Ça y est, quelles qu’en soient les raisons, votre expatriation prend fin, vous allez quitter Singapour pour rentrer en France. Comme pour tout déménagement international, des formalités et déclarations sont obligatoires avant le départ mais aussi à l’arrivée. Qu’en est-il sur le plan fiscal/patrimonial ? Le Petit Journal s’est entretenu avec Anthony Pain, fiscaliste chez PwC Singapore, pour aborder ces différents points.
I Avant de quitter Singapour
1. Vos formalités fiscales auprès de l’IRAS (Inland Revenue Authority of Singapore) :
Pour les étrangers quittant Singapour, la loi impose à l’employeur d’effectuer une tax clearance,qui a pour but de définir l’impôt sur le revenu dû par le contribuable pour l’année en cours et éventuellement pour l’année passée. Cette obligation s’applique à tous les non-Singapouriens y compris ceux ayant le statut de « PR » Permanent Resident.
La tax clearance doit, en principe, être effectuée au plus tard un mois avant la fin du contrat de travail/détachement et relève de la responsabilité de l’employeur. En cas de manquement à cette obligation, l’IRAS pourrait se retourner vers l’employeur.
La conséquence pratique non-négligeable est que ce dernier va retenir vos salaires, bonus et rémunérations dus jusqu’à ce que la procédure de « tax clearance » soit terminée. Seul cas où une retenue à la source s’applique à Singapour. Il faut donc anticiper financièrement son départ et la gestion de sa trésorerie.
Concrètement, l’employeur va établir une déclaration auprès de l’IRAS l’informant du départ et lui fournir les éléments de rémunération. Une fois cette déclaration adressée aux services fiscaux, tout s’accélère : l’avis d’imposition sera émis sous 2 semaines, avec obligation de régler sous 10 jours, déduction faite de la part payée par l’employeur via la retenue à la source. En cas de compte débiteur auprès de l’IRAS, vous risquez d’être retenu par les services de l’immigration à l’aéroport à l’occasion de toute sortie du territoire définitive ou pour un déplacement professionnel ou pire un week-end entre amis planifié avant votre départ.
A noter que pour les salariés dont l’entreprise prend en charge les impôts liés aux revenus du travail, pas de stress, l’entreprise dispose de 2 mois à l’issue du terme du contrat de travail pour procéder à la tax clearance.
D’autre part, selon une règle fiscale singapourienne quasiment unique au monde, la « deemed exercise rule », tous les droits issus de plan d’actionnariat salarié (stock-options, actions gratuites…) attribuées pendant la période de travail à Singapour sont intégrés à la base imposable de la tax clearance, même s’ils n’ont pas encore généré de gain pour le salarié et même s’ils ne sont pas encore définitivement acquis (« vested »).
Prenons l’exemple d’actions gratuites encore en période de maturité au moment du départ de Singapour. La période de maturité se terminera, par exemple, après 3 ans de détention après le départ, sous le respect de conditions suspensives : performances du salarié, résultats de la société et présence du salarié au sein de la société à la fin de la période de maturité… Bien que non encore définitivement acquises (« vested ») par le salarié, le gain est intégré au revenu imposable, en utilisant la valeur du titre, 1 mois avant le terme du contrat de travail.
3 problématiques se posent alors :
- Disposer de la trésorerie nécessaire pour payer l’impôt,
- La base imposable ne correspond pas à la réalité du gain,
- Enfin, il existe des risques de double-imposition ultérieure car Singapour ne procède pas à un « sourcing » du gain, en fonction de la période d’acquisition des titres/droits (« vesting »), contrairement à la plupart des pays.
Les 2 dernières problématiques peuvent être résolues en jouant sur l’application de conventions fiscales internationales ou en procédant à des régularisations ultérieures auprès de l’administration fiscale singapourienne mais pas la première.
2. Vos démarches patrimoniales :
- Plus-values mobilières : C’est peut-être le moment de réaliser vos plus-values sur actions/produits financiers, Singapour n’imposant pas (en principe) ce type de revenus. Quitte à faire un « aller-retour » sur les marchés financiers…
- Donations en argent liquide : C’est peut-être également le moment de faire des donations en cash aux enfants, en l’absence de droits de donation à Singapour, sous réserve que les enfants soient également résidents fiscaux à Singapour au moment de la donation. Il est fortement conseillé de faire appel aux services d’un avocat ou d’un notaire à Singapour afin de limiter les différends au moment de la succession ou tout risque de contestation par le fisc français.
- Il peut être opportun de fermer son compte bancaire singapourien avant le départ si l’on veut éviter d’avoir à déclarer ce compte une fois redevenu résident fiscal français. Sur le plan pratique, cela peut néanmoins s’avérer délicat car des remboursements seront peut-être en cours au moment du départ. Les sanctions sont importantes en cas d’omission de déclaration de compte à l’étranger. Donc, si vous conservez des comptes bancaires à Singapour, n’oubliez pas de les déclarer au fisc français. Souvenez-vous de l’affaire Cahuzac…
II A votre arrivée en France
1. Vos démarches fiscales :
A votre arrivée en France, il est recommandé de reprendre contact avec l’administration fiscale pour l’informer de votre retour au statut de résident fiscal français mais surtout afin de personnaliser votre taux de prélèvement à la source.
Il existe alors 2 cas de figure :
- Soit vous avez conservé votre numéro d’identification fiscal français (identifiant) et les démarches peuvent se faire en ligne, y compris pour obtenir votre taux de prélèvement à la source personnalisé.
- Soit vous n’avez plus de numéro et vous devrez prendre contact avec l’administration fiscale afin de le récupérer ou d’en recréer un et personnaliser votre retenue à la source.
Le choix de la date de retour ne doit pas être négligé. Une fois celle-ci définie, l’année sera scindée en deux : avant le retour, avec une imposition en tant que non-résident-fiscal et donc sur vos revenus de source française uniquement (obligation fiscale dite « restreinte ») et après, avec une imposition en tant que résident fiscal français, soit sur une base mondiale (obligation fiscale dite « illimitée »), sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales.
2. Puis-je bénéficier du régime des impatriés ?
Il s’agit d’un régime très favorable pour les contribuables rentrant en France, créé en 2004.
Ce régime a été conçu notamment pour faciliter les transferts internationaux en France en s’alignant sur les grands pays européens qui ont instauré des régimes similaires : Belgique, Royaume Uni, Pays-Bas, Espagne, Portugal, Italie…
Les conditions pour pouvoir bénéficier de ce régime :
- Avoir été non-résident fiscal français au titre des 5 années précédant le retour en France,
- Etre transféré par sa société en France dans le cadre d’une mobilité intragroupe ou être embauché par une société française depuis l’étranger.
- Ce régime favorable s’applique jusqu’au 31 décembre de la 8èmeannée suivant le retour en France.
Ce régime prévoit 3 niveaux d’exonération :
- La « prime d’impatriation » (« niveau 1 ») : Exonération de la prime d’impatriation et de tout élément de rémunération attribué au salarié au titre de son transfert en France. Cet avantage n’est pas plafonné mais le salaire net imposable doit être supérieur ou égal au « salaire de référence », c’est-à-dire au salaire net imposable d’un salarié ayant des fonctions similaires au sein de l’entreprise.
- L’exonération des jours travaillés à l’étranger (« prime d’impatriation de niveau 2 ») : Si le salarié voyage à titre professionnel hors de France, parce qu’il a un rôle régional depuis la France, par exemple, les jours passés à l’étranger pourront être défiscalisés. Il existe des plafonds à ces exonérations ; sachant que le plafonnement de l’exonération de la prime d’impatriation de niveau 1 peut se cumuler avec une exonération de la part de la rémunération se rapportant à une activité exercée à l’étranger (prime d’impatriation de niveau 2).Toutefois ce cumul d’avantages est plafonné au choix du contribuable: Soit d’un plafonnement global de 50 % de la rémunération totale; Soit d’un plafonnement de la seule exonération de la rémunération correspondant à l’activité exercée à l’étranger (prime de niveau 2) : dans ce cas, l’exonération de cette part ne peut excéder 20 % de la rémunération imposable de l’intéressé nette de la prime d’impatriation.
- Et enfin, une exonération d’impôt sur le revenu à hauteur de 50% des revenus mobiliers de source étrangère (dividendes, intérêts, plus-values.), sous certaines conditions. L’impact de cette dernière exonération est plus modéré qu’auparavant car la loi de finances pour 2018 a réformé la fiscalité applicable aux revenus de capitaux mobiliers en instaurant un prélèvement forfaitaire unique de 30% (12,8% au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2% au titre des prélèvement sociaux). Les 50% d’exonération ne concernent que les 12,8%, les 17,2% de charges sociales n’étant pas exonérés. Au final, la taxation sera la suivante : 6,4% + 17,2% =23.6%. A noter que seul le contribuable bénéficiant du régime (de par son transfert professionnel en France) bénéficie de cette exonération.
3. En cas de conservation de biens immobiliers et mobiliers à l’étranger
Si vous décidez de conserver un ou plusieurs comptes bancaires à l’étranger, vous aurez l’obligation de les déclarer annuellement à l’administration fiscale. De plus, si ces comptes génèrent des revenus de capitaux mobiliers (intérêts, dividendes…), il conviendra de déclarer mensuellement ces revenus en France et d’acquitter la retenue à la source due. Singapour n’étant pas dans la zone de l’Union Européenne, l’obligation déclarative de ces revenus ne peut être déléguée à une banque. Il faudra donc, potentiellement, faire une déclaration et un paiement tous les mois à l’administration fiscale. Ce qui peut rapidement devenir un exercice fastidieux…
D’autre part, si vous continuez à détenir des biens immobiliers à l’étranger, les éventuels revenus immobiliers qui pourraient en découler doivent être déclarés dans le pays où est situé le bien. A Singapour, ces revenus seront imposés, en tant que non-résident, à un taux minimum de 20%. Ils devront également être déclarés en France mais selon des modalités particulières afin de neutraliser la double imposition, compte tenu des dispositions de la convention fiscale applicable.
De façon générale, en tant que résident fiscal français ayant des revenus de source étrangère, il convient de consulter la convention fiscale applicable ou de consulter un professionnel afin de limiter les risques de double imposition ou de redressement.
Quelques sites internet dédiés au retour en France :
https://www.diplomatie.gouv.fr
https://retour-en-france.simplicite.fr