A première vue, Singapour apparait comme un pays occidental. En rester à cette première impression risque pourtant de conduire à des incompréhensions ou des faux pas dommageables. Les éviter nécessite d’en savoir plus sur la culture locale, même si parler de ce sujet dans un pays aussi multiple que Singapour est un défi que les Singapouriens eux-mêmes ont parfois du mal à relever. Il faut cependant s’y essayer pour naviguer au mieux dans cette société multiple et en apprécier la richesse. On s’aperçoit alors qu’émergent certains points communs aux diverses cultures qui cohabitent dans ce pays.
Ces points concernent principalement les communautés chinoises, malaises et indiennes, qui constituent 98% de la population singapourienne. Mais ils peuvent valoir pour les autres petites communautés asiatiques qui vivent ici.
La communauté prime sur l’individu
D’une manière générale, les Asiatiques, comme les Africains, et au contraire de beaucoup d’occidentaux (en particulier les Français), privilégient la communauté sur l’individu. Les philosophies de Confucius et de Lao Tseu supportent cette vision. La communauté, ce peut être la famille, l’école où on étudie, l’organisme où on travaille, la communauté religieuse ou philosophique à laquelle on appartient, jusqu’à la nation elle-même.
La liberté individuelle trouve vite ses limites face à la pression collective de ces groupes. Beaucoup de décisions personnelles sont encore prises au niveau familial. L’uniforme est de mise à l’école où l’enseignement reste majoritairement magistral. Les Singapouriens et les PR mâles doivent faire un service militaire de 2 ans suivi par une dizaine de périodes de réserve. Les églises sont pleines le dimanche.
Ce communautarisme se combine avec un grand respect des règles sociales
Tout d’abord, ils sont plus facilement enclins à respecter les règles communes, qu’ils s’agissent des lois du pays, des pratiques religieuses, ou des coutumes culturelles. Les Singapouriens n’ont pas vraiment contesté les mesures, pourtant contraignantes, liées à la pandémie. Les fêtes sont toujours l’occasion de réunions familiales ou les traditions sont encore vivantes. Ils sont patriotes comme le montre leur enthousiasme lors de la fête nationale. Tout cela se traduit par une grande discipline inculquée dès l’école.
D’une manière générale les Singapouriens, et en particulier les musulmans, sont plus attachés à leurs convictions et pratiques religieuses que l'est le Français moyen. L’humour sur ce sujet serait mal venu. De toute façon, le respect des autres, de leurs croyances et de leurs coutumes, devrait être la règle, quel que soit le pays où on se trouve, et les lois de Singapour sont là pour rappeler à l’ordre les provocateurs (Maintenance of Religious Harmony Act). Charlie Hebdo n’a pas sa place ici.
Ce respect s’étend aux biens. Hormis les domiciles privés cibles d’usuriers (loan sharks) en attente de paiement, les cas de vandalisme sont rares. Singapour est sans doute un des rares pays où vous pouvez retrouver votre portefeuille intact après l’avoir perdu. L’omniprésence des caméras aide sans doute à la faiblesse du taux de criminalité (Singapour est classé comme l’un des pays les plus sûrs au monde), mais les mentalités y jouent aussi un grand rôle.
Au travail, ils mettent un point d’honneur à respecter leurs engagements, quitte à devoir faire des heures supplémentaires, souvent non rémunérées, aux dépens de leur vie familiale.
Ils ont aussi plus respectueux à l’égard des anciens. Dans un pays où il n’y a pas vraiment d’équivalent à notre système de retraite, beaucoup contribuent encore aux finances de leurs parents ou grands-parents, voire les hébergent. Cela se retrouve dans le monde du travail avec le respect de la hiérarchie et l’attachement aux titres.
Ce respect concerne aussi les sachants, qui sont mieux considérés que les héritiers. Dans un pays attaché à la méritocratie, l’éducation est un secteur particulièrement valorisé et les enseignants sont hautement considérés.
Enfin, au-delà de la culture, il y a des sujets avec lesquels la loi ne badine pas et qu’il ne vaut mieux pas approcher : la drogue, la corruption, la diffamation, …
Ce comportement respectueux débouche sur un certain conformisme
Discuter les idées des personnes détentrices de l’autorité (parents, hiérarchie, gouvernement) n’est pas de mode. Le langage corporel est souvent plus révélateur que les mots. Le « yes » peut simplement signifier « je vous ai entendu ». Il faut donc être très attentif et employer des biais pour détecter ou susciter des réactions.
La pudeur est de mise en public. S’embrasser à pleine bouche dans la rue reste mal vu. Même chez soi, se promener nu n’est possible que si personne ne peut vous voir de l’extérieur. Dans le milieu professionnel ou chez les Singapouriens, mieux vaut éviter les tenues trop excentriques.
Mais cette pudeur touche également l’expression : les Singapouriens ne partagent guère leurs émotions. La maitrise de soi est importante et garder son calme en toute circonstance est recommandé, comme éviter de provoquer les autres sur des sujets sensibles.
Cette réserve résulte aussi de la crainte de perdre la face
En effet exposer ses idées ou ses émotions personnelles, c’est prendre le risque de se trouver en position de faiblesse face aux autres. Au-delà de sa propre personne, ce sont les groupes auxquels on appartient qui peuvent être atteints. Réciproquement, il n’est pas recommandé de pousser quelqu’un dans ses derniers retranchements pour l’amener à perdre la face. Il s’ensuit qu’il est malvenu d’aborder les problèmes de front et que des approches indirectes sont souvent préférables.
Le « kiasu » dicte beaucoup de comportements
Venant du dialecte chinois Hokkien, ce terme, qui signifie « la peur de perdre », se traduit par un comportement hyper-compétitif et qui, en contraste avec l’attitude généralement respectueuse des Singapouriens, donne l’impression d’un comportement très individualisé, à l’occidental. Cela peut prendre de nombreux aspects.
Dans le métro, malgré les consignes de queues organisées et de sièges prioritaires, les voyageurs ont tendance à se précipiter dans les voitures dès que les porte s’ouvrent, bloquant le flux sortant, pour atteindre avant les autres les sièges libres. Sur la route, les Singapouriens semblent oublier leur civilité habituelle, par exemple en changeant de file sans avertissement. Dans les lieux de restauration en libre-service, la pratique de poser un objet (notamment un paquet de mouchoirs en papier) sur une table pour la réserver avant d’aller commander (« to chope » en argot local) peut choquer l’occidental qui attend son tour dans la queue.
Les promotions ou l’arrivée de nouveaux produits (particulièrement les nouveaux modèles de smartphones) donnent lieu à des queues interminables, commençant parfois la veille au soir.
Mais le plus important reste de réussir sa vie aussi bien sinon mieux que les autres. Cela commence dès l’école ou les parents dépensent des fortunes en cours particuliers (cette industrie pèse 1.4 milliard de SGD !) pour que leurs enfants aillent dans les meilleures écoles et filières. Il faut absolument réussir dans tous les domaines : famille, carrière, loisirs et patrimoine. Le but des Singapouriens a été longtemps d’atteindre les 5 « C » : Cash, Car, Credit card, Condominium and Country club membership.
Finalement, tout cela aboutit à une grande utilisation des media sociaux, où chacun expose sa réussite, quitte à parfois enjoliver les choses. Mais qui ne le fait pas ?
Le pays lui-même n’échappe pas à cette tendance : Singapour a été une des rares destinations du Concorde et les premiers vols commerciaux du A380 ont été sous pavillon Singapore Airlines.
Les relations jouent un rôle très important dans les affaires
Singapour est un pays de droit. Cependant, tout en restant dans le cadre des lois, les Singapouriens préfèrent travailler avec des gens de leur groupe de relations (famille, amis, anciens camarades d’école), plutôt que de passer des heures à peaufiner un contrat avec des inconnus, même si les conditions paraissent objectivement meilleures. Ils pensent en effet qu’en cas de difficulté de quelque nature que ce soit, il sera plus facile de négocier avec quelqu’un qu’ils connaissent de longue date et en qui ils ont confiance, que de faire appel à des avocats, comme des occidentaux le feraient. Cela peut aussi permettre des approches plus pragmatiques. Il est donc très important de tisser des relations avant d’entrer en affaires.
Or ce n’est pas évident. En effet, la distance entre la culture singapourienne et la nôtre, et la durée limitée du séjour de la plupart des expatriés font qu’il n’est pas facile de créer des relations durables avec des Singapouriens, hormis ceux qui ont étudié ou travaillé durablement dans des pays occidentaux.
La globalisation, dont Singapour est sans doute un des exemples au niveau mondial, tend à éroder progressivement ces aspects culturels traditionnels
Depuis des décennies, Singapour s’est ouvert au monde, ce qui a été crucial pour son développement. La culture occidentale, particulièrement américaine, a envahi le pays : produits de consommation, musique, films, style de vie, … Cela a bien sûr amené certains, notamment les plus jeunes, à questionner leur culture ancestrale et à s’en éloigner, pour le meilleur et pour le pire.
Les jeunes sont en particulier plus enclins à parler des sujets qui fâchent, comme le racisme. Ils sont aussi plus ouverts sur la capacité à choisir sa vie : choisir son conjoint ou ne pas se marier, choisir sa sexualité, avoir des enfants ou pas, ou choisir sa carrière. Les femmes prennent une place croissante dans la vie de la société.
Mais il y a un revers à cette évolution. Des graffitis apparaissent sur les murs. Malgré les efforts du gouvernement pour promouvoir la natalité, le taux de fécondité reste un de plus bas au monde (1.15 en 2021). Le nombre de foyers multi générations diminue au profit des maisons de retraite. Le développement des restaurants fast food va de pair avec celui de l’obésité.
Pour avoir un panorama assez complet de la culture singapourienne, vous pouvez lire le livre de la collection « culture smart » sur Singapour.