Samedi 29 janvier, Chambre des Députés – à 20h17, en plein milieu du dépouillement, une ovation de quatre minutes a salué les 506 voix déjà obtenues par Sergio Mattarella dans l’élection du Président de la République, ce qui lui assurait une majorité absolue. Trente-cinq minutes plus tard, le Président de la Chambre Roberto Fico proclamait le résultat officiel de ce huitième tour de scrutin : le juge constitutionnel palermitain de 80 ans qui occupait depuis le 3 février 2015 la plus haute charge de l’Etat, était reconduit pour un septennat. Score sans appel : 759 voix.
Élu contre son gré
« Sergio Mattarella sera le garant de la stabilité », titre dimanche La Repubblica, dans un éditorial. Depuis des semaines, Mattarella affirmait qu’un septennat était largement suffisant, qu’il n’était pas sain pour les institutions de perpétuer cette charge, qu’il était « hors de question pour lui de faire une rallonge ». Les circonstances en ont décidé différemment. Depuis l’ouverture du scrutin le 24 janvier, le Parlement a sombré dans une telle confusion, dans l’exaspération de tout le pays, que le choix de Sergio Mattarella s’est révélé la seule solution possible pour sortir de l’impasse. Samedi matin, les leaders des grands partis en sont convenus et ont sollicité l’intervention du Président du Conseil Mario Draghi pour obtenir son accord.
Après la proclamation du vote, les deux présidents du Parlement, comme le veut le rite, se sont rendus au Quirinal pour en informer le chef de l’Etat. Ce dernier, qui avait déjà organisé son déménagement, a confirmé son accord : « les jours difficiles que nous avons vécu lors de cette élection, alors que sévit une grave crise sanitaire, économique et sociale, m’invitent au sens des responsabilités et au respect des décisions prises par le Parlement. J’avais d’autres projets personnels mais les conditions actuelles m’imposent de ne pas me soustraire à mes devoirs et de les faire prévaloir sur toute autre considération ». La prestation de serment aura lieu le 3 février, à 15h30 au Quirinal.
Une réélection accueillit favorablement par l'Europe et le monde économique
Cette réélection permet au Président du Conseil Mario Draghi de poursuivre la tâche du gouvernement de coalition qu’il dirige depuis février 2021. Sur le plan international, cette réélection rassure les chancelleries occidentales qui redoutaient le chaos. L’un des premiers à féliciter Sergio Mattarella a été Emmanuel Macron. Dans un tweet très amical et en le tutoyant, il affirme « pouvoir compter sur ton engagement pour que vive l’amitié entre nos deux pays et au sein de cette Europe unie, forte et prospère que nous sommes en train de bâtir ». Les deux présidents avaient signé l’an dernier le Traité du Quirinal prévoyant une coopération renforcée entre les deux pays. L’accord entre eux est empreint de la plus grande cordialité, comme on a pu le constater lors du dernier sommet bilatéral, le 26 novembre dernier.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 29, 2022
Cette élection tourmentée se conclue donc par un immense soupir de soulagement, en particulier dans les milieux économiques. Elle paraissait s’orienter vers le pire. Il y a d’abord eu l’intermède Berlusconi. L’entêtement de l’ancien Président du Conseil à se présenter pour la plus haute charge de l’Etat a pollué la campagne électorale depuis le début de l’année. Ses chances semblaient pourtant réduites, mais il était parvenu à convaincre l’ensemble du centre-droit à le soutenir. Du même coup la gauche s’était liguée contre sa candidature, mais sans chercher à formuler une solution alternative crédible.
Confusion à droite comme à gauche
Jusqu’au septième tour, les partis, de droite comme de gauche, ont multiplié les propositions, affichant des candidats, dont plusieurs femmes, dont les noms étaient brûlés à peine prononcés. L’énervement a gagné la classe politique. Le centre-droit, qui s’était présenté compact, s’est disloqué. La formation la plus à droite, « Fratelli d’Italia », qui ne fait pas partie de la coalition au pouvoir, a repris sa liberté de vote et présenté son propre candidat. Désavoué, le leader de la Ligue Matteo Salvini se trouve maintenant en grande difficulté dans son camp. L’implosion guette son parti.
Même confusion à gauche. Trois anciens Présidents du Conseil, Enrico Letta (parti Démocrate), Giuseppe Conte (Cinq Etoiles) et Matteo Renzi ne sont pas parvenus à trouver un accord et n’ont cessé de se contredire les uns les autres. Des noms très respectables ont ainsi brûlés : Elisabetta Alberti Casellati, la Présidente du Sénat et deuxième personnage de l’Etat, n’a obtenu que 382 voix au 5e tour de scrutin. Les votes de son propre parti, Forza Italia, et l’appui de son leader Silvio Berlusconi lui ont manqué pour arriver à la majorité de 505 voix. La diplomate Elisabetta Belloni a été récusée au prétexte qu’elle dirige les services secrets. La Garde des Sceaux Marta Cartabia, grande experte en droit constitutionnel, n’a recueilli que très peu de voix. Tout comme l’ex-socialiste Giuliano Amato, Président de la Cour Constitutionnelle. Enfin un sénateur centriste avec une longue expérience, Pierferdinando Casini, paraissait mieux placé, mais il s’est retiré au 7é tour « pour ne pas alimenter la confusion ». Tout au long des sept premiers scrutins, Mattarella avait recueilli entre 200 et 380 voix. Le huitième tour a été décisif.
Préparer l'après Mattarella, les possibilités d'une réforme constitutionnelle
Cette élection comporte deux leçons. Dans l’immédiat on peut exclure de nouvelles élections législatives et un retour anticipé aux urnes. La législature ira probablement jusqu’à son terme, en mars 2023. D’autre part la classe politique ne pourra plus faire longtemps l’économie d’une révision en profondeur de la Constitution. Les balbutiements du Parlement donnent à penser qu’un régime semi-présidentiel « à la française » permettant l‘élection directe du chef de l’Etat serait plus approprié.
Lucien Saintonge