologistes français de la péninsule ibérique. Ce sont donc à la fois les Verts espagnols et les Verts français hors de France qui m'ont invitée.
Évidemment, la principale raison de ce déplacement, c'est de venir sur place, quelques mois après les graves inondations meurtrières de l'automne, pour apporter mon soutien. Nous, écologistes, formons une famille solidaire, qu’il s’agisse des Global Greens ou des Verts européens. Il est essentiel d’être présents sur le terrain, d’échanger avec les acteurs locaux et de comprendre ce qui s’est passé afin d’en tirer des enseignements et d’en parler en France.
Ce que je vois, depuis mon arrivée, c'est que les décisions politiques prises, au moment de la catastrophe et depuis, ont été faites en dépit du bon sens. Il faut avoir le courage de le dire et d’expliquer pourquoi, car sans un changement de cap, les mêmes erreurs risquent d’entraîner les mêmes drames.

Ce soir, vous serez en conférence avec Compromís. Quel lien entretenez-vous avec ce parti ?
Compromís est un partenaire. C’est une coalition de partis en Espagne. On a toujours travaillé avec eux, notamment avec Florent Marcellesi, qui est Franco-espagnol et avec d'autres membres de la famille verte européenne. On partage les mêmes valeurs et un manifeste très structuré, ce qui nous permet de nous comprendre rapidement, même sans nous connaître personnellement.
Les conséquences meurtrières que nous avons vécues, ce n’est pas juste à cause de la pluie. C’est à cause de l’aménagement du territoire, de la mauvaise organisation des services de protection civile, ce sont des mauvaises décisions politiques.
Vous avez déclaré en octobre dernier, après la DANA, que cet épisode ne découle pas d’une catastrophe naturelle mais d’une catastrophe humaine. Pourquoi choisir ce terme ?
Totalement. Je réfute ce terme de catastrophe naturelle, car évidemment, il y a d’abord des pluies, des fortes pluies, c’est ce que l’on appelle en Espagne 'la goutte froide'. Mais les conséquences meurtrières que nous avons vécues, ce n’est pas juste à cause de la pluie. C’est à cause de l’aménagement du territoire, de la mauvaise organisation des services de protection civile, ce sont des mauvaises décisions politiques. Mais tout ça, ce sont les éléments humains de la catastrophe, et il faut avoir le courage de les examiner et surtout il faut être capable de regarder les choses en face, épisode par épisode, pour tirer des conséquences et éviter de reproduire ces erreurs.

Est-ce que la politique pourrait tirer des leçons de la gestion de cette catastrophe en Espagne ?
Je ne sais pas si c'est la gauche qui doit en tirer les leçons. On l’a vu aussi dans le sud de la France, où la droite française a immédiatement dit que ça n’avait rien à voir avec l’aménagement du territoire. Mais bien sûr que si, c’est un déni de dire cela. Un penseur écologiste, Baptiste Morisot, a très bien expliqué, dans une interview sur France Inter, qu’aujourd’hui, c'est la société du drainage. Pendant des siècles, on a voulu assécher des marécages, canaliser les cours d’eau pour le transport fluvial, artificialiser les sols pour faire des entrepôts, des supermarchés, construire des zones pavillonnaires. Et tout cela a des conséquences.
Vous mentionnez l’inaptitude politique des autorités locales. Pouvez-vous en dire plus ?
L'inaction des premières heures, alors que l’alerte n’a pas été donnée à temps, est impardonnable. C’est une faute politique lourde, et il est essentiel que toute la lumière soit faite sur ce qui s’est réellement passé.
Moi, ce qui me sidère, c’est le scandale politique que l’on m’a raconté depuis que je suis ici, l’impossibilité de retracer les faits, de savoir qui a été informé à quel moment, où étaient les autorités… Il y a un énorme malaise, et cela laisse penser que des choses pas très nettes se sont passées. Si les choses étaient claires, on aurait déjà eu les éléments. Et c’est une faute politique grave, qu’il faudra expliquer.
Et concernant la gestion de l’aide aux victimes de la catastrophe ? Beaucoup n’ont toujours pas reçu l’aide promise.
Les habitants de la province de Valence ont droit à une chose très simple : la vérité. Ce qu'on m'a expliqué ici, c’est que les gros groupes, comme les supermarchés, ont été reconstruits rapidement, mais les petits commerçants ont tout perdu et ont été très peu aidés. Beaucoup de petites boutiques ne rouvriront jamais. Cela, c’est une vraie responsabilité politique.
Le capitalisme s'en sort très bien tout seul. Les grands groupes, eux, n'ont pas besoin de la politique. Mais les plus vulnérables, les habitants dans leurs maisons, les commerçants dans leurs petites entreprises, c’est à ce niveau-là que le politique doit être présent. Et j’ai l'impression qu'il n’est pas à la hauteur. Peut-être trop occupé à se sortir d’un scandale politique pour se concentrer sur les conséquences humaines…
L’urbanisation massive, notamment dans la région méditerranéenne, a exacerbé les effets de la DANA. Pensez-vous qu'il faille repenser toutes les politiques d’urbanisme et de gestion des sols ?
Ce qui est impardonnable, c’est qu'après ces événements dramatiques, les bonnes conclusions politiques ne sont toujours pas tirées. Chaque nouvelle décision semble continuer sur la même voie que les précédentes, sans recul, sans prise de conscience des erreurs passées. Et donc, chaque décision de ce genre prépare la prochaine catastrophe. C’est incompréhensible. L’écologie politique, ce n’est pas un truc à géométrie variable. C’est structuré, très ancré, avec des valeurs solides. Et je continue à être sidérée de voir à quel point les gens n'ont pas envie de comprendre, de voir la réalité en face.
Vous avez aussi fait référence à la situation en France. Est-ce que vous avez l'impression que la catastrophe en Espagne a sensibilisé les politiques français aux risques qu'ils pourraient aussi encourir en France ?
Absolument pas. Je viens du Pas-de-Calais, où il y a eu de grosses inondations il y a 18 mois. C’est la même situation, des terres construites sur un pôle d’air avec un système de pompes qui ne fonctionne plus correctement. Nous avons dû attaquer en justice pour que les risques climatiques soient pris en compte dans les documents d’aménagement du territoire. Et au lieu de cela, on nous a accusés d’être responsables, parce qu’on aurait refusé certaines interventions. Quand ce genre de phénomène se produit, au lieu d’assumer la réalité, on désigne un bouc émissaire, comme toujours. Mais est-ce que cela fait de nous des coupables ? Non. C’est une réalité qui n’est pas prête à être acceptée.
L’Europe finance déjà des plans de résilience pour les catastrophes naturelles. Selon vous, faut-il aller plus loin, par exemple en créant des fonds d’indemnisation spécifiques pour la DANA ?
Il faut un deal avec les assurances privées. Je ne suis pas d’accord pour qu’on privatise les profits et qu’on socialise les pertes. Les assureurs font des profits sur leur système assurantiel, mais lorsqu'il y a une grosse catastrophe, il faut faire appel à la société. Il faut que les assureurs contribuent, et non que ce soit toujours la société qui prenne en charge les pertes. Il y a une vraie réflexion à mener sur ce sujet.
Vous avez récemment évoqué, dans une publication Instagram, la gauche en Espagne : « Merci de m'accueillir dans ce pays où la gauche au pouvoir change déjà la vie. » Cela signifie-t-il que vous croyez en une unification de la gauche en France, pour les élections de 2027 ?
J'espère que l’unité pourra se faire. Je participe à cette construction. Mais, honnêtement, ce n’est pas gagné. Le problème, c’est que trop de gens se comportent comme si le climat n’était qu'un gadget politique et qu'il suffisait d’être solidaire pour tout résoudre. Ce n’est pas suffisant. C'est une question de courage politique. Or c’est ce qu’il manque à trop de politiciens aujourd'hui.