Édition internationale

Manuel Der Hagopian, l’architecte suisse derrière les HDB emblématiques de Singapour

Arrivé en Asie il y a près de 20 ans, ce genevois y a développé les activités du studio, G8A Architectes, qu’il a cofondé en 2000. L’un de ses succès est d’avoir été le premier cabinet étranger retenu pour concevoir des HDB dans l’histoire de Singapour. Lepetitjournal.com a rencontré cet expatrié aux multiples talents — à Singapour où il vit — pour en savoir plus sur son histoire et ses motivations.

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Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 11 mai 2025, mis à jour le 14 mai 2025

Manuel, comment êtes-vous devenu architecte ?

Mon père, un Arménien d’Egypte, est arrivé à Genève au début des années 60. Il a fait des études de pharmacie à l’université de Genève. Il a durant toute sa vie développé son activité professionnelle jusqu’à être propriétaire et diriger trois pharmacies dans la cité de Calvin. Il ne cachait pas son souhait de me voir prendre sa succession. Mais, en fin d’étude secondaire, j’étais plutôt attiré par les Beaux-Arts, ce qui n’était pas vraiment du goût de mon père, ma mère, étant peut-être la seule à voir mon potentiel dans un métier créatif. Alors, dans la tradition suisse, j’ai trouvé un compromis avec l’architecture, qui allie art et science.

J’ai fait mes études à Genève, à l’Institut d’Architecture Universitaire de Genève (IAUG) et à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville (UP8), où je me suis pris de passion pour le logement social et l’architecture moderne incarné par Le Corbusier. Ce fut une révélation qui a fait de mon métier une passion.

Peu après la fin de mes études, en 2000, j’ai fondé à Genève, avec sept autres jeunes architectes, un bureau indépendant au nom de Group8. Celui-ci est devenu depuis G8A (« A » pour Asia). L’idée de travailler pour quelqu’un ne m’a jamais plu et finalement j’ai eu la chance de recevoir des mandats dès l’ouverture de mon premier bureau.

 

Entretien avec Frank Grütter, ambassadeur de Suisse à Singapour

 

Qu’est-ce qui vous a amené à Singapour ?

Après quelques années, nous avons voulu aller au-delà de la Suisse, et sur recommandation, nous avons ouvert un bureau à Hanoi en 2007. Mais après deux ans, nous n’avons pas réussi à percer au Vietnam. Nous avons donc étendu notre recherche à d’autres pays d’Asie, plus en phase avec la culture professionnelle européenne, comme Taiwan, la Corée, et Singapour. C’est comme cela que nous avons participé en 2009 au deuxième concours international d'architecture que le HDB organisait pour commencer à développer la ville nouvelle de Punggol, le premier concours international pour des logements publics ayant concerné le Pinnacle@Duxton. À notre grande surprise, nous avons été retenus parmi les cinq finalistes parmi 250 compétiteurs, et, avec l’aide d’un partenaire architecte local, nous avons remporté le marché de Punggol Waterway Terraces, une première pour un cabinet d’architecte étranger pour la conception de logements publics à Singapour.

Il s’agissait d’un projet de grande envergure comprenant près de 2000 logements avec des espaces d’activités, une cantine (hawker) et un parc reliant le complexe à un canal. Nous avons dû embaucher pas mal de gens, le bureau en Asie, comprenant Hanoi, Ho Chi Minh et Singapore devenant plus grand que celui en Suisse. Le projet était réparti dans les différents bureaux, inaugurant notre pratique collaborative entre Est et Ouest. Le projet devait être terminé en 2015 pour les 50 ans de Singapour et devait être exemplaire du point de vue du développement durable : il figure d’ailleurs sur le passeport singapourien comme symbole de la nouvelle génération de logement public à Singapour.

 

Waterway Terraces I &II, 2015 - Punggol, Singapour
Waterway Terraces I &II, 2015 - Punggol, Singapour

 

Notre force a été de répondre très précisément aux attentes, comme des horlogers : en architecture, le détail c’est la clé.

 

Comment expliquez-vous ce succès ?

Lee Kuan Yew voulait faire de Singapour la Suisse de l’Asie du Sud-Est, ce qui s’est réalisé. Mais les deux pays partagent bien plus qu’un statut de place financière. Ce sont deux pays où tout est bien organisé, avec des réglementations très strictes, où il y a peu de place pour la fantaisie. Cela se retrouve aussi dans la conception des logements sociaux à Singapour. Nous avons eu affaire à un cahier des charges très précis, où l’efficacité primait sur les aspects identitaires. Outre notre expertise sur les logements sociaux, notre force a été de répondre très précisément aux attentes, comme des horlogers : en architecture, le détail c’est la clé. Il est aussi fondamental de bien connaître la culture locale pour bâtir des immeubles dans lesquels les gens se retrouvent. Pour cela, il est indispensable de s’entourer de partenaires locaux, car il y a toujours des finesses dans l’interprétation de certains éléments qu’on ne peut pas deviner. Il est très important de construire des ponts avec les cultures locales, qui nous amènent à enrichir notre vision : nous avons ainsi d’ailleurs au fil des années pu appliquer en Suisse, certaines leçons apprises en Asie et vice versa.

Nous avons ensuite eu la chance d’être retenu pour deux autres projets de HDB à Tampines : GreenVines et Green Ridges. Ces deux projets étant le résultat de compétition pour des logements publics également.

 

GreenVines, 2024 – Tampines, Singapour
GreenVines, 2024 – Tampines, Singapour 

 

Entretien avec Frank Grütter, ambassadeur de Suisse à Singapour

 

En dehors des HDB, avez-vous construit d’autres immeubles à Singapour ?

Oui. Nous avons par exemple conçu le condominium « The Alps Residences », toujours à Tampines. Mais, cela est tout un autre défi que du logement HDB. L’agenda étant très clairement commercial et laissant peu de place au caractère public. Tout étant centralisé sur l’efficacité et le rendement de l’opération, nous devons donc faire preuve de créativité dans un cadre strict, où l’imaginaire proposé doit différencier le produit dans un marché très compétitif.

Nous faisons aussi du design d’intérieur et du « space branding ». Nous avons par exemple défini la charte spatiale de La Petite École et le design spécifique de l’école de Singapour, 

Nous continuons de travailler beaucoup en Suisse, entre autres pour les organisations internationales comme la Croix Rouge, l’Organisation Internationale du Commerce ou encore actuellement pour l’Organisation International des Migrants (IOM).

A part Singapour, nos activités en Asie, sont concentrées sur le Vietnam depuis presque 20 ans, entre Hanoi jusqu’à Ho Chi Minh.

 

La Petite École, 2024 - Holland Village, Singapour
La Petite École, 2024 - Holland Village, Singapour

 

Avec ma femme, nous venons de finir et publier un livre décrivant certains quartiers méconnus de Singapour.  Cela a été pour moi l’occasion de plonger encore un peu plus dans la culture singapourienne et de lui rendre hommage.

 

Et quand vous ne travaillez pas sur des projets d’architecture ?

Je partage avec de nouvelles générations d’architecte ma passion pour les logements à prix modérés, qui n’est pas forcément le sujet le plus à la mode parmi les jeunes d’aujourd’hui. J’ai donné entre autres des cours à la Singapore University of Technology and Design (SUTD), à l’université de Van Lang ou encore à Vietnam German University (VGU) à Ho chi Minh City. Actuellement je conduis un studio à la National University of Singapore (NUS).

De plus, avec ma femme Isabelle, nous venons de finir et publier un livre appelé Pink Chilli in à Bowl, un livre décrivant certains quartiers méconnus de Singapour à travers leur architecture, leur population, et leurs restaurants. Cela a été pour moi l’occasion de plonger encore un peu plus dans la culture singapourienne, de lui rendre hommage, dans la mesure où certains endroits mentionnés dans ce livre sont appelés à disparaître. Nous sommes d’ailleurs actuellement en train d'écrire un livre analogue sur les 200 marchés couverts que compte Ho Chi Minh City au Vietnam.

 

Pink Chilli in a Bowl est une invitation aux explorateurs curieux de s’aventurer au-delà des sentiers battus et de l’image polie de Singapour à travers 28 constellations culinaires.
Pink Chilli in a Bowl est une invitation aux explorateurs curieux de s’aventurer au-delà des sentiers battus et de l’image polie de Singapour à travers 28 constellations culinaires.

 

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