Ronan Le Gleut, l’un des douze sénateurs représentant les Français établis hors de France, membre du groupe Les Républicains, a fait escale à Singapour dans le cadre d’une tournée en Asie. Le Petit Journal l’y a rencontré pour mieux le connaître et en savoir plus sur ses préoccupations du moment.
Monsieur le sénateur, comment devient-on sénateur après une formation initiale d’ingénieur des télécommunications ?
Cela tient en partie au fait que je suis né à l’hôpital militaire de Berlin, ville ou mon père était stationné, au temps où le mur existait encore. Mes parents sont revenus en France quand j’avais trois ans et je n’ai donc pas vraiment gardé de souvenirs de cette ville. En revanche, ils m’en ont beaucoup parlé dans ma jeunesse, ce qui a forgé dans mon esprit une attirance pour cette ville. C’est pourquoi, en 2003, trois ans après avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur, mes pas se sont dirigés vers Berlin, où j’ai trouvé un poste à l’Office Européen des Brevets à Berlin.
Durant mes temps libres, j’étais impliqué dans la vie associative. J’ai été notamment président de l’UFE de Berlin pendant 10 ans, ce qui m’a permis d’aider la communauté française de manière très pratique et de m’en faire apprécier. Apres la création des conseils consulaires en 2013, je me suis présenté aux premières élections en 2014 et j’ai été élu pour la première circonscription consulaire d’Allemagne. Dans la foulée, j’ai été élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger (AFE). Mon activité à la commission des lois m’a permis de m’y faire connaitre et m’a amené à présenter avec succès ma candidature au poste de sénateur en 2017. C’est au bout du compte un parcours assez classique.
En fait je ne suis pas le seul ingénieur au parlement. De plus l’existence de tels profils au sein des organes législatifs est très précieuse, compte tenu du caractère de plus en plus technique et de plus en plus complexe de notre société. Beaucoup de lois ou de choix publics sont sous-tendus par des considérations scientifiques et techniques qu’il importe de bien comprendre pour prendre des décisions fondées. C’est d’ailleurs tout l’objet de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques dont je fais partie. Cet organisme, établi en 1983, est composé à parts égales de membres du Sénat et de l’Assemblée Nationale, représentatifs de l’échiquier politique. Son rôle est d’informer le parlement sur les choix scientifiques et techniques dans le but d’éclairer ses décisions, en collectant de l’information, lançant des projets d’études, et menant des évaluations, concrétisées à travers des rapports. Aujourd’hui, les principaux sujets de ce comité sont l’énergie, l’environnement, les nouvelles technologies, et les sciences de la vie. J’ai par exemple contribué, avec deux députés, à un rapport sur les blockchains en 2018.
Quels sont vos principaux sujets de préoccupation aujourd’hui ?
Je fais partie de la commission affaires étrangères, défense et forces armées. Le contact avec les affaires étrangères est déterminant quand il s’agit de défendre la cause des Français de l’étranger. Je suis rapporteur budgétaire pour le programme 185 du budget de ce ministère, qui couvre la diplomatie culturelle et d’influence (ce qu’on appelle en anglais le « soft power »), et qui s’élève à 720 millions d’euros. La plus grosse partie de ce budget (420 millions d’euros) concerne l’AEFE (Agence pour l’Enseignement du Français à l’Étranger), au conseil d’administration de laquelle je siège. Du côté défense, les sujets du moment sont la défense européenne et le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur).
Depuis 2021, je suis aussi président du groupe d’études « statut, rôle et place des Français établis hors de France », qui vise à éclairer le parlement, au-delà des ses membres représentant les Français de l’étranger, sur les problématiques de cette population. Ces dernières années, un des sujets récurrents a été l’effritement continu des moyens accordés au réseau consulaire, conduisant à une baisse de leurs performances.
Avec deux collègues sénateurs, je viens de préparer une proposition de loi, visant à créer un statut de « résidence d’attache » pour les Français établis hors de France. En effet, aujourd’hui, la plupart des Français partant à l’étranger gardent une habitation en France. Celle-ci est aujourd’hui considérée comme une résidence secondaire et subit donc la taxe d’habitation. Or ce n’est pas un luxe. Cette résidence s’avère un refuge nécessaire lorsqu’un incident survient à l’étranger, qu’il s’agisse de troubles politiques (voir ce qui s’est passé en Ukraine ou en Ethiopie récemment), de catastrophes naturelles, d’aléas professionnels, ou de problèmes de santé (Covid). Cela peut aussi être leur future résidence de retraite. Notre proposition est d’introduire à côté des statuts existants de « résidence principale » et de « résidence secondaire », un troisième statut de « résidence d’attache », qui serait exonéré de la taxe d’habitation. Une seule résidence en France pourrait bénéficier de ce statut à condition qu’elle soit libre de toute occupation permanente et ne génère aucun revenu locatif.
Je suis également président du groupe interparlementaire franco-allemand, où nous discutons en ce moment les problèmes de gestion énergétique : échanges d’électricité, nucléaire, gaz russe.
Qu’est-ce qui vous amène en Asie aujourd’hui ?
Comme vous le savez, contrairement à leurs homologues de l’Assemblée nationale, les sénateurs représentant les Français établis à l’étranger ne sont pas liés à une circonscription : ils couvrent le monde entier. Cette vision globale leur permet d’appréhender la diversité des situations et des besoins de nos compatriotes expatriés, de façon à pouvoir informer les décideurs parisiens de la réalité du terrain. Mais pour obtenir cette vision globale, il est important d’aller voir sur place ce qu’il se passe. Cela permet en outre de prendre connaissance d’expériences intéressantes qui pourraient être répliquées ailleurs. Par exemple, des lycées français de Madagascar et du Maroc offrent des formations post-bac allant vers un BTS en deux ans : d’autres pays pourraient mettre en place des cursus similaires avec profit.
Je suis arrivé de Paris, et après Singapour, je vais aller au Vietnam et aux Emirats Arabes Unis. A Singapour, qui compte une des communautés françaises les plus importants et les plus dynamiques d’Asie, j’ai notamment visité le lycée français, qui est un des vaisseaux amiraux du réseau d’enseignement français à l’étranger, le consulat, qui a une nouvelle responsable et dont les moyens sont limités, et l’attaché de défense, pour partager des réflexions stratégiques sur la région, sachant que Singapour et la France entretiennent des relations très étroites en matière de défense de longue date. Singapour est d’ailleurs le seul pays étranger ayant une emprise dans une installation militaire française, en l’occurrence la base aérienne de Cazaux, près de Bordeaux, où sont formés des pilotes de l’armée de l’air singapourienne, et ce depuis 1998.
Un des sujets qui revient ici est la hausse très importante du coût des logements ces derniers mois. Nous sommes en train de réfléchir à des moyens d’atténuer son effet, notamment pour les enseignants du lycée français.