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RENCONTRE - May Granier et l'agriculture environnementale

Écrit par Lepetitjournal Tunis
Publié le 27 août 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

May Granier, née en Tunisie en 1942, est une ancienne diplomate, aujourd'hui présidente d'une ONG internationale "l'Association Abel Granier pour la formation à l'Agriculture Environnementale". Réinsérée dans son pays natal, elle anime en Tunisie plusieurs chantiers d'initiation à un mode d'agriculture où les cultures nécessaires à l'élevage et à l'alimentation des hommes, loin de détruire l'environnement le mettent en valeur, utilisant la magie des alliances secrètes entre plantes et le contenu biologique de nos sols


Lepetitjournal.com : Un étrange cheminement, May Granier, de la diplomatie à l'Agriculture biologique. Comment êtes vous  venue à cet engagement pour une nouvelle forme d'agriculture ?

May Granier : Je suis née à Medjez-el-Bab, puis de 1953 à 1969, j'ai grandi, étudié et travaillé durant toute mon adolescence sur une ferme expérimentale privée dans la région de Medjez El Bab ? ferme créée à fonds propres par mes parents. Une ferme qui combinait tous les problèmes des terres érodées et dégradées. Cependant mon père, avocat, économiste, théologien, historien et spécialiste des langues sémitiques anciennes, entrevoyait l'agriculture comme un secteur essentiel de l'activité humaine en tant que gestion de la nature et des besoins de la société, tandis que ma mère, d'autre part, née à Alger, apportait ses compétences de professeur de sciences et surtout de botaniste, spécialisée dans la flore méditerranéenne. Ensemble, ils ont mené une expérience unique alors, conduisant la réhabilitation des terrains agricoles collinaires, appauvris, usés, érodés en les transformant durant 15 années en une exploitation pilote, écologique dirait-on aujourd'hui et rentable, ce qui est assez rare dans ce genre d'aventure.

En ce temps-là, j'ai participé à la gestion des élevages de moutons, de vaches laitières, du rucher d'abeilles d'une part mais aussi à toutes les expériences de ma mère sur les différentes variétés de luzernes, vesces, pois ou différents blés et orges, arbustes fourragers... J'ai suivi les plantations de 70.000 arbres forestiers et 11.000 oliviers. J'ai  donc bénéficié d'une formation agronomique spéciale intense, avec apprentissage de toutes le s plantes qui jaillissaient dans les champs, les ravins, dans le djebel, collection des insectes existants, identifications des animaux sauvages. Avec mon père,  j'ai aussi appris l'histoire de ces sols et de leur utilisations de l'antiquité à nos jours, des populations qui leur étaient liées..

Après la collectivisation des terres agricoles en 1969, je me suis tournée évidemment vers une autre sphère d'action, sans oublier toutefois ma formation d'origine.  Lors de chacune de mes affectations à l'étranger, c'est la nature, la conception du monde agricole qui m'intéressait premièrement en liaison avec l'histoire et le devenir du peuple acteur et auteur de ce domaine de l'économie. Il était donc normal de revenir 35 plus tard à l'agriculture et de reprendre le fil d'une action que je savais essentielle.

Pourquoi cette dénomination d'agriculture environnementale, ne

s'agit-il pas plutôt d'agriculture biologique ?

L'agriculture doit être comprise dans le cadre de l'environnement tout entier. Pas seulement parce que certaines pratiques de cultures intensives se révèlent dangereuses pour la santé des hommes, des animaux et la durabilité des ressources naturelles ou pour les conséquences sur le climat. L'agriculture biologique tend à produire des aliments sains pour l'humanité et à réduire les risques de dégradations des milieux naturels en éliminant le recours au chimique autant que faire ce peut. L'Agriculture Environnementale est une agriculture qui gère d'abord l'environnement et tire partie efficacement des cycles naturels, des interactions biologiques entre la plante, le sol, l'eau, l'air. Sans oublier les milliards de micro organismes qui peuplent les 10 premiers centimètres de notre sol ! Sait-on seulement que l'azote compose 70% de l'atmosphère que nous respirons. Or cet élément chimique est la base des protéines élaborées par les plantes. Il est introduit en masse dans le sol par des bactéries libres vivant dans le sol ou des bactéries partenaires des plantes, puis il est immédiatement mobilisé pour la nutrition des végétaux? et la nôtre.

"Les plantes se nourrissent de la terre et moi, je me nourris des plantes", disait déjà Diderot.

Les quantités d'azote organique ainsi produites naturellement sont énormes à l'échelle de la planète, mais ce résultat n'est obtenu que lorsque la biosphère fonctionne dans toute sa diversité pour permettre les échanges continus depuis l'air jusqu'à la culture au sol. Chaque variété de plantes favorise certaines variétés de partenaires biologiques microscopiques dont elle est dépendante pour son développement et sa fructification. A leur tour, les micros organismes affiliés à leurs végétaux particuliers organisent l'existence et la multiplication d'autres infiniment petits (champignons, insectes) qui pilotent, servent et protègent les végétaux contre les éléments pathogènes ou les insectes ravageurs.


Vous décrivez un univers magique. Quelque peu éloigné  de l'économie agricole technique, n'est  pas un peu utopique  par rapport aux problèmes des régions rurales ?

Notre monde est magique ! Les découvertes scientifiques révèlent peu à peu les secrets de la vie que pressentaient déjà nos ancêtres. Il suffit de relire les Géorgiques - ou poèmes de la terre- de Virgile. Les conseils donnés aux paysans romains sont étonnamment "modernes" et peuvent être appliqués aujourd'hui encore pour la vigne, l'olivier, les vergers de fruitiers, les fourrages?.

Or les problèmes de notre temps en agriculture sont très concrets et résultent d'une pratique technique aveugle aux terroirs régionaux. Il en résulte la perte de fertilité des sols, la dépendance à l'égard des aléas climatiques qui sont sévères en Tunisie, les couts de cultures qui peu à peu dépassent les résultats de productions, une sécurité alimentaire de plus en plus difficile à envisager dans le cadre des crises actuelles, les ressources en eau qui vont s'épuisant. Les paquets technologiques importés ont montré leurs limites (trop chers, dangereux pour la santé et pour l'équilibre des végétaux, polluants des eaux, peu efficaces en cas de sécheresse, exigeant en eux d'irrigation).

Il est temps de se porter vers de nouvelles stratégies de cultures afin de réhabiliter  les terroirs régionaux avec  leurs richesses biologiques spécifiques. Cela peut être accompli en utilisant les  plantes adaptées à ces terroirs et à leurs conditions climatiques. Luzernes, sulla, vesces, fénugrec  et autres plantes soignantes de nos terrains dégradées  résistent à toutes sortes de stress  (sècheresse, pollution, sol s  salés et appauvris) lorsqu'elles sont accompagnées de leur partenaires biologiques :  l'apport en bactéries et en mycorhizes est certes parfois nécessaires sur des sols devenus biologiquement inertes , mais les résultats sont là :

Diverses actions faites par nos soins  depuis 2002 à Goubellat, El Aroussa, Siliana,  Oued Zargha , El Alia, Sidi Thabet et même, en partenariat avec une autre ONG, à Sidi Bou Zid  depuis 2009 ont démontré l'efficacité de ces cultures qui rendent la fertilité aux terrains, fournissent un fourrage riche aux élevages familiaux, assurent aux vergers de fruitiers une couverture végétale protectrice de l'humidité et surtout favorisent la vie des micro organismes et des insectes bénéfiques :  Il n'y a pas que des ravageurs et des "pestes" parmi les êtres vivants de nos campagnes !

Un olivier maintiendra sa productivité sous n'importe quel stress climatique uniquement si son partenaire biologique est présent sur ses racines, puisque seul e la mycorhize lui permet d'accéder aux éléments minéraux indispensables (fer, phosphore, bore, manganèse, etc), contrôle le stockage de l'eau dans son système végétatif, stimule sons système immunitaire.

Telles sont les merveilles de la nature, à étudier, comprendre et utiliser sans modération, car ce sont des ressources durables à condition d'apprendre à les gérer évidemment.

C'est ce monde magique des plantes et des infiniment petits ouvriers de la nature qu'il faut révéler aux jeunes  dès le collège.  Nos régions ont besoin de chercheurs qui se passionnent pour la découverte des relations plantes ? sols avec les microscopiques médiateurs biologiques

 

Il semble que vous ?uvrez  donc surtout pour l'initiation et la formation à cet agriculture environnementale, quelles sont les perspectives  en ce sens ?

Deux associations filles se sont créées en Tunisie et sont devenues nos partenaires permettant d'étendre notre champ d'actions. Il s'agit de l'Association pour l'Éducation Environnementale des Générations Futures et l'Association Tunisienne d'Agriculture Environnementale.

Ces organisations regroupent chercheurs, agronomes, techniciens agricoles, étudiants et agriculteurs ou personnes qui se sentent concernées. Les projets d'initiation en préparation vont permettre de démultiplier les activités en ciblant plus étroitement les publics confrontés aux problèmes agricoles d'une part, en stimulant l'intérêt des jeunes pour un secteur d'économie trop marginalisé d'autre part. Mais il s'agit aussi de stimuler la recherche et soumettant aux chercheurs des demandes précises : l'étude des micro organismes autochtones notamment et les possibilités de créer avec ces micro organismes des bio fertilisants efficaces et faciles d'emploi.

Propos recueillis par Isabelle Enault (www.lepetitjournal.com/tunis.html) lundi 27 août 2012

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Publié le 27 août 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

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