Les principales mesures du budget 2019 ont été annoncées par le Ministre des Finances Heng Swee Keat. Si l’on y retrouve une certaine continuité dans la volonté de stabilité fiscale et de rigueur budgétaire, une rupture s’opère avec des mesures sociales significatives manifestant la volonté du gouvernement de prendre soin des Singapouriens les moins favorisés et les plus anciens (Merdeka Generation). Parmi les mesures phares, un crédit d’impôt de 50% pour l’année fiscale 2018 a été voté, plafonné à 200 SGD. Mais également, la suppression inattendue du régime des « impatriés » de Singapour: le Non Ordinarily Resident (NOR) Scheme.
Anthony Pain, vous êtes fiscaliste chez PwC, après avoir travaillé 15 ans en qualité d’avocat fiscaliste au sein du bureau parisien de PwC, vous conseillez sociétés et expatriés à Singapour depuis presque 5 ans.
Que vous inspire ce nouveau budget ?
Il reflète l’extrême prudence singapourienne, la volonté de stabilité et la rigueur. Singapour ne veut pas être considéré comme un paradis fiscal. Ce pays offre une stratégie d’équilibre, il propose plus qu’une fiscalité faible : des infrastructures, une stabilité économique, un bon système d’éducation… Face à une population vieillissante ne bénéficiant pas forcément du Central Provident Fund (CPF), le gouvernement a voulu apporter plus de justice sociale. Depuis quelques années, les niches fiscales se sont réduites pour les expatriés. Cependant, Singapour encourage toujours certains secteurs comme la technologie. Les sociétés étrangères exerçant leurs activités dans les domaines considérés comme stratégiques peuvent bénéficier d’aides importantes.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le régime des Non Ordinarily Resident (NOR) de Singapour ?
Il s’agit d’un régime d’exonération d’impôt sur le revenu pour les personnes physiques qui s’applique pendant les 5 années consécutives à l’arrivée à Singapour.
3 critères sont à remplir pour obtenir le statut de Non Ordinarily Resident (NOR) :
- Ne pas avoir été résident fiscal à Singapour les 3 années précédant l’arrivée à Singapour,
- Etre employé par une société résidente fiscale de Singapour,
- Etre résident fiscal à Singapour.
Si vous remplissez ces conditions vous pouvez bénéficier des 2 avantages fiscaux suivants :
- Le Time apportionment, ce dispositif permet d’exonérer d’impôt la quote-part de rémunération relative aux jours passés dans l’année, hors de Singapour, pour des raisons professionnelles, à 3 conditions :
- Passer plus de 90 jours hors de Singapour pour raisons professionnelles,
- Percevoir une rémunération de de 160 000 SGD par an minimum,
- Le taux d’imposition résultant de l’application du Time apportionment ne peut toutefois être inférieur à 10%.
- L’Exonération fiscale des contributions employeur à un fonds de pension ou à un régime de sécurité sociale non obligatoire, à condition :
- De ne pas être Singapourien ou Permanent Resident,
- De disposer d’une rémunération de minimum 160 000 SGD par an,
- De ne pas dépasser la limite de déduction applicable en matière de CPF.
Comment va se mettre en place sa suppression ?
A Singapour, les bonnes nouvelles fiscales sont rétroactives, mais pas les mauvaises. Il n’y aura donc pas de rétroactivité.
Ceux qui bénéficient actuellement de ce régime continueront d’en bénéficier jusqu’à la fin des 5 ans.
Pour les individus arrivés en 2019, ils pourront également encore bénéficier de l’exonération. S’ils ne peuvent pas être qualifiés de résident fiscal au titre de 2019 car ils ne justifient pas de 183 jours de présence à Singapour, l’administration singapourienne a édicté une règle qui permet de prendre en compte les 2 dernières années consécutives - sous condition d’emploi continu - afin d’atteindre plus facilement les 183 jours et donc bénéficier du statut de résident fiscal.
La suppression va donc concerner les personnes arrivant à compter du 1er janvier 2020.
Que conseillez-vous ?
Si des transferts de salariés susceptibles de répondre aux critères d’exonération, sont prévus début 2020, et peuvent être avancés en 2019, il peut être opportun de le faire, sous réserve des aspects opérationnels et pratiques, une telle décision ne pouvant être prise que sur des considérations fiscales.
Parallèlement au budget 2019, quels autres conseils pourriez-vous donner aux expatriés ou aux chefs d’entreprises de manière générale ?
Certains points méritent d’être évoqués car ils font souvent l’objet d’erreurs ou d’omissions au sein des sociétés françaises ou étrangères.
Les contributions sociales payées par l’employeur à l’étranger (CFE…), doivent, en principe, être déclarées à Singapour. Souvent par manque d’information ou par méconnaissance de la règle celles-ci ne sont pas déclarées.
De même, les plans d’actionnariat salarié, pour les mêmes raisons ne sont pas déclarés à Singapour. Nous procédons souvent à des régularisations sur ces deux points.
En cas de départ de Singapour, la Tax Clearance doit faire l’objet d’une déclaration qui relève de la responsabilité de l’employeur. Elle devient problématique quand il s’agit d’y intégrer l’actionnariat salarié. En effet, le gain relatif aux titres non encore acquis / disponibles doit, en principe, être déclaré dans la Tax Clearance en application de la deemed exercise/vesting rule qui engendre, en général, les problèmes suivants :
- Problème de cash flow pour le contribuable, la base imposable étant plus importante que le revenu effectivement disponible,
- Problème de différence entre le gain réel/effectif et le gain fiscal (deemed gain), le titre variant de valeur ou dans le cas où les titres ne sont jamais acquis (les plans prévoyant, en général, des conditions de performances),
- Divergences de régimes de taxation dans les différents pays (pas toujours de convention fiscale internationale applicable).
Les deux derniers peuvent être résolus en utilisant les traités internationaux ou en procédant à des régularisations auprès de l’administration fiscale singapourienne.
Enfin, abordons la problématique des Short Term Business Visitors, il est important de gérer consciencieusement les déplacements des salariés dans la zone autour de Singapour pour des raisons d’immigration (avec parfois un risque de peine de prison), de sécurité sociale, de taxes individuelles et d’impôt sur les sociétés.
Un risque de création d’établissement stable peut, en effet, exister si une personne agit notamment comme un dirigeant générant de l’activité et donc une base imposable. Là encore, le problème vient souvent d’un manque d’information, les « opérations » n’informant pas nécessairement les services des ressources humaines ou des finances, compétents pour gérer ce type de risque.