Le photographe singapourien Edwin Koo était membre du jury du concours photo « Singapour et l'eau » du petit journal de Singapour. D'abord connu pour ses portraits en noir et blanc d'hommes et femmes en exil au Népal ou au Pakistan, Edwin Koo a récemment arpenté le métro de Singapour pour capturer les expressions des « commuters » aux heures de pointe, à l'instant où les portes se referment. Il se décrit comme un photographe documentaire, et ses photos reflètent son humanisme et son envie de raconter des histoires. Rencontre avec ce photographe talentueux.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours en quelques mots ?
Edwin Koo - J'ai découvert la photographie il y a 12 ans, un peu par hasard à l'occasion de mon stage de dernière année d'études en communication et journalisme, et j'en suis tombé amoureux. En tant que journaliste, j'aime relater des histoires. J'ai donc mêlé mes deux passions pour devenir photojournaliste. J'ai travaillé pendant 5 ans pour différents journaux à Singapour (dont 2 ans au Straits Times) et vécu l'excitation et l'adrénaline de la quête du scoop et de la photo qui couvrira l'événement ou fera la Une. Mais finalement, je n'étais pas satisfait ; ce n'était pas ce que je voulais faire de mes photos.
J'ai donc tout quitté en 2008 et je suis parti vivre avec ma femme à Katmandou. Le plus dur a été de sortir de notre zone de confort, mais très vite nous avons découvert un pays et des gens magnifiques. Petit à petit, je me suis remis à faire les photos que j'aimais et j'ai trouvé les histoires que je voulais raconter. J'ai pu développer mon travail personnel et me sentir devenir réellement un photographe documentaire. Je suis revenu à Singapour depuis 2011.
Vos photos de l'époque sont en noir et blanc et parlent beaucoup des gens que vous avez rencontré, au Népal mais aussi ailleurs.
- Pour être honnête, au début je photographiais en peu tout ? des festivals, des émeutes, des scènes de rues, ... et j'ai découvert mon style et les sujets qui m'attiraient. Au Népal, à travers les maoïstes et les exilés tibétains, ce sont les thèmes de l'Utopie et du foyer ; au Pakistan, l'offensive militaire de 2009 contre les talibans dans la vallée de swat a provoqué un exode massif de plus de 3 millions de personnes, et là aussi, ce sont les gens qui m'ont touché, et la question du déplacement des populations.
Le choix du noir et blanc était évident pour moi pour ces séries. Prendre des photos en noir et blanc ou en couleurs est très différent, et en fonction du projet, de ce que je vois et je ressens dès le départ, je sais si ce sera l'un ou l'autre.
Vous êtes revenu à Singapour en 2011 et avez alors fait une série sur les élections générales, intitulée « Notes for a Singapore son ». Un choix politique ?
- Je suis rentré à Singapour à la naissance de mon fils et après avoir vécu au Népal pendant deux ans. J'ai alors porté un regard neuf sur mon pays. Les élections de 2011 ont été historiques dans la politique de Singapour, avec l'avancée des partis de l'opposition. « Notes for a Singapore son » est un témoignage de cet élan démocratique. Le titre est à double sens, pour mon fils et pour moi.
Vous avez créé en 2012 « Kathmandu Inside Out (KIO) », un master class de photographie à Katmandou.
- L'idée est de réunir une fois par an et pendant une semaine un petit groupe de participants du monde entier de divers horizons sociaux culturels pour un master class de création d'un documentaire photographique, en immersion totale à Katmandou. On parle bien sûr de technique, de conception, de réalisation, mais le plus important est d'apprendre à surmonter toutes les difficultés liées à un environnement matériel, culturel et géographique particulier. Chacun doit s'adapter, surmonter ses peurs, son anxiété, et trouver la voie qui permettra de finir l'histoire. C'est très enrichissant, et ce projet est très important pour moi. Enseigner est une façon pour moi de redonner quelque chose à Katmandou, où j'ai tant appris.
Etre photographe documentaire aujourd'hui à Singapour, est-ce un métier difficile ?
- Il est beaucoup plus facile d'être un photographe commercial à succès aujourd'hui, en particulier à Singapour. Etre un artiste, se concentrer sur son travail personnel est plus délicat. Mais il faut toujours se reposer la même question : pourquoi suis-je photographe, qu'est-ce qui est le plus important pour moi ? Sinon, on perd vite son identité.
Aujourd'hui tout le monde fait des photos et montre ses images, sur les réseaux sociaux en particulier. Mais la photographie vaut mieux que ça, elle a un énorme potentiel. Mon point de vue, et c'est ce que j'essaye d'apprendre à mes élèves, est que la photographie n'est pas simplement une technique de prise de vue et de cadrage ou de composition, mais un processus qui demande du temps et de la réflexion. Il faut avoir une approche holistique, considérer un ensemble d'images dans leur contexte, et avec une histoire à raconter.
Dans votre récent projet, « Transit », vous photographiez les gens dans le métro de Singapour aux heures de pointe, à l'instant où les portes se referment. Une étude sociologique sur Singapour ?
- J'ai grandi à Singapour à côté d'une station de métro, ça a dû me marquer ! En fait, quand je suis revenu à Singapour, j'ai eu le sentiment de découvrir un nouveau pays, et que les trains étaient devenus tellement bondés qu'il était quasiment impossible de monter à bord aux heures de pointes. L'idée d'une série sur les émotions et les expressions des gens dans ces situations m'est alors venue. C'est bien connu, dans le métro, on est tous collés mais on ne se parle pas, chacun est dans sa bulle, en général avec son smartphone. En prenant ces photos, j'ai suscité une attention, un regard, un échange, et je suis toujours stupéfait de voir ce que cet instant révèle de nos comportements. Je fais une pause pour l'instant car la parution des photos sur Facebook a créé un certain buzz, mais ce n'est pour moi que le premier chapitre, et j'aimerais continuer à faire ces photos pendant peut-être encore 10 ans !
Quel matériel utilisez-vous ?
- Pour les documentaires, les focales utilisées les plus fréquemment sont 35mm et 50mm. J'aime beaucoup la focale fixe 50 mm, car elle est très proche de notre vision, de notre façon naturelle de voir le monde, et elle apprend à se positionner d'une certaine façon par rapport à son sujet, ni trop près ni trop loin.
J'utilise en général un reflex numérique, mais pas exemple pour « Transit », la question du matériel n'a pas été simple. J'ai commencé naturellement avec mon reflex, mais ça ne fonctionnait pas car j'étais trop voyant et attirais trop l'attention avant même d'avoir pu faire une photo. Les appareils compacts ont des capteurs trop petits et ne permettaient pas d'avoir une qualité suffisante dans les conditions de lumière du métro. Je me suis donc tourné vers un appareil de taille compact mais plein format, à focale fixe 35 mm ; c'était l'idéal : je passais (quasiment !) inaperçu, sans concession sur la qualité de l'image.
Vous avez été membre du jury du concours photo « Singapour et l'eau » du site lepetitjournal.com/singapour, quel type de photo vous séduisent ?
Les concours photo font partie de l'« écosystème » de la photographie. Pour moi, le jury a la responsabilité de dire aux gens qu'il ne s'agit pas simplement de l'image en elle-même, mais également de ce que l'image suggère, ce qu'elle raconte. Bien sûr la qualité technique compte, mais je ne retiens pas la photo qui a le plus d'impact visuel ou esthétique, mais celle qui suscite de l'émotion.
Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour), mardi 14 juin 2016
Relire: précédent article sur Edwin Koo, par Anne Garrigue.
http://www.edwinkoo.com - http://www.transit.photo - http://www.kathmanduinsideout.com