Véritable “Dinosaure” au sein de la communauté française de Singapour, ses premières visites remontent à 1982, François de Mouillac s’installe définitivement dans la cité-Etat en 1992 avec son épouse singapourienne Judy. Après 35 ans chez Denis Frères et la marque phare Ayam Brand, il est depuis 2016 l’un des 3 associés de Madei Creations, société créée pour reprendre une petite usine de meubles en Indonésie. Sa marque "THÉO-BEBE" commercialise des collections de meubles de puériculture à assembler soi-même, basés sur un design français et une qualité de meubles durables et évolutifs.
François, quel est votre parcours ? Qu'est ce qui vous a amené à Singapour et depuis quand ?
Mes premières visites à Singapour remontent à 1982… puis je suis devenu un résident de courte durée durant 2 ans de 1986 à 1988 et finalement je m’y suis installé définitivement en 1992. Additionnant ces années, je me rends compte que j’ai passé la moitié de ma vie à Singapour ! Il n’est donc pas étonnant qu’au fil du temps Singapour soit devenu mon “ chez moi “ et même mon pays, ayant finalement fait le choix d’y vraiment jeter l’ancre et de choisir de faire de Singapour mon pays d’adoption. Cette incrustation m’a permis d’acquérir le titre de “ dinosaure – fossile “ d’origine Française à Singapour, ce qui est assez rare car ce groupe est assez limité et fait un peu “dernier carré”.
Singapour reste en effet pour la majorité des étrangers qui y viennent et y travaillent une étape généralement agréable et accueillante dans sa progression de carrière professionelle, un transit de quelques années. Les Singapouriens le savent et ont une certaine réserve à vouloir construire une relation personnelle avec des étrangers de passage, c’est compréhensible.
Le climat tropical ne suit pas le rythme des saisons, les zones de températures ne sont pas extrêmes, le soleil se lève et se couche à la même heure tous les jours, et tout cela fait un peu perdre la notion du temps qui passe si vite… Ces 30 années ont littéralement filé sans que je m’en aperçoive.
Qu’est ce qui vous attache à ce pays ?
Je serai franc, il faut parler de la nourriture ! Le grand sujet qui passionne les Singapouriens, qui anime toutes les conversations, qui identifie et lie toute la population. La relation avec les plats singapouriens est une relation d’amour avec des partenaires innombrables que l’on essaye une fois ou que l’on revisite régulierement: le katong laksa de son hawker favori, le chicken rice d’un autre, le fried kway teow d’un autre, le curry chicken ailleurs, le prata encore ailleurs, le bak ku teh près de chez moi, une aventure japonaise pour sushi ou ramen, et une diversion européenne pour une pizza ou même un plat francais. Diversité, défis aux goûts, mondialisation totale de toutes les cuisines, quel paradis du palais ! Sans comparaison à mon avis.
L’amour des cuisines et des plats est une entrée vers l’amour lui même…
Avez-vous un souvenir personnel à partager avec nous ?
Le moment mémorable de ma vie à Singapour n’est pas historique, mais très personnel. Il s’agit de la rencontre de Judy, devenue mon épouse, de notre mariage et de tous ces moments de bonheur à apprécier ses grandes qualités. Elle est certainement responsable de ce sentiment de connexion que je peux avoir avec les Singapouriens, et qui se traduit par une émotion de confort quand je me promène dans Ang Mo Kio, à Toa Payoh, le long de l’Esplanade ou sur Orchard Road.
Qu’aimez-vous chez les Singapouriens ?
J’ai beaucoup d’admiration pour le sens communautaire des Singapouriens, qui est nourri dès l’école et qui est essentiel pour ce pays improbable. Ce sens d’être tous dans le même petit bateau, parmi des forces voisines plus fortes ou importantes, démontre que la cohésion, le sens fort d’une destinée commune et intimmement liée permet de surmonter les adversités, les crises, les pandémies. Le bien de la communauté compris comme ayant précédence sur soi est une leçon de résilience que donnent les Singapouriens à mon avis. Cela est couplé avec une grande qualité d’éducation et un bon sens pratique ce qui en fait une équipe gagnante.
Les Singapouriens en sont conscients et cela guide leurs choix électoraux vers des dirigeants qui sont très attentifs aux besoins de la population.
Quel évènement vous a le plus marqué à Singapour ces vingt dernières années?
Le décès de Mr. Lee Kuan Yew, le père fondateur de Singapour, a été un moment d’émotion collective très fort. Tous les Singapouriens ont eu le sentiment d’avoir perdu un parent et lui ont exprimé une grande reconnaissance de leur avoir donné leur pays. Très peu de dirigeants ont pu donner un pays à leur population. Au passage de la herse qui emmenait le cerceuil de Mr. Lee Kuan Yew vers le crématorium de Mandai, tous étaient au bord de la route et appelaient son nom, mêlant la reconnaissance et la peine dans le même cri.
A quels challenges professionnels avez-vous avez dû faire face durant la pandémie?
Avec la pandémie, les réseaux de revente traditionnels ont été très affectés par les mesures de confinement, ne faisant pas partie des commerces jugés essentiels. Nous avons réagi très vite en activant notre site de vente marchand et en réalisant des ventes directes aux particuliers. Les dispositions de sécurité à l'usine ont permis d'éviter des contaminations et de produire sans arrêts. A aujourd'hui, les réseaux de vente magasins se sont adaptés, notre distribution s'est étendue et les volumes de vente augmentent.
Le gros problème en ce moment est la pénurie de containers qui a conduit à un triplement du coût du fret à l'export. On a décidé d'absorber ce surcoût, en espérant une amélioration plus tard, pour approvisionner les marchés alors que des concurrents ne le font pas. On a beaucoup apprécié les sacrifices et efforts de tous nos partenaires logistiques et commerciaux et la clef de la survie a été un esprit d'équipe.
Comment voyez-vous l’avenir de Singapour ? Et le vôtre ?
Sur les années proches, Singapour sortira de la pandémie renforcée, car la cohésion de la communauté a été accrue et la gestion de la pandémie a été très bonne. Singapour sera aussi plus indispensable aux équilibres et connections des puissants et des extrêmes, un point central nécessaire au monde. C’est positif pour apporter raison à des idées et des enjeux stratégiques et permettre à tous de retrouver le sens du pratique. Ce rôle apportera de l’argent, des investisseurs, des emplois et un développement du rôle financier de Singapour certainement pour l’ASEAN et en partie au delà.
A plus long terme, Singapour devra trouver son chemin entre les rivalités qui s’intensifient, surmonter sa démographie de pays à natalité insuffisante et se préparer aux défis du réchauffement climatique et de la montée prévisible du niveau des mers. J’ai confiance dans le fait que les Singapouriens sauront faire cela et que le centenaire de la République de Singapour en 2065 sera un grand moment, auquel je suis malheureusement certain de ne pouvoir participer… mais peut être quand même par l’esprit…
La génération suivante sera aux commandes !
Dans le cadre de l’anniversaire des 20 ans de lepetitjournal.com, l’édition de Singapour a souhaité donner la parole et mettre en lumière des Français et francophones résidant à Singapour depuis une vingtaine d’années.
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