Entretien avec Frank Grütter, ambassadeur de Suisse à Singapour

Monsieur l’ambassadeur, quel a été votre parcours professionnel jusqu’ici ?

Encore adolescent, j’étais déjà attiré par la politique, l’économie et les relations internationales. Travailler à l’étranger m’intéressait aussi. C’est donc tout naturellement que je me suis ensuite dirigé vers la carrière diplomatique.

Avant de venir à Singapour, j’ai travaillé au ministère des affaires étrangères à Berne, comme responsable de la division en charge des organisations internationales. Dans ce rôle, j'étais responsable de la candidature suisse au Conseil de sécurité de l'ONU et j'ai dirigé les travaux préparatoires internes en vue du mandat.  Auparavant, j'étais en charge de la politique de sécurité et représentais la Suisse au niveau international dans le groupe d'experts onusien sur le comportement responsable des États dans le cyberespace

J’ai aussi travaillé à New-York, dans la mission permanente de la Suisse à l’ONU, et à Londres comme adjoint au chef de mission. Singapour est mon premier poste en Asie, mais je connaissais déjà assez bien ce continent pour y avoir voyagé fréquemment à titre personnel. Avec ma casquette de politique de sécurité, j'avais aussi participé plusieurs fois au dialogue Shangri-la qui réunit les hauts responsables asiatiques et occidentaux autour des sujets de la défense et de la sécurité.

Avez-vous des objectifs particuliers par rapport à votre pays de résidence ?

Mon action s’inscrit dans le cadre de la stratégie établie l’année dernière par le gouvernement suisse vis-à-vis de l’Asie du Sud-Est, compte tenu du dynamisme économique de cette région.  Les objectifs principaux de la stratégie sont la paix et la sécurité, le développement économique, le développement durable, et la digitalisation. Nous voulons également être un prestataire de services de haute qualité pour la population suisse et les demandeurs de visas.

Concernant plus particulièrement Singapour, premier partenaire économique de la Suisse en Asie du Sud-Est, nous cherchons à améliorer la coopération en matière de commerce, de finance, de fintech, de recherche, d’innovation, d’éducation, de digitalisation, et de tourisme.

Ce n’est donc pas par hasard que l’on trouve à Singapour un « Swiss Business Hub » pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique (qui est intégré à l’ambassade), une Chambre de Commerce très active (SwissCham Singapore), une succursale de la Banque Nationale Suisse, et l’office du tourisme suisse pour l’Asie du Sud-Est, également intégré à l’ambassade. En matière d’éducation, Singapour est le seul pays en dehors de la Suisse à abriter quatre institutions suisses de formation de haut niveau : L’Ecole Polytechnique de Zurich avec son « Singapore-ETH Centre », l’Université de Saint-Gall avec un Institut pour le Management en Asie, l’IMD Lausanne (école de gestion), et de la célèbre École hôtellière de Lausanne (EHL) avec son campus près de l’Orchard Road.

Quelles sont les relations entre la Suisse et Singapour ?

Elles sont très étroites en raison de la similarité entre les deux pays : petits, et donc dépendant du commerce international et un ordre commercial fondé sur des règles ; des économies compétitives leur permettant de jouer économiquement dans la cour des grands; sans ressources naturelles, et donc s’appuyant sur les compétences de leurs populations et attachant une grande importance au système d’éducation ; centres financiers importants, grâce à leur stabilité politique et à leur respect de l’État de droit.

La Suisse a reconnu Singapour dès son indépendance et y a ouvert une ambassade en 1967. L’accord de libre-échange entré en vigueur en 2003 entre l’AELE (Association Européenne de Libre-Échange, dont la Suisse fait partie) et Singapour a donné un nouvel élan aux échanges entre les deux pays. Une déclaration de partenariat avancé entre les deux pays a été signée en 2014, et depuis 2015, nous avons des dialogues réguliers sur les aspects financiers. Le prochain aura lieu le 4 novembre à Singapour.

Nous avons plusieurs projets de collaboration entre nos pays, notamment le « Point Zero Forum » en Suisse, un important événement mondial de fintech axé sur l'innovation dans la finance et la technologie, organisé par le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI) et Elevandi, créé par l'Autorité monétaire de Singapour (MAS). Cette année a marqué sa troisième édition.

Il existe également diverses collaborations entre les institutions d'enseignement supérieur suisses et singapouriennes, tant dans la recherche que dans l'éducation. Le centre Singapore-ETH a été créé en 2010 par l'ETH Zurich et la « National Research Foundation » de Singapour et héberge aujourd'hui 350 chercheurs. L'université de Saint-Gall a créé l'Institute of Management in Asia en 2012, qui collabore étroitement avec la Singapore Management University (SMU). Ainsi, chaque année, environ 70 étudiants de Saint-Gall passent un semestre à Singapour. Les bourses d'excellence de la Confédération suisse permettent aux étudiants singapouriens de poursuivre des projets de doctorat, de post-doc et de recherche dans des universités suisses. En outre, l'ambassade propose les bourses ThinkSwiss, qui permettent aux étudiants singapouriens d'effectuer un court séjour de recherche en Suisse.

Sur le plan culturel, nous organisons tous les deux ans les Swiss Weeks qui permettent de faire connaitre aux habitants de Singapour tous les aspects de la culture suisse avec des spectacles, des expositions, et des dégustations.

Sur le plan sportif, nous organisons tous les ans en liaison avec Sports Singapore un festival de football ou des jeunes élèves, garçons et filles, âgés de 10 à 12 ans, provenant d’écoles locales et internationales s’affrontent.

Quelle est l’importance de la communauté suisse à Singapour ?

Les suisses sont arrivés à Singapour dès le début du 19ème siècle pour y faire du commerce et le Club suisse (Swiss Club) y est fondé en 1871, ce qui en fait l’un des plus anciens clubs historiques du pays. Notons que de nombreux Français en sont membres faute d’une institution équivalente pour leur pays.

Aujourd’hui, il y a plus de 2 500 Suisses enregistrés à l’ambassade de Singapour, dont environ un quart de francophones, si on en juge par la langue dans laquelle ils veulent être informés. 450 entreprises suisses, totalisant presque 26 000 emplois, sont installées à Singapour. La chambre de commerce suisse à Singapour (SwissCham Singapore) compte plus de 220 membres et organise chaque année de nombreux événements.

Nous avons une école suisse (Swiss School) qui est située dans l’enceinte du Swiss Club et qui couvre la maternelle et la primaire, en allemand et en français. Une journée portes ouvertes y est organisée le 28 septembre prochain.

Vous êtes aujourd’hui dans de nouveaux locaux. Pourquoi ce déménagement ?

Les locaux précédents, datant de 1984, devenaient trop petits, nous amenant à éparpiller nos services sur différents sites. Nous avons donc décidé il y a quelques années d’agrandir le bâtiment dans le cadre d’une rénovation en profondeur, avec une optique de développement durable. Nous avons maintenant tous les services, y compris l’office du tourisme, le « Swiss Business Hub » et le bureau de l’Attaché de Défense sous un même toit, dans des locaux non cloisonnés et largement ouverts sur l’extérieur. L’ambassade se situe sur l’immense terrain du Club suisse et compte au total 27 personnes.

Quelles ont vos impressions sur Singapour ?

Je me sens très heureux dans ce pays, dont j’apprécie particulièrement la dimension multiculturelle et le confort de vie.

Que faites-vous pendant vos loisirs ?

Je passe du temps avec ma famille, mon épouse et mes deux enfants de 12 et 14 ans. A part cela, j’aime bien lire et jouer au tennis et au squash.