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À Hiroshima, le G7 critiqué par les mouvements anti-nucléaires

Du 19 au 21 mai 2023, les pays membres du G7 se sont rassemblés au Japon pour leur réunion annuelle. L’occasion pour eux d’aborder la question des armes nucléaires dans la ville symbolique d’Hiroshima. Leur position a été jugée “insuffisante” par les activistes anti-nucléaires au niveau local et international.

Les dirigeants au G7 d'HiroshimaLes dirigeants au G7 d'Hiroshima
Écrit par Elina Pernin
Publié le 5 juin 2023, mis à jour le 11 juillet 2023

Au cours de ces trois journées de discussion, l’un des points figurant sur l’agenda chargé des dirigeants du G7  était la question du nucléaire. Ces derniers ont affirmé, le  19 mai 2023 dans un communiqué officiel leur “engagement à créer, avec une approche réaliste, pragmatique et responsable, un monde sans arme nucléaire, garantissant une sécurité pour tous.” Ils ont également rappelé dans cette déclaration, leur adhésion à la politique de dissuasion nucléaire et au Traité de non-prolifération, entré en vigueur en 1970. Deux éléments essentiels puisque  trois pays parmi les sept, sont dotés de l’arme nucléaire : la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Un texte jugé insuffisant

Pourtant ce sommet et ce texte, sont “extrêmements décevants”, a déclaré Daniel Högsta, directeur exécutif de la Campagne Internationale pour Abolir les Armes Nucléaires (ICAN). 

Un constat partagé par les activistes anti-nucléaires et par une autre porte-parole de l’ICAN, Setsuko Thurlow, une survivante de Hiroshima. Appelés hibakusha, les survivants des bombardements nucléaires de 1945 ont pu s’exprimer et rencontrer les dirigeants du G7 pendant le sommet. Un échange qui n’a pas porté les fruits espérés selon Daniel Högsta :

Quand on lit le communiqué, on dirait que [les dirigeants] ont ignoré le message provenant de Hiroshima. L’extrait dédié à la question des armes nucléaires ne contient rien de nouveau ou de concret qui pourrait véritablement mener au désarmement (...) la déclaration pourrait avoir été écrite il y a 10 ou 20 ans car il n’y a aucune réflexion sur l’urgence actuelle de la situation.” 

L'association ICAN
Daniel Högsta, Setsuko Thurlow et Akira  Kawasaki (Représentant de la campagne internationale ICAN et membre du comité executif de l’ONG japonaise Peace Boat) lors de la conférence de presse donnée par ICAN le 21 mai 2023 à Hiroshima. © ICAN

En effet, dans un climat de tension en Europe avec la guerre en Ukraine,  la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine et la menace provenant de la Corée du Nord, les situations impliquant l’utilisation potentielle d’armes nucléaires sont multiples. 

Sur le même sujet, en 2022, le G20 condamnait l’utilisation des armes nucléaires de façon globale, qualifiant leur emploi “d’inacceptable”. Le G7 a utilisé ce terme uniquement pour condamner l’emploi d’armes nucléaires provenant de la Russie, explique Daniel Högsta. Pour le directeur executif de l’ICAN c’est un véritable “pas en arrière.” 

Cette critique va plus loin pour certains activistes japonais, qui ont participé au Rassemblement citoyen pour contester le sommet du G7 le 13 et le 14 mai 2023 à Hiroshima. Le rassemblement a réuni plus de 230 personnes provenant des quatre coins du Japon, d’après les organisateurs.

 

À Hiroshima, mobilisation contre la politique de dissuasion nucléaire

Nous demandons l’abolition des armes nucléaires et non pas une utilisation dissuasive de ces armes”, nous explique l’un des participants, Yuki Tanaka, écrivain et ancien professeur retraité d’histoire à l’Institut pour la Paix de l’université de Hiroshima. Selon lui,  la ville de Hiroshima est utilisée politiquement pour “camoufler les crimes de guerre et la responsabilité des gouvernements japonais et américains [de ce] terrible crime contre l’humanité”, faisant référence aux bombardements atomiques de 1945. 

L’écrivain explique que la politique de dissuasion est “extrêmement dangereuse car elle incite les pays comme la Chine ou la Corée du Nord à produire plus d’armes nucléaires”.  Il considère donc que cette doctrine militaire ne peut pas mener à la paix. “ C’est un cercle vicieux auquel nous devons mettre fin”, conclut-il. 

Yuki Tanaka lors de la présentation de son nouvel ouvrage intitulé Entwined Atrocities: New Insights into the U.S.–Japan Alliance (inédit en français) au FCCJ à Tokyo, le 25 mai 2023.


“Usage militaire et usage civil du nucléaire, même combat”

La menace militaire est claire, mais qu’en est-il du risque du nucléaire civil ? La question est soulevée lors du Rassemblement citoyen de Hiroshima par Satoshi Ukaï. Ancien professeur de français à l’université Hitotsubashi, retraité depuis deux ans, il nous explique que le sommet du G7 pourrait être  “un tournant décisif vers le réarmement du Japon et une légitimation des efforts de guerre, dans un pays pourtant doté d’une Constitution pacifique qui n’a jamais été révisée”. Satoshi Ukaï fait ici allusion à  l’article 9 de la Constitution de 1947 du Japon, dans lequel il est inscrit que “le peuple japonais renonce à jamais à la guerre”. 

Rappelons que le pays, dépendant du parapluie nucléaire américain a tout de même un programme nucléaire civil et donc un stock important de matériaux fissiles, élèments nécessaires à la fabrication des armes atomiques. Satoshi Ukaï alerte donc sur ce risque en insistant sur le fait “qu’il y a toujours la possibilité de transformer la technologie nucléaire en arsenal militaire”.

Si le gouvernement japonais maintient la position adoptée en 1967 par l’ancien premier ministre Eisaku Sato, sur les trois principes anti-nucléaires, qui consistent à “ne pas posséder, ne pas produire et ne pas introduire d’armes nucléaires” sur le sol japonais, le pays ne fait pas partie aujourd’hui des 92 pays signataires du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par les Nations Unies en 2017. 

La France n’y pas adhéré non plus. Selon le site de France Diplomatie,la dissuasion nucléaire française reste la garantie ultime de la sécurité et de l’indépendance de la France”. Le gouvernement japonais partage la même position, déclarant officiellement en 2013  que la dissuasion nucléaire américaine reste “indispensable”.

Envisager un monde sans armes nucléaires paraît donc encore difficile pour l’instant et leur existence reste défendue par une partie de la communauté internationale. 

Pourtant, la tenue de cette réunion du G7 à Hiroshima a permis de mettre la lumière sur les contestations des activistes. Des manifestations dans les rues aux campagnes sur les réseaux sociaux, en passant par les discussions avec les parlementaires, la lutte anti-nucléaire se fait sous plusieurs formes depuis plus de 70 ans. Alors que les témoignages de ceux qui ont connu les bombardements de Nagasaki et Hiroshima sont au cœur du message de sensibilisation, qu’en est-il de la question de cette transmission aujourd’hui? 

Une lutte initiée par les survivants dont la mémoire disparaît progressivement

Les victimes et les survivants des bombardements nucléaires ont mené et  inspiré le mouvement pour interdire les armes nucléaires”, rappelle Daniel Högsta. 

Si les hibakusha restent au coeur de cette lutte, leur mémoire elle, “est en train de disparaître”, nous explique Yuki Tanaka. “Nous devons développer notre propre méthode pour pouvoir transmettre cette mémoire et raconter à quel point la bombe atomique a été un drame épouvantable”, ajoute l’écrivain. Pour cela, différents supports peuvent survivre aux hibakusha aujourd’hui âgés de plus de 80 ans, comme “la littérature, le cinéma, l’animation ou la musique”, énumère-t-il. 

Sur place, à Nagasaki et à Hiroshima, les musées dédiés à cet épisode tragique de l’Histoire font ce travail de transmission, mais il est aussi possible d’en apprendre plus à moins de deux heures de Tokyo. Dans la préfecture de Saitama, le Musée Maruki, dédié aux oeuvres du couple Iri et Toshi Maruki, présents à Hiroshima après le bombardement, est un lieu qui continue à faire vivre cette mémoire à travers l’art. Il est ouvert de 9 heures à 17 heures du mardi au dimanche.

 

Image de couverture : Les chefs d’États des pays membres du G7, réunis au parc du mémorial de la paix de Hiroshima le 19 mai 2023.


Pour en savoir plus : 

 

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