J’ai rencontré le styliste français Nicolas Laville en 2017, durant la préparation de la soirée de gala de la Chambre de Commerce Française à Singapour (FCCS), au cours duquel il avait présenté une nouvelle collection sur le thème “Imaginarium”. Le contact s’est vite établi, Nicolas est une personne très créative, sympathique et généreuse. L’année suivante, j’ai eu le privilège de porter deux de ses magnifiques créations à l’occasion d’un spectacle, ce qui m’a permis d’apprécier à sa juste valeur tout le savoir-faire, le temps, la patience et le dévouement portés par chacune de ses pièces.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ? Comment êtes-vous arrivé à Singapour ?
Nicolas Laville : Après 7 ans d’études avec CAP, BAC pro artisanat des métiers d’art, et BTS industrie des matériaux souples, j’ai commencé à travailler en 2004 dans le secteur de l’équipement militaire ; j’avais répondu à un appel d’offre pour créer un gilet pare-balles féminin pour la douane et la gendarmerie, lors d’une compétition où la France se confrontait aux Etats-Unis et à la Russie. A seulement 22 ans, j’ai remporté l‘appel d’offre ! Je suis fier que nos officiers de douane et gendarmerie de sexe féminin portent encore mon gilet.
Par la suite, j’ai travaillé environ un an auprès d’une société qui produisait des prototypes pour les usines de production de grandes griffes comme Kenzo, Lacroix, Céline ; puis j’ai déménagé à Honfleur auprès de la styliste Anne Fontaine. Je me souviens encore avoir créé ma propre chemise blanche pour me rendre à l’entretien et c’était grâce à cette chemise que j’ai été embauché.
Comme tous les jeunes créatifs, j’ai voulu monter mon propre atelier à Rouen, mais hélas, la vie est difficile pour les jeunes entrepreneurs. J’ai donc commencé à envoyer des CVs un peu partout, en obtenant souvent la même réponse « trop qualifié »… Mais un jour, j’ai reçu une offre en provenance de Shanghai, pour un poste d’enseignant en modélisme et me voilà parti pour l’Asie. Après cette expérience d’enseignement, j’ai travaillé auprès d’une agence textile Network Sourcing, un groupe représentant plusieurs grandes griffes.
Ma vie a changé de nouveau lors d’un weekend loisir à Bangkok, où j’ai rencontré Christopher, jeune architecte singapourien, que j’ai suivi à Singapour et avec lequel je me suis marié il y a trois ans. Nous avons créé il y a six ans notre société, NL Couture. Un an après l’ouverture de mon activité, un article dans le Singapore Tatler, une véritable référence ici pour la mode haut de gamme, a marqué mon entrée dans le monde doré de la jet-set singapourienne.
Comment et quand avez-vous découvert votre passion pour la couture, les tissus, les différents matériaux avec lesquels vous travaillez chaque jour ?
Ma maman était mère célibataire avec deux enfants ; déjà gamin j’avais pris goût à cuisiner ou à bricoler des petites choses. A la fin du collège, j’ai décidé de m’inscrire auprès d’une école hôtelière, j’étais déterminé à devenir chef. Mais encore une fois, le hasard est entré en jeu : un jour ma mère a revu l’un de ses ex-enseignants de couture (note du rédacteur : la maman de Nicolas avait fait des études de couture, mais avait fini par travailler dans l’agroalimentaire) et elle m’emmené avec elle. L’école était une véritable mine de tissus, dessins, maquettes, et tout cela m’a fasciné… A tel point, que j’ai décidé de changer d’orientation. J’ai envoyé mes dessins à Jean-Paul Gaultier, qui à ma grande surprise m’a répondu en me conseillant de m’inscrire dans une école de stylisme, à Paris ou ailleurs. C’était le signe que j’attendais ! J’ai alors balayé mes hésitations : ce serait la couture, ou rien.
Quel est le profil de vos clientes ? A quoi ressemble une journée-type ?
Une fois arrivé à Singapour, j’ai vite décidé que ma cible serait le haut de gamme : la présentation de ma toute première collection m’a pris plus d’un an de travail et toutes mes épargnes. Heureusement, ce projet a amené les résultats espérés. Depuis cette première collection, beaucoup de clientes sont devenue des ‘régulières’, et la presse spécialisée me suit. Le réseau s’est créé et il est très actif.
On ne peut pas parler d’une journée type ou de routine, tout dépend du projet du moment et de la création en cours. Je trouve les matières pour mes créations surtout à Singapour ; rarement lors de mes voyages à l’occasion desquels j’achète plutôt des tissus particuliers. Je préfère travailler pour des clientes individuelles, plutôt que de réaliser de grandes collections, car je n’aime pas suivre les « tendances » internationales ; exception faite pour les robes de mariées !
Vous collaborez régulièrement avec la FCCS lors de la préparation des défilés de mode qui clôturent traditionnellement ses Galas. Comment de tels projets se mettent en place ? Pourriez-vous partager avec nos lecteurs quelques anecdotes ?
Ma collaboration avec la FCCS pour le Gala 2017 est née l’année précédente, lors du Gala 2016. Le neveu de mon amie modiste travaillait au restaurant St Pierre, et sa copine était stagiaire à la FCCS. La jeune fille n’avait pas de robe de soirée pour participer au Gala de la Chambre de Commerce, je lui ai donc proposé une combinaison noire pour cet évènement : cette pièce a eu l’effet d’une carte de visite ! L’équipe de la FCCS l’a tellement appréciée qu’ils m’ont proposé de créer une collection pour le Gala 2017. Inutile de préciser que j’ai été enthousiaste, ma seule condition a été de faire venir ma modiste à Singapour, afin qu’elle puisse réaliser les chapeaux du défilé. En un peu plus de 6 mois, j’ai dessiné et réalisé à la main une quarantaine de modèles féminins.
Dans tous ces projets, il y plein des épisodes amusants : un mannequin qui rentre sur scène en portant son pantalon à l’envers ; ou un autre modèle qui, juste deux minutes avant de défiler, casse le zip de sa robe et hop ! on recoud le tout en coulisse en 30 secondes… Le plus beau moment, c’est l’applaudissement des invités, même si j’avoue ne pas trop aimer monter sur scène.
Trouvez-vous votre inspiration pour vos créations en Asie et ou à Singapour?
Mon atelier est à Spottiswoode Park, dans une shop-house et un quartier où l’architecture est vraiment spéciale ; je suis aussi fasciné par les fleurs des parcs de la ville. Impossible de ne pas s’en inspirer. En revanche, la façon de couper et le savoir-faire restent très français.
Si vous aviez la possibilité de changer de métier, quel serait votre choix ?
Chef de cuisine ! Et ce n’est pas un rêve irréalisable, bien au contraire ! Depuis presque un an, je travaille sur un projet de gastronomie, qui a enfin été lancé en août dernier sous le nom « Viking’s Table ». Une véritable table d’hôte en plein cœur de Singapour, avec, au menu, la cuisine française autre que celle proposée très souvent dans la Cité-Etat : les savoirs du terroir grâce à un menu qui change tous les trois mois et qui nous permet de déguster les spécialités des régions de France. Le plus : cela se passe au même endroit que mes créations de couture, vous pouvez donc faire plaisir aux yeux comme aux papilles !
Je remercie Nicolas pour son temps et, avant de partir, je jette un dernier regard à son atelier : les cabines d’essayage élégantes et accueillantes, les mètres de tissu empilés au coin de la pièce, et le modèle du moment sur la table, entre fils, épingles et maquettes. Puis, en descendant, je regarde sa belle table et la belle collection de bouteilles qui m’observent du haut du comptoir-bar… Je vais revenir, très certainement !