Le moment était attendu par beaucoup de Cariocas : après sept mois d’arrêt pour cause de pandémie, les sambas de Rio ont été autorisées à rouvrir – malgré les restrictions qui restent en place.
Les billets se sont envolés en un clin d’œil, lorsque la Samba do Trabalhador – la Samba du Travailleur – a mis en vente les places pour sa soirée de réouverture au club Renascença, le 26 octobre dernier. Signe que, même sept mois plus tard, la passion des Cariocas pour la samba ne s’est pas affaiblie.
Dans ce club mythique de la zone Nord de Rio, les capacités d’accueil ont été réduites, et des mesures mises en place pour lutter contre le coronavirus : masques obligatoires, gel hydroalcoolique de rigueur, espacement des tables des spectateurs et installation d’une scène pour les musiciens.
C’est sur cette scène, avec la Samba do Trabalhador qu’il a fondé en 2005, que Moacyr Luz, musicien et compositeur star au Brésil, a renoué avec son public. « On perd un peu en naturel, mais la samba ne peut pas mourir. On vit une mutation, » déclare Luz à nos confrères de l’AFP, que l'on peut revoir ici en 2018, dans les circonstances pré-pandémie, roda et chemises à fleurs.
« La samba, c’est le contraire du covid »
Le lundi soir, c’est le jour de la samba, partout à Rio. Partons quelques kilomètres plus loin, dans le quartier de Saúde. Ici a lieu une autre institution des nuits cariocas : depuis des années, les musiciens se réunissent au pied de Pedra do Sal – littéralement la Pierre de sel, un rocher qui marque l’ancien emplacement d’un village quilombo, ces communautés constituées au 17ème siècle et composées d’esclaves en fuite. Différents groupes de samba se répartissent chaque semaine dans les rues environnantes, et attirent une foule d’amateurs qui déambulent d’un groupe à l’autre, une caïpirinha ou une bière fraîche à la main.
A Pedra do Sal, la roda de la samba, cette installation caractéristique où le public est en cercle autour des musiciens, n’a pas été abandonnée – en dépit, pourtant, du risque sanitaire. On se croirait en 2019, dans un monde où le covid n’aurait pas fait plus de 160 000 de victimes au Brésil. Pour Agatha, qui pratique la samba depuis 4 ans et qui vient de la ville voisine de Niteroi spécialement pour se joindre à la fête, « la samba, c’est le contraire du covid. C’est tout ce que le covid interdit : une aglomeração, » nous dit-elle, en faisant référence au terme utilisé au Brésil depuis le début de la pandémie. Pas de regroupement.
Et les spectateurs qui choisissent chaque lundi de venir ici assister à la samba savent qu’ils prennent potentiellement des risques. « Bien sûr que j’ai peur, nous explique Moacyr, qui, à 56 ans, était également présent lundi soir. Mais j’ai encore plus peur de devenir fou ! »
Un sentiment partagé par Antonio, qui est revenu ici à la demande de sa mère : « C’est une période difficile, il y a eu beaucoup de problèmes ces derniers temps et j’étais un peu dépressif. C’est ma mère qui m’a poussé à revenir. La samba m’a redonné confiance. »
Les écoles, sans Carnaval
Du côté des écoles de samba, après la douche froide qu’a provoqué l’annonce de l’annulation du Carnaval 2021, les événements reprennent ce week-end. L’école de samba Portela, qui, fondée en 1923, est une des plus anciennes de la ville et qui a gagné 22 titres de « Champion du carnaval, » notamment en 2017, a ouvert le bal samedi dernier. Les événements organisés par l’école peuvent normalement attirer jusqu’à 4000 personnes, mais, aujourd’hui, la capacité sera réduite de 50%.
Les autres grandes écoles de samba, notamment Unidos da Tijuca, Acadêmicos do Salgueiro et União da Ilha organisent également des événements dans les prochains jours, avec des protocoles sanitaires strictes.
Cette réouverture a lieu dans un contexte politique particulier, puisque les élections municipales ont lieu le 15 novembre au Brésil. A Rio, Marcello Crivella, le très conservateur maire sortant, évangélique, avait fait de la samba et du Carnaval l’un de ses ennemis. En 2017, il avait refusé d’assister à l’ouverture de la « fête du diable, » et avait réduit de moitié les subventions des écoles de samba. A une semaine des élections, il est donné très en retard dans les sondages.
La reprise de la samba à Rio se fait donc à l’image de la ville : multiple, éclatée, pas toujours d’accord sur la direction à suivre et les mesures à adopter. Mais liée par une véritable identité construite depuis plusieurs siècles, et où la samba tient un rôle primordial.