

Jusqu'au bout, le gouvernement français, ne croyant pas à la chute du régime de Ben Ali en Tunisie, a ménagé le dictateur. La diplomatie française est donc accusée de complaisance, mais c'est bien toute la classe politique française qui montrait, jusqu'à très récemment, une grande indulgence pour le président déchu
Le 11 janvier dernier, Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires Etrangères et Européennes, (photo AFP) proposait au régime tunisien la coopération de la France en matière de sécurité et de maintien de l'ordre, alors que les émeutes populaires étaient réprimées dans le sang. Cette intervention provoque aujourd'hui, après la fuite de Ben Ali, un véritable tollé, alors qu'elle était passée relativement inaperçue sur le moment. Martine Aubry, qui s'exprimait sur France 2, estime que Mme Alliot-Marie "devrait elle-même tirer les conséquences d'une faute aussi grave, qui nous fait perdre de la crédibilité, pas seulement en Tunisie". "Quand un peuple est en train de se battre avec une dignité extraordinaire pour ramener la démocratie et que la France, terre des libertés, la République française, est là sur le retrait, c'est incompréhensible pour le monde, c'est incompréhensible pour le peuple tunisien, c'est une faute vis-à-vis de lui majeure", a lancé la maire de Lille. D'autres voix appellent également à la démission de la ministre, chez les Verts ou encore au Parti communiste.
Explications embarrassées
Lundi, Alliot-Marie s'était fendue d'explications peu convaincantes, estimant que ses propos avaient été "déformés et sortis de leur contexte" et que "la France, pas plus que d'autres pays, n'avait vu venir ces événements". Selon elle, il s'agissait en substance de déplorer un "usage excessif" de la force, sachant qu'en France, "on sait gérer des manifestations sans faire de morts". La chef de la diplomatie française a également été auditionnée par les députés.
Contre-attaques
Toute la majorité a fait bloc pour soutenir le soldat MAM. François Fillon lui a renouvelé sa confiance. Aux accusations de "complaisance" envers Ben Ali, le Premier ministre a répondu : "Je pourrais citer de larges extraits du très beau discours de Lionel Jospin en octobre 1997 lorsqu'il recevait à Matignon le président Ben Ali. Je pourrais aussi évoquer le satisfecit donné au gouvernement Ben Ali par Dominique Strauss-Kahn en octobre 2008 quelques minutes après avoir reçu du président tunisien une haute décoration." Pendant les 23 ans de son règne, bien rares en effet ont été les hommes politiques français, de droite comme de gauche, à dénoncer les dérives du pouvoir en place à Tunis.
Des relations bien cordiales
François Mitterrand avait reçu Ben Ali en 1988 avant de se rendre à son tour en Tunisie lors d'un voyage officiel. Jacques Chirac, en vacances en Tunisie en 1998, déclarait que "le premier des droits de l'homme, c'est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays ". Sous le gouvernement Jospin, le ministre des Affaires Etrangères, Hubert Védrine, assurait au président Ben Ali le soutien de la France "au modèle démocratique tunisien".
Le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, citait la Tunisie en exemple : "L'économie tunisienne va bien (...) la politique économique qui est conduite est saine, et je pense que c'est un bon exemple à suivre pour les pays émergents". Quant au maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, il estimait en mars 2010 que la Tunisie était "non seulement sur la bonne voie, mais elle réussit mieux que les pays comparables et parfois même mieux que des pays dits développés en terme de croissance. Le Président Ben Ali en 1987 a permis qu'il y ait une évolution, une transition sans rupture et sans qu'il n'y ait de heurts entre les Tunisiens eux-mêmes".
Pendant longtemps, la France et l'ONU trouvaient Ben Ali fréquentable, au vu de ses bons résultats économiques, sous-estimant la colère des Tunisiens. La diplomatie est bien versatile.
MPP (www.lepetitjournal.com) mercredi 19 janvier 2011


































