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C. Frassa : "Arrêtons le matraquage fiscal des Français de l'étranger"

Sénateur Christophe-André FrassaSénateur Christophe-André Frassa
Écrit par Laurence Onfroy
Publié le 11 décembre 2019, mis à jour le 14 décembre 2019

Le sénateur Les Républicains des Français à l’étranger, M. Christophe-André Frassa, nous a accordé un entretien exclusif dans lequel il revient sur le moratoire concernant la fiscalité des Français à l’étranger, l’orientation vers un impôt de nationalité, la bataille de la CSG-CRDS, le remboursement des soins lors de séjours temporaires en France, le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, la réforme des retraites et l’importance des prochaines élections consulaires qui auront lieu le 17 mai 2020.

 

L’assemblée nationale a adopté le 16 octobre dernier un moratoire d’une année concernant la fiscalité des non-résidents ainsi qu’une étude d’impact. Une mesure pour laquelle vous avez œuvré. Qu’en attendez-vous ?

Christophe-André Frassa : Nous avons surtout œuvré pour que ce matraquage permanent de nos compatriotes cesse. J'ai l'impression qu'il y a eu un appui sur le bouton pause pour un arrêt d'un an, et que l'on reprendra au même endroit. Il faut savoir que pendant cette année-là il y a les élections consulaires, sénatoriales ... et comme par hasard ce moratoire arrive à point nommé vis à vis de l'électorat. J'attends autre chose de ce moratoire.
 

Pouvez-vous nous expliquer comment va être réalisée cette étude d’impact ?

Pour l’instant, ni moi-même, ni mes collègues n’avons reçu d'information sur les modalités de l’étude d’impact, ni sur les conditions dans lesquelles l’étude va être faite.
Si cette étude est réalisée par les mêmes personnes qui ont eu l’idée de faire passer de 20% à 30% le prélèvement à la source, de ceux qui disent qu’il n’est pas possible d’étendre l'exonération de la CSG-CRDS à l’ensemble des Français dans le monde, si elle est faite par tous ceux qui essaient de nous faire avaler une pilule qui s’appelle « l’imposition en raison de la nationalité », alors bien sûr je doute fort que l’étude d’impact soit celle qui nous apportera autre chose qu’une reprise du matraquage fiscale de nos compatriotes.

 

Considérez-vous que les Français non-résidents sont traités injustement en terme de fiscalité par rapport aux résidents du territoire français ?

Je trouve qu'ils sont traités d'une manière qui n'est pas équitable. On dit trop souvent que les Français de l'étranger ne paient pas d'impôts. Mais je ne sais pas d'où on tire cela ! À bien des égards les Français de l'étranger pour plus de la moitié, payent des impôts car ils ont des résidences en France, ils paient des impôts locaux, les retraités ont des prélèvements à la source sur leur retraite…

Ce qui est surtout commode dans cette situation, c’est que les Français de l’étranger n'envahissent pas les ronds-points, ne bloquent pas les préfectures et les centres des impôts, les Français de l'étranger ne manifestent pas. On leur fait subir un nombre de choses, et sans retour de bâton. C’est bien commode.

Ne trouvez-vous pas paradoxal que les Français de l’étranger participent peu à la vie politique française (18% de taux de participation aux dernières élections) alors que des lois se préparent à les impacter largement ?

Les Français de l'étranger sont très fiers d'être français, et très attachés à la France. Ils sont également, pour certains, très critiques en bien et mal vis-à-vis de leur pays, de ce qui s’y passe et des politiques menées. Il est vrai que l’on peut regretter qu’ils ne participent pas à la vie politique à la hauteur de nos attentes. 

Quand on regarde le détail, on exige d'un Français de l'étranger ce que l'on arriverait à peine à concevoir d’exiger d’un Français de France pour aller voter. En France, les gens sont rarement à plus de 500 m de leur bureau de vote. Pour les Français de l'étranger, c'est quelques fois en plusieurs centaines de kilomètres que cela se compte

Évidemment le vote électronique est là, mais cela ne résout pas tout. Il a été mis en place pour la première fois en 2003, par une loi qui était issue de propositions de lois parlementaires et sénatoriale. J’observe qu’il n’est pas un facteur d’incitation au vote, mais simplement un facteur de facilitation du vote. Il n’a pas fait pour l'instant augmenter le taux de participants, car ceux qui avaient prévu de voter, le font par internet. J’y vois une chose essentielle, c’est encore un système encore un peu compliqué car il faut faire cohabiter deux impératifs : le secret du vote, et l’identification de celui qui vote. C’est à dire deux choses qui sont antinomiques.

Bien sûr, comme tout le monde je regrette que l’on n’ait pas un taux de participation plus important au vote des Français de l'étranger.

Christophe Frassa Trophées des Français d'Asie Océanie
Le Sénateur Christophe Frassa, lors de la cérémonie des Trophées des Français d'Asie-Océanie 2019
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Il y a une orientation significative vers le système d’impôt sur la nationalité, où que vous soyez dans le monde, et même si vous n’avez aucun revenu en France, vous devrez déclarer vos revenus en France et en payer les impôts. Pouvez-vous nous donner un point d’éclairage ?

L'impôt sur la nationalité est pour moi une ligne rouge à ne jamais franchir. Nous avons des impôts sur la territorialité, on paye des impôts là où on habite, et là où l’on travaille. On n’a pas à être imposé où qu’on soit sur la planète parce que l’on est Français !

C'est une tentation qu'a l'administration fiscale depuis des années. C’est une suite logique de ce que pense l'administration fiscale française du fait que l'on part à l'étranger.

Pour elle, on part à l'étranger parce que l'on a quelque chose à cacher, on part à l'étranger parce que l’on n’est pas un bon payeur. J’aimerais bien que les Français de France soient aussi bons payeurs en France que le sont les Français de l'étranger dans le pays où ils sont contribuables !

Pour passer sur une imposition sur la nationalité, il faudrait renégocier les 170 conventions fiscales de non double imposition. Pour renégocier les conventions fiscales qui sont toutes basées sur la territorialité, il faut que les deux parties soient d'accord.
Ce n’est pas parce que la France aura décidé de changer de mode d'imposition, que tous les autres pays vont être d'accord.

On parle toujours du modèle américain mais je vous rappelle que la fiscalité américaine est en deux parties : une part fédérale et une part dû à l'État dans lequel vous vivez.
Les Américains qui vivent à l'étranger ne payent que la part fédérale, qui est la plus minime. Comment pourrait-on déterminer cela en France ? Les Français payent entièrement leurs impôts à la Nation, et non à une région dans laquelle ils vivraient.


Vous avez travaillé avec la Sénatrice Madame Jacky Deromedi sur une proposition de texte de loi relative aux Français établis hors de France, déposée au Sénat le 14 novembre 2019. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La proposition de loi de Madame Jacky Deromedi, dont je suis le premier cosignataire, reprend la liste de l'ensemble des problèmes qui nous tiennent à cœur.
Cela doit être encore aujourd'hui être inscrit à l'ordre du jour de la commission des lois, qui devra nommer un rapporteur, qui fera son travail d'audition et d'enrichissement du texte.
L'horizon pour les travaux de la commission des lois devrait être au cours du premier trimestre 2020. Après elle sera inscrite en séance au Sénat.

Concernant la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances pour 2020, nous avons fait toute une batterie d'amendements.

 

Parlez-nous du combat que vous menez concernant l’assujettissement des Français de l’étranger hors-UE à la CSG–CRDS.


Les CSG-CRDS sont toujours pour nous un problème, un véritable point noir. Je m'explique, la moitié des Français dans le monde restent toujours assujettie au paiement de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les revenus du patrimoine, et pour des raisons qui nous semblent complètement idéologiques, et non fiscales.

Nous avons deux dialogues de sourds. Le premier entre le Gouvernement et l'Union Européenne. L’UE considère que les CSG-CRDS sont des cotisations, le gouvernement français lui répond que ce sont des impôts.

Le deuxième dialogue de sourds est entre le Gouvernement et nous. Nous considérons évidemment que l’on doit payer la CSG-CRDS que si l’on a droit en contrepartie aux bénéfices des prestations sociales qui sont liées. Ce qui n'est pas le cas des Français de l'étranger où qu'ils soient installés sur la planète.

Je vous rappelle que concernant les revenus du travail (salaire ou revenus de remplacement comme la retraite ou le chômage), il y a eu un arrêt de la Cour Européenne de Justice en février 2000 qui a fait modifier à la France son code de Sécurité Sociale. Cet arrêté ne tient absolument pas compte du fait que l'on habite ou pas dans la communauté européenne. Cet arrêté s'applique à tous les Français dans le Monde. La CSG-CRDS n'est donc pas prélevable sur ces revenus-là, y compris sur les retraites de Français qui vivent à l'autre bout de la planète hors de l'Union européenne

Par parallélisme des formes, nous ne voulons pas entrer dans cette espèce de distinguo. Cela devient une discrimination entre Français, qu'ils soient dans l'Union Européenne ou en dehors.
Nous continuons ce combat CSG-CRDS, et souhaitons que les Français qui vivent en dehors de l'Union Européenne restent mobilisés aussi. Il faudra certainement qu'ils aillent jusqu'à la Cour de justice Européenne des Droits de l’Homme pour faire cesser ces discriminations qu'il y a entre Français.

Notre amendement vient hélas d'être rejeté le 4 décembre 2019. Cela illustre encore le dialogue de sourds que nous avons avec le gouvernement. Nos collègues députés qui voient parfaitement où est l'aberration de la position du gouvernement "jouent la discipline gouvernementale" dans leur vote. À l'époque où nous avions un gouvernement socialiste, nos collègues députés socialistes étaient avec nous contre la position du gouvernement. Au bout d'un moment, la discipline de partie n'a plus de raison d'être face à ce qui devrait s'appeler la logique.



Revenons à la loi du Financement de la Sécurité sociale, et la prise en charge des soins de santé lors de séjours temporaires. Où en est-on ?

Il reste pour nous encore un point noir et important. Cela concerne la modification faite par le gouvernement sur les années de cotisation qui étaient passées par un coup de baguette magique de 3 mois à 15 ans de cotisations exigées pour pouvoir bénéficier de la prise en charge de soins, à l'occasion d'un court séjour en France.
Cela revenait à dire que les Français de l’étranger n'avaient plus droit à rien lorsqu'ils revenaient en France. Il y a eu mobilisation, et pour cette fois nos collègues députés ont vraiment joué le jeu et nous avons obtenu comme allégement de revenir à trois ans de cotisations, ce qui est un moindre mal, avec des segments de 3 à 5 ans, de 5 à 10 ans, et de 10 à 15 ans.

J'attends vraiment le résultat final de la loi de financement pour que nos collègues les députés transforment cette dernière circulaire en acte législatif.

 

Le Président de la République Emmanuel Macron souhaite doubler le nombre d’enfants scolarisés dans les lycées français d’ici à 2030.  Selon-vous, le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger permettra-il d’atteindre ces objectifs ?

Pour moi il faut une vision, dire que l’on veut doubler le nombre de d’élèves, c’est un objectif quantitatif. Pourquoi veut-on le faire, avec quoi et comment sont les questions essentielles.

À quoi sert l'enseignement français à l'étranger ? Pour moi, c'est un outil de diplomatie d'influence et de rayonnement culturel.
Mais pour faire cela, il faut y mettre les moyens, et révolutionner tout le modèle économique de l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE), toute l'organisation du réseau, et surtout avoir une volonté qui parte d’en haut. Le programme immobilier de la France en matière de lycée et d'école française à l'étranger n'a pas les moyens ni l’ambition de financer et construire ces établissements à 10 ans.

Pour créer 500 nouveaux établissements à travers le monde, il faudra avoir à travers la planète des experts de l'éducation nationale pour labelliser des établissements qui existent déjà ou qui sont en devenir. Cela ne sera pas difficile de doubler le nombre d'établissements, mais ce qui est important, c'est d'apporter une garantie aux familles de qualité permanente de l’enseignement français. Que l’on puisse accompagner les enfants de la petite section jusqu'au bac. C'est une exigence académique, et cela a un coût financier.

Il faudra également avoir les ressources car ces écoles vont demander des professeurs de l'enseignement français. Cela va avoir un coût. Il ne faut pas faire non plus exploser les frais de scolarité des familles françaises, elles supportent déjà près de 65 % du financement de l'enseignement français à l'étranger.

L'Agence et son modèle économique datent de 30 ans, et il est basé sur un modèle d’expatriation dont les frais de scolarité sont pris en charge par les grandes entreprises. Aujourd'hui, les contrats d’expatriation sont peu nombreux aux profits de contrats locaux.

Il faut remettre à plat l'organisation de l'enseignement français à l'étranger, il faut donner des moyens aux opérateurs, il faut remettre au centre des préoccupations les élèves, le corps enseignant, les familles et les outils pédagogiques. Tout cela nécessite donc des moyens

Quand je dis qu'il faut une vision, une vision sans les moyens pour moi, c'est une vision floue.



Parlez-nous du problème des certificats de vie.

Nous avons mis presque 10 ans pour instaurer des certificats de vie uniques et en version numérique. Il a fallu force de conviction et opiniâtreté pour parvenir à ce que les partenaires sociaux, la CNAV et les complémentaires, finissent par comprendre que nous ne souhaitions pas un contournement de procédure, mais finalement un allégement de procédure.

Il y a des pays dans lesquels le système postal n'existe pas, ce n'est pas parce qu'il ne fonctionne pas, c'est qu'il n'existe tout simplement pas. Il y avait des Français qui touchant une petite retraite en avait vu l’arrêt net et brutal, ceci car il n'avait pas reçu un papier envoyé par voie postale !



La future réforme des retraites prend-elle en compte, selon vous, le parcours de mobilité des Français à l’étranger ?

Je n'en sais strictement rien, et j'aimerais bien savoir ce qu'il y a dedans.
Je partage le sentiment du Président du Sénat, Gérard Larcher. C’est cette incertitude et ce flou qui sont devenus anxiogènes pour les Français. Après un an de négociation, le gouvernement a fait des annonces qu’il a successivement retirées comme l'âge pivot, la clause du grand-père, la prise en compte de certaines années, les régimes spéciaux …
Bien évidemment, j'espère que le parcours à l'étranger des Français va rentrer en ligne de compte. On ne peut pas passer par pertes et profits des années de travail à l'étranger,
pouvoir faire valider ces années me semble logique.

Comme on peut avoir une carrière mixte dans plusieurs secteurs, on peut avoir une carrière mixte dans plusieurs pays. Comme ce qui est prévu pour les carrières faite dans les pays de l'Union Européenne, je ne vois pas pourquoi pour les carrières mixtes effectuées en dehors des pays de l'union, cela ne serait pas pris en compte
Dans ce cas-là on ira à nouveau au-devant de problèmes que le gouvernement sera mis en demeure de résoudre. Ça me semblerait à nouveau injuste.



Parlez-nous des prochaines élections consulaires. En quoi est-ce important ?

Elles auront lieu le 17 mai 2020, c'est important de le rappeler.
C'est un rendez-vous pour toute la communauté française, les conseillers consulaires sont des relais importants auprès des pouvoirs publics dans chacun des pays dans lequel ils sont élus. Ils sont également pour moi, en tant que parlementaire des interlocuteurs privilégiés, comme le sont les élus locaux en France pour les parlementaires. Ils sont essentiels à la vie locale.

C'est une élection dont on parle assez peu malheureusement. Ces élus remplissent un rôle clé par leurs fonctions de représentation de la communauté française dans les différentes instances au sein du conseil consulaire dans chacun des pays dans lesquels ils sont élus. Ils sont régulièrement consultés par les ambassadeurs ou les chefs de poste.

C'est une élection importante, et qui mérite qu’on lui accorde du temps pour aller voter le 17 mai 2020



Quels sont vos vœux pour 2020 ?

Je souhaite que mon pays retrouve une sérénité, une concorde et une fraternité qu'il a un peu tendance à oublier. On peut aimer le combat politique, mais je trouve que celui-ci cède à une violence non canalisée. L'espace public est devenu un exutoire, ou tout et son contraire s’expriment avec violence.
Pour les Français de Singapour, je souhaite qu’ils continuent de porter hauts et fiers les couleurs de la France, et la faire rayonner en Asie. En tant que première ville de France en Asie, qu’ils fassent encore longtemps flotter le drapeau de l'amitié entre la France et Singapour.

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