Édition Tokyo

Quand la tradition japonaise se met au vert : le pari audacieux de la cheffe Nagao

Dans un pays où la gastronomie repose largement sur les produits de la mer et les saveurs umami des bouillons traditionnels, la cuisine végétalienne – excluant tout produit d'origine animale, y compris les œufs, les produits laitiers et le miel – peine encore à trouver sa place.

cuisine vegan au Japoncuisine vegan au Japon
Écrit par Bruno Chapiron
Publié le 14 février 2025, mis à jour le 20 mars 2025

Pourtant, certaines figures de la cuisine japonaise explorent de nouvelles voies pour concilier héritage culinaire et exigences contemporaines. C’est le pari de la cheffe Nagao, qui, à Kamakura, propose une expérience inédite : un déjeuner végétalien accordé au saké, illustrant ainsi une approche novatrice et raffinée de la gastronomie japonaise.

 

C’est sous l’impulsion d’un ami que la cheffe Nagao s’est lancée dans ce projet. Passionnée par le saké et ses multiples expressions, elle a arpenté les sakagura — brasseries de Saké — et suivi des formations pour en décrypter les secrets. Rapidement, une évidence s’impose : « Le saké est un compagnon idéal des plats végétaliens. Il en rehausse les saveurs et en magnifie la subtilité. »

Dans son menu, point de dashi — ce bouillon traditionnellement infusé de bonite séchée — mais une déclinaison savamment composée d’algues, de champignons et de légumineuses, destinée à restituer la profondeur aromatique du terroir japonais. Ce choix s’inscrit dans une volonté de repenser l’harmonie des saveurs sans trahir l’essence de la cuisine nippone. « La cuisine japonaise repose sur l’umami, cette saveur qui touche au cœur. Dans mes plats, elle se déploie différemment, mais elle est toujours présente, » affirme la cheffe.

 

délicieuse cuisine vegan

 

Le shōjin ryōri, une source d’inspiration ancestrale

Cette approche résonne avec une tradition culinaire japonaise ancienne : le shōjin ryōri, la cuisine végétarienne des temples bouddhistes. Développée par les moines zen, elle exclut non seulement la viande et le poisson, mais aussi les produits laitiers, les œufs et même certains légumes forts en goût comme l’ail et l’oignon. Fondée sur la simplicité et l’équilibre des saveurs, elle repose sur l’utilisation de légumes de saison, de tofu et de bouillons végétaux riches en umami. Ce savoir-faire millénaire, bien que peu répandu en dehors des cercles religieux, offre un cadre idéal pour réinterpréter la cuisine végétalienne au Japon. La cheffe Nagao s’inspire de cette philosophie pour composer des plats harmonieux, où chaque ingrédient joue un rôle précis dans l’expérience gustative.
 

 

accord cuisine vegan et saké

 

L’accord avec le saké, une alchimie encore méconnue

Si l’association entre le vin et la gastronomie occidentale est un art consacré, celle du saké et de la cuisine végétalienne reste à explorer. La cheffe Nagao défend une approche fondée sur l'équilibre : « Les produits fermentés japonais, qu’ils soient acides, salés ou riches en umami, trouvent un écho naturel dans les caractéristiques du saké. » Ainsi, un daiginjō aux notes fruitées s’accordera parfaitement avec un tempura léger, tandis qu’un saké plus sec exaltera la douceur ronde des algues kombu.

Le public japonais reste toutefois peu familiarisé avec ces mariages audacieux. « La cuisine végétalienne reste marginale au Japon. L’intérêt pour le saké, lui, est en déclin. Pourtant, la demande étrangère est bien réelle, et c’est elle qui pourrait redonner ses lettres de noblesse à ces traditions revisitées, » estime Nagao. Pour accompagner ce changement, elle prône une démocratisation de la cuisine végétalienne, loin de l’image d’une ascèse privative. « Les gens ignorent qu’un plat comme le tempura de légumes ou un simple peperoncino sont déjà végétaliens. C’est avant tout une cuisine du plaisir et de la convivialité. »

 

 

cuisine vegan à kamakura

 

Un avenir porté par l’international

Alors que les habitudes alimentaires évoluent, la cuisine végétalienne s’impose progressivement comme une réponse aux attentes de plus en plus diversifiées des consommateurs. Au Japon, si les mentalités tardent à changer, l’influence des visiteurs internationaux ouvre de nouvelles perspectives. Nagao en est convaincue : « C’est par l’intérêt des étrangers que le Japon redécouvrira son propre patrimoine culinaire sous un jour nouveau. »

Ainsi, loin d’une opposition entre modernité et tradition, la cheffe propose une réconciliation entre les deux. En réinterprétant la cuisine japonaise à travers le prisme du végétalisme et du saké, elle ne la dénature pas : elle lui ouvre simplement une nouvelle voie, plus inclusive, plus durable, et surtout, plus en phase avec les aspirations du monde contemporain.

 

 

cuisine japonaise vegan

 

Une révolution gastronomique en marche ?

Si la cuisine végétalienne et les accords avec le saké restent encore confidentiels au Japon, des initiatives comme celles de la cheffe Nagao pourraient bien amorcer une révolution discrète mais profonde. Entre respect des traditions et ouverture aux influences modernes, cette nouvelle approche culinaire dessine les contours d’un futur où la diversité alimentaire s’impose comme une richesse plutôt qu’une contrainte. Une invitation à redécouvrir le Japon sous un prisme inédit, où chaque saveur raconte une histoire d’évolution et de transmission.
 

Pour en savoir plus (page en japonais) : rendez-vous sur le site du restaurant Kitotoki.

Photos de l'article par Bruno Chapiron

Flash infos

    Les annonces à Tokyo