Depuis quelques années, le gouvernement de Singapour entreprend une politique de sauvegarde et de revitalisation d’anciennes casernes et propriétés militaires britanniques. Une reconnaissance de leur intérêt architectural et de leur rôle clef dans l’histoire de la cité-État. Ces military barracks ont une typologie similaire aux résidences coloniales dites Bungalows dont les maisons Black and White font partie.
Grâce à de fantastiques restaurations, des investisseurs les ont transformés en hôtels de luxe, élégants, cosy, romantiques ou bucoliques. Un tour de force car il a fallu chasser les fantômes des événements dramatiques de la seconde guerre mondiale.
Le mot bungalow est employé à Singapour pour n’importe quel type de résidence individuelle quel que soit sa taille, son style architectural ou l’endroit de construction. Du plus somptueux au plus modeste, le bungalow entre dans la catégorie des detached houses, maisons non-mitoyennes d’un étage, bâties sur un terrain individuel souvent très spacieux.
Au début du XXe siècle, les bungalows deviennent la norme pour les résidences des officiers britanniques, des fonctionnaires coloniaux et d’une élite commerçante occidentale et chinoise. Nombre de bâtiments sont également construits par les ingénieurs du génie royal britannique pour loger les régiments d’Artillerie et d’Infanterie et leurs familles.
Le bungalow est un concept provenant d’Inde né de l’expérience coloniale britannique pendant le XVIIIe et XIXe siècle. L’étymologie du mot provient de ‘’bangalo’’ en langue Gujarati dérivant du mot bangla de l’Hindoustani utilisé pour dire ‘’maison du Bengale’’. À l’origine, une habitation basse généralement en bois, d'un seul étage, entourée de vérandas, parfois bâtie sur pilotis. Ce type de maison, unique, qui offre une certaine fraîcheur, essaime dans tout l’empire colonial. Les premiers bungalows sont construits à Singapour pour les propriétaires de plantations. Les architectes s’inspirent de l’architecture des maisons malaises et javanaises. Au fil du temps des modifications apparaissent. On incorpore des colonnes de style néo-classique, un portique néo-palladien donnant sur une pelouse immaculée, des hautes fenêtres à persiennes. Les murs ne sont plus en terre mais en briques, recouverts de plâtre ou stuc à la manière géorgienne ou palladienne et les toits de tuiles rouges françaises. Le ciment Portland est utilisé à partir des années 1880. Les vérandas ouvertes qui les caractérisent (dénommées aussi portiques ou galeries) ont des plafonds très hauts qui reposent sur des colonnes ou piliers pour assurer la circulation de l’air. Elles procurent aussi une ombre agréable. On les retrouve sur les façades, les côtés ou sur tout le pourtour des maisons.
Les bungalows sont érigés de 1860 à 1900 dans un style victorien éclectique puis dans un style Art and Craft enfin dès 1930 dans un style Art Déco. Les premières Black and White, aux murs blanchis à la chaux et aux bois peints en noir sont à la mode de 1903 à 1928. Leur architecture combine le style Tudorbethan et Mock-Tudor avec le style vernaculaire tropical Malais. Elles sont réservées aux magistrats, avocats, employés de diverses sociétés, aux officiels de la Couronne Britannique.
Hôtel Capella 1880 - Luxe et Luxuriance
Havre tropical et luxueux de 13 hectares sur l’île de Sentosa, l’hôtel Capella s’est paré, le 18 juin 2018, d’une aura internationale. Il fut en effet choisi comme lieu de la rencontre historique entre le président des USA Donald Trump et le leader Nord-Coréen Kim Jong-un.
Mais ce magnifique et séduisant ensemble construit dans les années 1880 était déjà l’héritier d’un riche passé militaire.
Quatre ‘’bungalows’’ distincts, de même style classique colonial d’avant-guerre, parfaitement adaptés à l’environnement tropical, le composent. Chacun reproduit la forme rectangulaire de la ‘’Bengali hut’’ utilisée par les premiers colons anglais en Inde.
Les bâtiments hébergeaient les officiers du régiment royal d’artillerie commandant la défense côtière du sud de Singapour. En 1907, l’état-major de l’Artillerie Royale déménage de Fort Canning pour Sentosa.
Les deux bungalows principaux, le 48 et 49, sont bâtis sur un promontoire face au port Keppel. Sur leurs façades filent de larges vérandas qui protègent les bâtiments de la chaleur ambiante. Un couloir de communication les relie. Le bâtiment 49 présente de riches moulures autour des arches. Le bâtiment 48 se distingue par son porche flanqué de colonnes sur les côtés, utilisé probablement à l’époque comme hall d’entrée.
L’un accueillait le mess des officiers, l’autre la caserne des officiers célibataires. Les bungalows 50 et 51 logeaient les officiers mariés et leur famille.
Cocktails, réceptions, farewells, parties de mah-jong se tenaient au mess des officiers. Les militaires et leurs familles assistaient aussi ou participaient aux tournois de tennis et matches de crickets qui se déroulaient sur l’immense pelouse en face du mess. Dans les derniers jours avant la capitulation de 1942, pour éviter qu’elle ne soit saisie par les japonais, les officiers y enterrent l’argenterie du régiment. Une partie a été récupérée en Malaisie dans les années 50… le reste est manquant est peut-être toujours dans le jardin !
Le 18 mai 1958, on célèbre le départ définitif des dernières troupes restant sur l’ile. Une impressionnante parade précède l’ultime soirée organisée au mess des officiers.
Les bungalows 48 et 49 restaurés en 2009 dans les règles de l’art portent le nom de Tanah Merah I and Tanah Merah II. Ils ont été prolongés par une impressionnante structure contemporaine. En charge de la superbe restauration, le célèbre et talentueux Lord Norman Foster qui a fait le pari de marier passé colonial avec modernité actuelle. Une réussite qui a conduit au classement des 2 édifices en 2000.
Le Saviez-vous ?
Dans le parc de l’hôtel en face de l‘entrée, une très belle sculpture en acier Corten, ‘’les Arcs“ de Bernar Venet, sculpteur français. Vu sous certains angles, les courbes ressemblent aux caractères chinois du mot Cœur.
Hôtel The Barracks 1904 - Mélancolique et Exquis
Aussi ravissant à l’extérieur qu’à l’intérieur, ce boutique-hôtel n’était à l’origine qu’une caserne entrée en fonction en 1904. La restauration entreprise en 2018 a mis en exergue les éléments de son architecture coloniale, simple mais chic. Le charme opérant, il est difficile d’imaginer le passé douloureux du site.
Vers 1860, les Britanniques renforcent la défense de l’ile de Blakang Mati. Les bataillons 78 et 80 de l’Artillerie Royale y stationnent de façon permanente à partir de 1878. Ils défendent le sud de Singapour à partir des Forts Siloso, Connaught, Serapong et de Mount Imbiah battery. Puis Le bataillon de l’Artillerie Royale de Hong Kong et Singapour, créé en 1899, fusion de l’Artillerie Asiatique de Hong Kong et de l’Artillerie Asiatique de Singapour prend en charge la défense anti-aérienne. C’est un régiment formé de ‘’gunners’’, canonniers musulmans et sikhs de la région du Punjabi commandés par des officiers britanniques. En 1934, le bataillon prendra le nom plus simple de garnison de l’Artillerie Royale. Les troupes logées au départ dans des structures en bambou ou des tentes, vivent dans des conditions spartiates. Les hommes sont décimés par les maladies tropicales.
Pour les accueillir dans de meilleures conditions on décide de bâtir sur une ancienne plantation d’ananas, une caserne dénommée Blakang Mati Artillerie Barracks avec sa place d’armes (parade square).
On adjoint au bâtiment principal quatre bungalows, typiques avec vérandas, hauts plafonds et rangées de portes et fenêtres en bois. Dans les plus petites bâtisses, (blocs 26 et 28) des dortoirs au premier étage logent 40 à 50 militaires célibataires. Les rez-de-chaussée comprennent des bureaux et pièces de lecture. Dans les deux autres blocs 16 et 17 sont installés les cantines, le mess et les armureries. On trouve aussi une épicerie, une clinique, un cinéma et même une église. Dans les plus grands bungalows résident les officiers et leurs familles.
Devant le bungalow principal s’étend la majestueuse pelouse, où les troupes se rassemblent et paradent. Derrière, un large terrain de football.
En 1940, trois autres bâtiments sont ajoutés.
En 1942, Blakang Mati tombe après trois jours d’une bataille intense. Les Japonais investissent les baraquements pour en faire des camps de prisonniers où l’on torture et affame quatre cents ‘’gunners’’ et soldats des troupes alliées.
Ironie de l’histoire, la caserne servira à emprisonner à leur tour les militaires japonais avant leur rapatriement au Japon.
Après la guerre, l’Artillerie Royale retourne sur l’île pour y réparer les dommages. Un nouveau régiment de ‘’gunners’’ créé en 1948, le Premier Régiment de Singapour d’Artillerie Royale (1FSRRA) sous le commandement des britanniques prend ses quartiers au Blakang Mati Artillerie Barracks. Après la rétrocession, la caserne devient un centre d’entraînement des Forces Armées Singapouriennes.
Le saviez-vous ?
L’île de Sentosa se nommait ‘’Blakang Mati’’ signifiant en malais ‘’l’île avec la mort derrière’’. On décida de changer de nom pour attirer les touristes. En septembre 1970, elle devint Sentosa, en malais ‘’Paix et tranquillité’’
Villa Samadhi 1920 - Délicieusement Malaise
La villa Samadhi, un improbable petit bijou malais dans l’écrin naturel du parc Labrador. Nous voilà revenus au début du XXe siècle. Nonchalante, la demeure Black and White abandonnée depuis des années et dilapidée, se prélassait dans la jungle, et ce à la barbe de Singapour la contemporaine. Il aura fallu beaucoup de patience et d’amour pour la restaurer. Bâtie en haut de la colline, on ne peut l’atteindre que par la route de la villa Labrador, nom de la demeure du fondateur d’une compagnie maritime, Sir George John Mansfield. Les noms de certaines maisons Mock-Tudor étaient souvent associés par leur propriétaire à des souvenirs (Alma) ou bien à des pays d ‘origine comme l’Ecosse (Balmoral) ou à des lieux de naissance (Watten). Des bungalows construits pour les expatriés des compagnies de télécommunications (Eastern Telegraph Company, cf partie 2 Les hôtels néo-classiques) ont donné leurs noms à des rues comme Morse road ou Cable road.
A l’origine le parc portrait le nom de Tanjong Berlayer Beach. Il longeait une côte rocailleuse à marée basse, redessinée par des travaux de récupération des terres. Un fort d’artillerie Pasir Pajang (appelé aussi Labrador Battery) y fut construit en 1878. Une position stratégique, entourée de mangroves, pour défendre l’entrée ouest du Port Keppel.
La villa Samandhi servait de quartiers à ceux de l’Artillerie Royale britannique basée au Parc Labrador. On dit que les soldats du régiment malais y ont résidé. En février 1942, les ‘’gunners’’ du 7ème régiment de l’Artillerie Côtière, aux manettes des canons positionnés face à la mer, les firent pivoter de presque 180 degrés vers la terre. Cette action devait soutenir les premier et deuxième bataillons du régiment malais engagés dans la bataille de Pasir Pajang sur la colline de Buckit Changdu. Malgré leur longue portée, les canons avec des tirs trop plats furent inefficaces. Les valeureux soldats après 48 h d’un intense combat seront battus par les japonais puis massacrés.
Le mouvement Black and White fut initié par le talentueux Regent Alfred John Bidwell, architecte du Raffles. A partir de 1897, Bidwell introduisit des plans de maisons asymétriques. La villa Samadhi, elle, se distingue par sa parfaite symétrie. Son allure célèbre le charme malais traditionnel.
Un porte-cochère annonce l’entrée. Elle avait pour fonction de protéger les attelages des pluies de la mousson. Une magnifique véranda, surplombée d’avant-toit de tuiles de l’époque, préserve la maison du soleil. Une balustrade blanche l’agrémente. Tout autour des encadrements des fenêtres des festons de bois. Le bois, matériel privilégié des maisons de style malais absorbe moins vite les radiations solaires. Dans le jardin une passerelle mène à la magnifique villa Labrador construite en 1875, devenue Tamarind Hill.
Le temps a atténué la tristesse du lieu où la forêt secondaire a repris ses droits. De la délicieuse véranda, il n’est pas rare d’entendre le chant de la pie orientale et du loriot de chine
En 1995, le Singapore National Heritage Board a déclaré ce site comme étant l’un des 11 sites les plus remarquables de la seconde guerre mondiale.
Le saviez-vous ?
La Black and White du 55, Cluny Park Road a été construite en 1923 par Frank Wilmin Brewer du cabinet Swan &Malaren. Il fut inspiré par le Mouvement Arts and Craft et utilisa beaucoup de briques et d’arches.
Un grand merci à Fanny Ozda pour les illustrations !
Merci aux départements Marketing et Communications des hôtels pour leur collaboration.