L'impression 3D est une vraie révolution industrielle. Les techniques de fabrication sont de plus en plus performantes et précises, on arrive aujourd'hui à l'échelle du micron. Mais les scientifiques veulent atteindre l'échelle nanométrique, voire atomique. La conférence « Nanoscale 3D printing » s'est ainsi tenue à Singapour en décembre dernier dans le cadre du programme collaboration scientifique franco-singapourien MERLION.
L'impression 3D, technologie révolutionnaire, est en passe de s'imposer comme le nouveau moyen de création d'objets. Son attrait réside principalement dans le fait qu'il n'y a plus besoin de moule comme dans l'industrie classique pour créer un objet, et qu'il suffit de récupérer un dessin 3D sur ordinateur. L'industrie classique procède en général par élimination de matière (fraisage, découpe, ?) alors que l'impression 3D propose, à l'inverse, l'ajout de couches successives de matière, selon les coordonnées d'un fichier 3D.
Mais les chercheurs veulent aller encore plus loin pour le futur et visent la nano-impression 3D, c'est-à-dire l'impression 3D avec une précision au nanomètre, soit au millième de millième de millimètre, ou mieux : à l'échelle de l'atome. En décembre dernier, le workshop franco-singapourien « Nanoscale 3D printing » s'est tenu à la Singapore University of Technology and Design (SUTD), dans le cadre du programme de collaboration scientifique « MERLION ». Nous avons rencontré les organisateurs français, le Dr. Jean Chazelas, directeur scientifique de Thalès Defence Mission Systems (Thalès/DMS) et le Dr. Charlotte TRIPON-CANSELIET, enseignante chercheur aau Laboratoire de Physique et d'Etude des matériaux (LPEM)[i]
www.lepetitjournal.com/singapour - Qu'est ce que la nano-impression 3D ?
Jean Chazelas - Il s'agit de trouver une solution alternative aux technologies actuelles de fabrication des semi conducteurs, qui sont limitées en termes de résolution latérale de dépôt de matériaux. La limite actuelle de la lithographie électronique par exemple est de l'ordre de 10 nanomètres. Les difficultés de process ne permettent pas aujourd'hui d'aller au-delà. Nous cherchons à disposer d'une technologie nouvelle qui permette la répétabilité de dépôts de matériaux en surface, à des dimensions extrêmement petites ? à l'échelle nanométrique, voire au-delà (échelle de l'atome) ? et qui permette également la miniaturisation au niveau de l'épaisseur de dépot. L'objectif pour nous, Thalès, est d'étudier la faisabilité d'une nouvelle méthode de fabrication de ces nanomatériaux qui sont très prometteur notamment dans les applications Défense.
L'impression 3D est déjà une révolution. Pourquoi cette recherche de la miniaturisation ultime ?
Charlotte Tripon-Canseliet - Parce que les phénomènes dans les matériaux sont exaltés. Par exemple, les propriétés des matériaux semiconducteurs sont décuplées, parfois de façon exponentielle, lorsque l'on réduit les dimensions. On confine en quelques sortes les interactions et on peut ainsi mieux les maîtriser. Pour la photoconductivité d'un matériau (absorption de lumière dans un matériau semiconducteur) par exemple, les effets escomptés sont gigantesques.
JC ? On remarque que de nombreux travaux de recherche qui se faisaient sur les structures volumiques ont tendance à s'orienter de plus en plus vers des structures surfaciques. Toutes les propriétés intéressantes des matériaux semi conducteurs sont finalement au niveau de la surface, de la peau. On peut ainsi exalter des phénomènes d'interfaces intéressants et les appliquer sur n'importe quel type d'objet, sur une peau la plus fine possible, pour diverses applications dans différentes domaines : défense, biologie, domaine médical, robotique, spatial,...
A quel stade en est-on aujourd'hui ? Quels sont les enjeux et les principaux défis ?
JC ? L'imprimante 3D quantique reste pour l'instant un rêve! La première étape aujourd'hui est la compréhension des phénomènes physiques à l'échelle nanométrique, et une réflexion sur la conception de la machine capable de produire ces matériaux. Les physiciens vont élaborer des modèles pour décrire les phénomènes (quantiques) au niveau des matériaux et il faudra, en quelques sortes, trouver des techniques nouvelles pour « empiler » des atomes de façon très contrôlée, et pas un à un sinon ça prendrait des années pour faire un seul objet ! Cela nécessitera aussi de maîtriser l'environnement, pour éviter toute poussière (atomique). C'est donc très complexe et nous travaillons sur des objectifs à long terme, 10 ans probablement.
Parlons justement de ce workshop avec SUTD, NTU et A*STAR. Qu'attendez-vous de ces deux jours ?
JC - Le workshop a pour objectif de rassembler des experts de la croissance des matériaux afin de faire un brainstorming, de mêler les idées sur ce qu'on sait faire en 3D, et même en 4D (structure 3D qui peut se déformer), pour faire appel à toutes les idées, toutes les cultures. Il y a ici, à Singapour, une culture matériau très forte et, en France, une grande culture de théoriciens, de physique. Il y a donc une bonne complémentarité et une opportunité de belle collaboration. Je pense qu'on a la capacité de concevoir ces machines révolutionnaires ici, étapes par étapes.
CTC - Il s'agit vraiment de réunir les gens qui travaillent sur les matériaux et sur les machines. A SUTD, Université de Technologie et Design, il y a un savoir-faire de conception machine au travers de leur plateforme DmanD (Digital Manufacturing and Design). Le projet inclut également des experts dans le domaine des matériaux comme le laboratoire IMRE de A*STAR. A l'ESPCI-UPMC, nous travaillons sur les matériaux et aussi sur des machines d'impression 3D à l'échelle nanométrique[ii]. Le monde de l'électronique et de la biologie sera également présent. Au cours de ces deux jours, le champ d'action est ciblé sur des applications autour de l'électronique. L'objectif est de faire une démonstration de concept sur quelques éléments d'optoélectronique que l'on utilise beaucoup dans diverses applications.
JC ? Comme suites du workshop, nous souhaitons, d'une part, soumettre un premier projet de démonstrateur de machine d'impression 3D nanométrique aux agences de financement concernées et, d'autre part, éditer un livre qui reflètera les discussions et présentations des deux jours, et qui sera le premier ouvrage sur l'impression 3D à l'échelle nanométrique.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce partenariat avec l'Université de Technologie et Design de Singapour, SUTD ?
CTC - L'idée est vraiment de mener en parallèle les réflexions sur les techniques d'impression en même temps que sur les matériaux. SUTD a un savoir-faire intéressant dans les domaines de conception machine et de fabrication. Le Prof. Kin-Leong Pey, associate Provost à SUTD a également une très forte compétence matériaux. Il était auparavant à NTU et nous avions collaboré sur des projets de croissance de matériaux 1D (nanofils) semiconducteurs.
Pour SUTD, l'intérêt pour le projet est double. Il est technologique, d'une part, avec le défit de descendre en échelle dans l'impression 3D. Et il y a d'autre part un enjeu d'enseignement important, pour former la future génération d'architectes et d'ingénieurs qui seront à même de comprendre et d'utiliser ces techniques de fabrication à l'échelle nano. SUTD a une approche pédagogique très intéressante, multidisciplinaire et par projets industriels, qui ajoute à l'intérêt du partenariat.
Quelle est votre vision du PHC MERLION ?
CTC - Je suis venue à Singapour pour la première fois, en 2007, grâce au PHC MERLION. Le lien s'est alors fait avec NTU car j'ai vu qu'il y avait un fort potentiel dans la croissance de matériaux, et en particulier avec le Pr. Yoon Soon Fatt qui a créé un matériau semiconducteur quaternaire unique au monde et qui nous a permis de faire des démonstrations de systèmes très intéressantes. Au cours de mes voyages, j'ai été amenée à rencontrer d'autres experts scientifiques, comme le Pr. Teng qui est un expert en matériaux nouveaux pour la nanophotonique et avec qui nous avons ensuite collaboré dans le cadre d'un autre projet MERLION. Aujourd'hui, j'ai la chance de pouvoir travailler sur des matériaux 2D grâce à une collaboration avec le Pr. LIU Zheng de NTU qui nous mène aujourd'hui à la proposition d'un projet ANR/A*STAR.
Le PHC MERLION est vraiment un bel outil pour initier des collaborations. Je pense que cela fonctionne bien aussi parce que les singapouriens sont très ouverts, vraiment collaboratifs et très réactifs. Il y a aussi une très bonne complémentarité des équipements et des compétences. En France, je fais de la conception et de la caractérisation, et ils ont ici une expertise en process, en partie fabrication. Lorsque je viens à Singapour, on travaille vraiment ensemble sur une semaine et je repars avec des échantillons de semiconducteurs, c'est vraiment extraordinaire.
JC - L'initiative de créer le PHC MERLION pour financer les échanges et donner des possibilités de rencontres est excellente. Thalès a d'ores et déjà participé à 10 projets MERLION, en partenariat avec des laboratoires Français et Singapouriens. Le laboratoire CINTRA (CNRS International NTU THALES Research Alliance voir notre article ici) est né d'un financement MERLION ! Le programme a en effet financé un workshop qui s'est déroulé à Lille et où une dizaine de chercheurs singapouriens ont fait le déplacement grâce au MERLION. Cela a permis la structuration du contenu scientifique de ce qui est devenu CINTRA.
Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour), le Jeudi 23 février 2017.
[i] Le Laboratoire de Physique et d'Etude des matériaux (LPEM) est une unité mixte de recherche de l'ESPCI (École Supérieure de Physique et de Chimie industrielles de la ville de Paris) CNRS et UPMC (Université Pierre et Marie Curie). Ses thèmes de recherche principaux sont :
[ii] L'ESPCI-UPMC dispose d'un équipement « NanoScribe » sous la responsabilité du Pr. Eric Clément du Laboratoire de Physique et de Mecanique des Milieux Hetérogènes (LPPMH)
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