Au début du XX ème siècle, la ville de Singapour se transforma. La colonie britannique engendra des bâtisses imposantes. Leur grandeur se voulait être le miroir d’une prospérité nouvelle et croissante. Contemporains, les deux bâtiments à vocation administrative et commerciale, objets de cette deuxième partie en sont des parfaits exemples. Le premier, construit en 1927 abrite le Sofitel So, le second construit en 1928 héberge le Fullerton Hôtel. Ils affichent tous deux un style dit néo-classique palladien.
Cette architecture européenne alors très à la mode et de rigueur pour les édifices officiels publics s’inspire des caractéristiques de l’architecture grecque classique. Elle se distingue par une grande symétrie et l’éviction d’éléments superflus. Temples de la communication, le bâtiment de Sofitel So abritait l’entreprise Cables and Wireless, et celui du Fullerton la Grande Poste de Singapour. Ils furent tous deux transformés en hôtels de luxe dans les années 2000.
LE FULLERTON 1928 – Monumental et majestueux
Majestueux, monumental, impérial, imposant, grandiose, iconique, il n’y a pas assez d’adjectifs pour décrire l’édifice. Il est de par son importance sociale, économique et politique, l’un des monuments les plus adulés par les Singapouriens. Considéré avec la Cour Suprême et l’Hôtel de ville comme l’épitôme de l’architecture néo-palladienne de la cité-état, sa restauration somptueuse en 2000 l’a converti en un palace prestigieux. Le Fullerton Hôtel, du nom de sir Robert Fullerton,premier gouverneur des Établissements des Détroits de 1826 à 1830, est devenu le dépositaire d’un long et riche passé.
Sa stature colossale rappelle l’existence du Fort Fullerton qui se trouvait à cet endroit en 1829. Un petit promontoire stratégique juste à l’embouchure de la rivière pour protéger le port et le comptoir de commerce fondé par Sir Raffles. En réalité les militaires dénoncaient son inéfficacité à défendre la ville et les commercants se plaignaient de sa proximité avec leurs bureaux, entrepôts et échoppes situés le long de la rivière Singapour et du ‘’Commercial square’’(Raffles Place). Cela les plaçait en première ligne en cas d’attaque. Pour couronner le tout, on assistait alors à une forte pression immobilière. En conséquence, le Fort fut démoli en 1873. Un an plus tard, la Poste de Singapour déménagea dans un bungalow érigé sur le site, une initiative applaudie par la communauté marchande qui utilisait ses services en permanence.
Au début du XX ème siècle, en raison de son expansion commerciale la ville fit face à l’augmentation du volume du courrier. En 1919, le gouvernement (qui souhaitait aussi marquer le centième anniversaire de la colonie britannique) confia au cabinet Keys & Dowdeswell, gagnant d’un concours d’architecture, la tâche de construire la Poste Générale de Singapour. Ce cabinet de Shanghai réalisera plus tard le Capitol Theater et le Capitol Building (cf partie 1)
Construit en quatre ans (1924-28), en béton renforcé, paré de granite gris d’Aberdeen, il fut donc conçu par le major Percy Keys et son associé Frank Dowdeswell. Il possède 5 façades sur sept étages, comportant chacune deux étages de colonnes doriques impressionnantes. il fut agrémenté d’une monumentale porte-cochère. Des décorations classiques du sculpteur Suisse Ruedi Wening et du sculpteur italien Cavaliere Rudolfo Nolli l’ornementent. Quatorze ascenceurs desservaient les étages. Sur le toit un phare guidait les navires dans le port. Alors plus grand bâtiment de Singapour, il fut inauguré par le gouverneur Sir Hugh Clifford le 27 janvier 1928 qui affirma ‘’ce bâtiment est et sera pour de nombreuses années un des emblèmes de Singapour’’. Prédiction qui ne fut jamais démentie: il fut consacré en décembre 2015 Monument National.
Sur les 38,000 m2 s’installèrent la Poste Générale, le Singapore Club, la Chambre de Commerce et des bureaux gouvernementaux comme ceux de la Santé et la Marine et des Impôts. La Poste utilisa le sous-sol le rez de chaussée comme hall postal et le premier étage comme bureaux. La situation le long du Collyer Quay était parfaite pour transporter le courrier vers les navires à quai. Les étages supérieurs abritaient le Singapore Club, réservé aux élites et hauts fonctionnaires britanniques. De 1936 à 1971, la poste avec son équipement moderne et sa parfaite organisation devint le véritable centre névralgique du commerce à Singapour où se rencontraient, marchands, banquiers, fonctionnaires et toute la population immigrée. Elle était alors considérée comme l’une des plus grandes postes au Monde. Son importance stratégique était telle que l’immeuble fut l’un des rares bâtiments de Singapour à être protégé des bombardements durant la seconde guerre mondiale.
Le 13 février 1942, le gouverneur Thomas Shenton se réfugie avec sa femme au Singapore club, le ‘’government house’’ à istana étant la cible des bombardement. Hélas, le lendemain, le commandant des Forces Britanniques, le lieutenant-Général Arthur Percival lui fait part de la décision de réddition de l’armée Britannique. Transformé en hôpital pour les soldats britanniques juste avant la capitulation, il devint juste après, le siège de l’administration militaire japonaise.
Après guerre, la poste s’y réinstalle jusqu’à sa fermeture en 1996 ainsi que le Ministère des Finances, l’Autorité Monétaire, les Impôts et le Conseil du Développement Économique. Ce dernier jouera un rôle majeur dans la mise en place des politiques économiques du jeune État.
L’histoire du Fullerton est également intimement liée à celle de l’Indépendance de Singapour. Le Fullerton square devint de 1950 à 1980 un point de ralliement des partis politiques durant les élections générales .Des foules énormes se pressaient pour écouter en particulier les discours enflammés et mémorables de Lee kuan Yew, le premier minister fondateur de Singapour. En 1952, il représentait le syndicat des employés des Télécoms et de la Poste. On dit que rien ne pouvait l’arrêter ; durant les élections de 1980, il fit sous les fenêtres du Fullerton un discours de 65 minutes sous la pluie.
Et comme si tout avait commencé là, le Fullerton, le magnifique, est devenu le Point Zéro de toutes les routes de Singapour.
Le saviez-vous ? Le tunnel de 35 mètres de long entre le Fullerton hotel au Fullerton bay hotel était emprunté par les postiers qui poussaient sur des chariots les balles de courrier . Elles étaient remises au Master’s attendant du quai et transférées sur les bateaux. A l‘époque 2 mois étaient nécessaires pour atteindre l’Angleterre
LE SOFITEL SO HÔTEL 1927 – Elégance coloniale et chic français
De forme semi-circulaire, auguste et puissant, ce bel édifice classé bâti en 1927 sur un site alors vierge, disparaît de nos jours au milieu de gratte-ciel qui le ceinturent. Il fut conçu au coin de de Boon Tat street et Robinson road par l’architecte FG Ludon du cabinet Swan et Mac Laren. De nos jours, Il est nécessaire de prendre un peu de recul pour admirer son impressionnante façade néo-classique de quatre étages. On apprécie ainsi sa parfaite symétrie, son fronton décoré, ses élégantes colonnes aux chapiteaux ioniques et ses sublimes balcons en alcôves.
Robinson road n’éxistait pas avant 1890. Cette longue avenue fut nommée en l’honneur de Francis William Robinson qui gouverna Singapour de 1877 à 1879. Le site fut récupéré sur la mer lors de travaux qui débutèrent en 1879 et qui reculèrent la ligne du littoral ( Telok Ayer Reclamation scheme). Le temple Thian Hock Keng se trouvait alors sur le rivage. Le gouvernement ordonna d’aplanir le mont Wallrich et le Mont Erskine, deux des trois collines des Telok Ayer Hills qui surplombaient la côte afin de combler la baie de Telock Ayer. Seule la colline de Ann Siang Hill en réchappa. Les marais furent aussi asséchés. Robinson road avec Cecil road fut construite juste après, non seulement pour fluidifier la circulation mais avant tout pour relier le district commercial au nouveau port de Tajang Pajar renommé port Keppel en 1900.
Le bâtiment se retrouva voisin du Telock Ayer Market (Lau Pa Sat en hokkien), dessiné par l’ingénieur James McRitchie en 1894 et une des premières structures à être construites sur cet endroit repris sur la mer. Il s’inspira de la forme hexagonale du premier marché construit en 1833 par l’architecte Coleman et utilisa pour le soutenir des pilliers en fonte commandés à la société P & W Mac Lellan de Glasgow, founisseur du Cavenagh Bridge.
L’immeuble hébergea en 1927 le ‘’Eastern Extension Telegraph Company’’ qui assurait les communications entre l’Extrême Orient et le reste du monde, Singapour étant la seule colonie en Orient à posséder un système de téléphone. Devenu le Cable and Wireless Building il fut acquis en 1992 par l’Autorité des Télécoms de Singapour (TAS) régulateur des industries de télécommunications et postales. Le TAS s‘y installa en 1995 après une longue et minutieuse restauration. Enfin après sa vente en 2000, il fut loué par la fameuse agence de communication et de publicité Ogilvy et pris le nom de The Ogilvy Center.
Une fabuleuse restauration a permis l’ouverture du premier Sofitel So de Singapour. Niché dans un district très moderne, l’hôtel, superbe, conjugue la richesse du patrimoine colonial avec le chic Français.
Le saviez-vous ? Une fontaine en fonte fut à l’origine placée au centre du marché de Telock Ayer. Elle fut déménagée plusieurs fois puis démantelée. Redécouverte, elle fut restaurée et trône désormais dans le jardin du Raffles Hotel (Palm garden)
Un grand merci à Fanny Ozda pour les illustrations !
Merci aux départements Marketing et Communications des hôtels pour leur collaboration.