Du XVIème au XVIIIème, il était courant pour les jeunes européens appartenant à la haute société, d’effectuer ce que l’on appelait alors le « Grand Tour ». Second fils de Jean du Bellay, seigneur de Gonnord (Pays de la Loire) et d’Anne Renée Chabot, dame de La Turmelière, Joaquim Du Bellay n’échappa pas à ce voyage initiatique, qui devait l’amener à réaliser l’un de ses plus célèbres recueils de poèmes : Les Regrets.
« Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme celui-là qui conquit la Toison, Et puis s'en est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »
Joaquim du Bellay, Les Regrets (1558)
Si l’on devait s’en tenir aux propos de Joaquim Du Bellay (1522-1560) quant à son séjour en Italie, on se laisserait aisément tromper par le lyrisme mélancolique du poète Français. Faisant croire pendant longtemps à ses biographes qu’il n’avait été rien d’autre qu’un misérable secrétaire accablé de travail, avant de revenir en France affligé et aussi désargenté qu’il était parti, il semble que la réalité de ce séjour eut été plus nuancée.
Joaquim a 31 ans lorsqu’il accompagne son cousin le cardinal Jean Du Bellay, en Italie, tandis que ce dernier est appelé par le roi Henri II, guerroyant alors contre Charles-Quint, afin qu’il participe aux négociations avec le pape Jules III. À cette époque, le jeune poète a déjà publié avec Ronsard – à qui il servait de secrétaire – la fameuse la Défense et illustration de la langue française. Quittant la France à la fin du mois d’avril 1553, les deux hommes traversent Montargis, Nevers et Lyon avant d’arriver en Suisse, à Genève. Ils poursuivent ensuite leur chemin vers Côme (Lombardie), descendent à Ferrare (Émilie-Romagne) avant d’atteindre Rome autour de la mi-juin de la même année.
À Rome, l’auteur de L’Olive (1950) habite auprès de son cousin cardinal et doyen du Sacré Collège et mène une vie tranquille. Tandis qu’il s’était dépeint comme un pauvre secrétaire parmi tant d’autres, il s’avère qu’il était en fait, selon les actes notariés de Jean Du Bellay « procureur et vicaire général tant en spirituel qu'en temporel » du doyen du Sacré Collège ». Intendant d’une maisonnée comptant pas moins de cent huit personnes et de trente-sept chevaux, Joaquim veillait également sur la gestion des finances de son cousin ainsi que sur la préparation des dossiers de consistoires.
« Je suis né pour la Muse, on me fait ménager »,
(Regrets, XXXIX)
À n’en point douter, les journées du poète étaient bien remplies. Pourtant, ce fut au cours de ces quatre années d’exil qu’il rédigea ses plus beaux écrits. On lui devra d’ailleurs à cette occasion, parmi les plus beaux vers de la langue française : une très belle comparaison entre la Loire et le Tibre.
« Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine. »
(Regrets, XXXI)
Au sein de l’atmosphère ancestrale de la Cité Éternelle, Joaquim Du Bellay a trouvé l’inspiration pittoresque qui manquait à sa poésie. Insatisfait de l’existence qu’il mène et se sentant vieux avant l’heure, le poète français déversa ses frustrations et amertumes dans les mots. Sublimant sa souffrance intérieure avec un lyrisme goguenard et satirique, il transforma la boue de son désespoir en or, et offrit à Rome sa toute première œuvre poétique en Français, ainsi qu’un sonnet, forme poétique jusqu’alors consacrée à l’emballement amoureux.
Pourtant sa France, et surtout son Anjou natal lui manquent. Sa santé fragile et sa surdité l’empêchent d’apprécier la douceur de la vie romaine, qu'il prend progressivement en horreur. Ces majestueuses ruines qu’il admirait à son arrivée deviennent symbole de décadence et de mort. Elles auront cependant le mérite de lui inspirer ses Antiquités de Rome, publiées à son retour en « France, mère des arts, des armes et des lois » (Regrets, IX), en 1558. Dans ces bagages il embarquera avec lui les 191 sonnets composant Les Regrets, dont la majorité furent écrit au cours de son séjour romain, avant de recevoir un accueil favorable à la Cour de France.