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Danse avec les buffles

Buffles Minas Gerais mozzarellaBuffles Minas Gerais mozzarella
Buffles et capim - © Tristan Thieriot
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 17 décembre 2020

Au pays des vaches, dans le sud du Minas Gerais, réputé pour son tourisme rural, la fazenda Pérola da Serra se distingue par l’originalité de son élevage de buffles et ses fromages d’exception.

Il s’appelle Afonso, et vous accueille à l’entrée. Si vous êtes téméraire, vous pouvez même faire un tour dessus, histoire de rentrer sans transition dans le vif du sujet. Deux variantes au choix, vous suggère-t-on avec un clin d’œil : parcours tranquille ou séquence émotion. On ne saura pas si quelqu’un a déjà testé la version rodéo.

Afonso donc est l’un des premiers spécimen arrivés dans la ferme de Carlos, quand ce dernier a eu cette drôle d’idée de faire dans le buffle. Imaginez donc, ici, dans le paisible Minas Gerais, dans cette manière d’Auvergne tropicale où on ne trouve que des vaches, importer ici ce spécimen de big five, cet épigone d’aurochs, ce bovin mastodontesque, vous n’y pensez même pas !? Eh bien si. Carlos, lui, y a pensé.

C’était en 2014. Vétérinaire de profession, Carlos était de retour sur ses terres familiales, après avoir travaillé dans le sud du Brésil. Avec sa femme Adriana et ses deux fils, vétérinaires comme lui, il voulait faire quelque chose de différent. Non que les vaches, leur lait, leur fromage et leur viande, ça ne marchait pas. Ça eut marché, et ça marche encore très bien, merci pour elles. Non, ils voulaient juste tenter quelque chose de nouveau, au risque de passer pour des fous. En Provence, on aurait dit des fadas, tè.

Buffle Minas Gerais mozzarella
(de gauche à droite) Afonso, Elisson et Carlos - © Tristan Thieriot

De 20 à 180 buffles

En fait de folie, ils se sont plutôt révélés pionniers. Car l’idée du buffle tient ici du coup de maître, de l’intuition géniale, du chemin où l’on avance, un rien fier, en précurseur. En soi, le buffle d’élevage n’est pas nouveau au Brésil. On en trouve ailleurs dans le Minas, mais surtout en grande concentration sur l’île de Marajó, dans l’État du Pará, tout au nord du pays, aux embouchures parallèles du Tocantins et de l’Amazone. Mais ici, dans cette région de la Serra da Mantiqueira (une longue chaîne de montagnes étirée sur 550 km), au sud du Minas Gerais, pas si loin de la Via Dutra, l’autoroute qui relie São Paulo et Rio, ici où on élève des vaches de père en fils depuis des lustres, il fallait oser ce pas de côté, sortir du troupeau pour en créer un nouveau, ex nihilo, de buffles des champs.

En l’espèce, ce sont deux types de buffles que Carlos et les siens ont acheté pour commencer : 20 têtes de buffles de type méditerranéen (aussi appelé buffle du levant, celui de la célèbre mozzarella di buffala) et de type murrah (le cousin indien de la bande).

Sur ces prés en colline et ce sol rouge africain, les premiers arrivés se sont vite trouvés à leur aise. Afonso donc (ils ont logiquement commencé en 2014 par la lettre A) et ses congénères se sont adaptés sans difficulté à leur vie nouvelle, pour devenir aujourd’hui un troupeau conséquent de 180 têtes.

« Ceci est un lieu de respect »

Il faut dire qu’ici, on est attentif à chaque animal, comme s’il faisait partie de la famille. Gabriela, Cecilia, Goiaba,… tous les buffles et toutes les bufflonnes ont leur petit nom, tous répondent quand on les appelle en plein champ, tous sont ici chez eux. La traite quotidienne est elle-même ritualisée pour éviter tout stress, pour que les femelles y aillent volontairement, et donnent au final le meilleur (lait) d’elles-mêmes. « Ceci est un lieu de respect », nous dit Carlos devant les machines à traire, comme s’il nous faisait entrer dans une chapelle.

Mais la qualité du lait se joue aussi en amont, sur les pâturages vert sinople où pousse le capim, cette herbe tropicale généreuse, certes plus fibreuse, mais surtout capable de nourrir des troupeaux plus denses que l’herbe européenne. A fortiori avec le « pâturage rotatif dynamique » (ou intensifié) mis en place par Carlos, qui optimise l’usage de ses terres et leur production d’herbe nourrissante pour ses bêtes.

En quantité, la bufflonne est moins productrice de lait que sa cousine bovidé. Mais ce qu’elle livre par ses mamelles est plus riche en protéines et plus faible en matières grasses. Et surtout, c’est de ce miel blanc nacré dont on fait l’authentique mozza, la seule qui vaille, celle de « buffala ». Car là où il faut 11-12 litres de lait de vache pour produire un kilo de fromage « type mozza » au final sans grande saveur, 5 litres de lait de bufflonne suffisent pour le même résultat, la qualité et le goût en plus.

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Le bonheur des veaux est dans le pré - © Tristan Thieriot

Une fabrique à amitiés

Cependant au début, cela n’a pas été simple. Pendant trois mois, Carlos et ses fils ont tenté de produire le fameux fromage, selon ses différentes variantes : burrata, tresses, billes, flor di latte… Mais en vain. A se demander s’ils n’avaient pas fait fausse route, angoisse légitime de tout défricheur de voie nouvelle. Heureusement, l’association brésilienne d’éleveurs de buffles a organisé à São Paulo une formation avec un maître fromager italien. Une semaine de cours et la technique était acquise ; le fromage a commencé à jaillir quelques jours après au bout de la chaîne de production.

Et le résultat est là, qui oblige Carlos à pousser les murs de sa ferme. Non content d’en louer une supplémentaire pour augmenter ses terres, il vient d’attaquer la construction d’une nouvelle fromagerie, bien plus grande que l’actuelle, pour pouvoir suivre en production, quand la nouvelle génération des buffles en G, H  ou I arrivera à maturité.

Surtout, la qualité est là, et à la fazenda Pérola da Serra (la bien nommée « perle de la montagne »), on collectionne les trophées dans les concours nationaux de mozzarella ou de fromages issus du lait de bufflonne. Derniers en date, un doublé or et argent en 2020 chez les champions de l’île de Marajó avec leur audacieux parmesan de buffle (dont les tomes vieillissent dans un silo semi-enterré) et leur burrata crémeuse à souhait - avec un filet d’huile d’olive de la région, un pur délice.

Le secret de cette réussite ? Au-delà de la bonne intuition, du savoir-faire, et de la bonne herbe à brouter, sans doute une façon d’être avec les animaux et les personnes qui crée cette ambiance rassurante et familiale, dès le portail franchi. Carlos, qui ne manque pas d’humour et qui a l’art de la formule, aime énumérer les propriétés du buffle et de son lait. Et de terminer toujours par la qualité principale selon lui : celle de lui fabriquer des amis.

Visite pratique

La fazenda Pérola da Serra se trouve sur la commune d’Itanhandu, dans le sud du Minas Gerais. On peut  la visiter, faire un tour sur un buffle, déguster et acheter des fromages. Contact: Adriana +55 (35) 984341046.

Une bonne adresse pour séjourner au vert dans les environs : la Pousada Bonani, ses jolis chalets et son petit-déjeuner réputé dans toute la région. Contact: Leticia +55 (35) 88340501.

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La diversité de la production multi-primée de la Fazenda Pérola da Serra - © Tristan Thieriot

 

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