La National Gallery de Singapour expose du 25 octobre au 23 mars 2025 les œuvres de l’artiste singapourien Lim Tze Peng issues de sa collection personnelle et des donations faites à la collection publique de Singapour. Agé de 103 ans, Lim est le doyen des artistes singapouriens encore actifs. Ses contributions offrent un portrait sensible de sa ville, marquée par l’évolution rapide des dernières décennies mais restée authentique à bien des égards. Becoming Lim Tze Peng est une exposition qui transporte dans l’œuvre prolifique de l’artiste (paysages, calligraphie chinoise, art abstrait) tout en faisant référence à un environnement qui nous est cher et familier.
Lim Tze Peng est une légende vivante dans la famille d’artistes célèbres que compte Singapour. Né en 1921, il grandit à Pasir Ris et enseigne toute sa vie dans une école primaire avant de se consacrer à son art. Autodidacte, il peint tout d’abord le Singapour post-indépendance. Ses compositions s’inspirent de scènes du quotidien, dans l’ancien quartier de Chinatown, les kampongs et autour des quais, paysages qu’il tend à revisiter en utilisant des mediums différents (peinture à huile, encre de Chine).
Lim peut être considéré comme le biographe visuel de la cité-Etat, mettant sur papier de riz les paysages observés autour de lui. Les œuvres de l’artiste rassemblent son public autour de l’identité singapourienne. Le style Nanyang propre aux artistes de la scène artistique singapourienne à ses débuts apparaît dans les premières peintures de Lim. Mais c’est sa pratique quotidienne qui consacre ses racines comme point de départ à son œuvre créative.
“L’artiste doit d’abord peindre ce qui lui est le plus familier avant d’entreprendre d’autres sujets”
En 1970, il fait sa première exposition solo à Singapour. En 2003, il reçoit le Cultural Medallion mais sa carrière ne s’achève pas pour autant à l’obtention de ce prix prestigieux. Lim aime la vie et son art lui confère créativité et longévité. L’artiste centenaire a la réputation de mélanger les styles (peinture à l’encre et calligraphie) et les époques (tradition et modernité) en racontant des histoires inspirées des mœurs de son pays, de ses voyages et de son sens de la liberté artistique.
Désireux de faire évoluer sa technique, Lim se rend maître dans l’art abstrait inspirée de l’écriture chinoise traditionnelle et crée au début des années 2000 un nouveau style artistique, le “hutuzi” (“calligraphie en désordre”), qui mélange calligraphie et art abstrait. Lim dit garder l’esprit de l’encre dans ses séries sur Chinatown et la rivière tout en se concentrant sur les lignes des caractères calligraphiés et en y ajoutant des images comme visuel inhérent à l’œuvre abstraite. Sa connaissance de la culture et la calligraphie chinoises fait de ses œuvres les témoins de la tradition telle qu’elle est encore perçue à travers ses expressions plus modernes.
L’exposition Becoming Lim Tze Peng est le quatrième volet d’une série sur les artistes singapouriens qui ont influencé la scène artistique après l’indépendance, après Cheong Soo Pieng, Teo Eng Seng et Kim Lim, dont les expositions ont encore cours. Elle présente plus de 50 œuvres réalisées entre 1946 et 2023 et comprend les peintures de la rivière Singapour issues de la collection de la résidence présidentielle de l’Istana. De rares archives du studio de l’artiste viennent ajouter une part de réel et de narration aux œuvres de Lim.
Becoming Lim Tze Peng ne prétend pas être une rétrospective de l’ensemble des œuvres de l’artiste. De taille moyenne, elle présente son travail sous forme thématique afin de mieux comprendre son parcours et les points clés de sa carrière depuis ses débuts, avec notamment la présence de son œuvre réputée la plus ancienne (“Coolness in the Depth of the Mountains”, 1946). Ainsi, la visite s’articule autour de trois axes : les scènes de la vie singapourienne, les voyages de Lim à l’étranger (Europe, Asie du sud-est) et ses expérimentations inspirées de la poésie et la calligraphie chinoises.
La première partie de l’exposition “From Dapo to Xiaopo” (qui signifie entre le grand et le petit quai) rassemble des œuvres peintes sur place et s’inspirant de scènes de la vie d’autrefois sur les quais de Singapour. La zone entre le grand quai et le petit quai est aujourd’hui comprise entre Outram Park et Kampong Glam. Vibrantes de vie, les peintures reprennent des tranches de vie dans les marchés, les cafés, à la mosquée et offrent une vision romantique des lieux témoins de l’activité essentielle de la ville. Lim fréquentait régulièrement les quartiers qu’il affectionnait et souhaitait dessiner. Il lui arrivait d’organiser des sessions publiques où il réalisait ses esquisses et exposait dans ces mêmes quartiers. La disposition côte à côte de peintures telles que “Chinatown” (1982) et “Hawker” (2013) ou encore “Boats” (2013) et “Singapore River” (1960) avec des mises en scène identiques mais une perspective et des mediums différents accroît l’effet du temps qui a passé et du maintien des traditions dans ces lieux incontournables de la vie singapourienne. Tel un nouveau langage visuel, son style s’exprime à travers des coups de pinceau au tracé brisé sur fond de texture pastelle. Afin de susciter un sentiment de réminiscence chez son public, Lim capture les lumières et les couleurs de la rivière et des marchés comme éléments atemporels.
Dans la deuxième partie, “The world outside”, des paysages en dehors de Singapour font leur apparition, faisant suite à la résidence de l’artiste à Paris en 2000. Montmartre, Florence, ou encore un village médiéval des Alpes maritimes sont à leur tour l’objet d’observation de Lim qui adopte tantôt une technique de représentation horizontale inspirée des grands artistes européens du siècle dernier, tantôt une approche personnelle en signant avec des caractères chinois pour exprimer le rapport à ses origines et au sentiment de se sentir chez soi dans ces terres d’accueil. Deux peintures à l’huile, “Venice” et “Ponte Vecchio, Florence”, sont au centre de cette section consacrée au monde extérieur. Elles ont été réalisées en 1996 lors d’un voyage de Lim en Europe avec la Société des artistes chinois. Toutes deux font preuve de la créativité de Lim qui fait le choix d’utiliser des techniques différentes pour dépeindre des paysages culturellement semblables, Venice apparaissant comme une ville floue, dans le mouvement, alors que le pont de Florence ressort ennobli par les contours accentués qui donnent grandeur et profondeur au monument. Quant au petit village méridional de “View of the Hills” (2000), il semble disparaître dans la nature foisonnante à laquelle l’artiste réserve une place de choix au centre du tableau. Sumatra et le lac Toba font également partie des représentations du monde extérieur que l’artiste centenaire a réalisé lors d’une expédition en 1970, s’immergeant dans la culture de groupes ethniques indonésiens et dans l’atmosphère tropicale environnante.
Enfin, la troisième partie de l’exposition, “On my own grounds”, marque un virage dans la carrière de Lim à travers son aspiration à tendre vers de nouvelles techniques. L’illustration figurative prend ainsi la forme de motifs empreints de calligraphie qui constitue ce qui est devenu son invention propre, le “hutuzi”. Lim crée ici ses propres règles quand il s’agit d’exprimer sa sensibilité esthétique. Il explore la représentation à l’encre comme méthode d’écriture poétique et de création visuelle. Dans une de ses œuvres les plus récentes, “Regardless Of Right Or Wrong, Success Or Failure, It All Turns Into Emptiness ; Only The Lush Mountains Remain, And The Red Sunset Persists” (2023), Lim atteint un degré de pureté dans son habilité à allier peinture et calligraphie grâce à un jeu de pièces de puzzle enchevêtrées associant la verticalité de l’écriture chinoise à l’absence de personnages identifiables malgré la présence de teintes évocatrices. Un carnet de l’artiste exposé en vitrine signe un véritable dictionnaire visuel servant de base à ses créations abstraites. Un enregistrement vidéo retrace quant à lui le travail calligraphique de l’artiste en 12 minutes où l’on peut voir Lim reproduire à l’encre de chine un poème de la dynastie Tang. Voguant entre espaces et vides, le pinceau alterne encore une fois entre des lignes brisées et des textures plus veloutées dans une conception consciente d’art abstrait. Le rythme y est différent même si on peut y retrouver le même souffle dans l’appréhension des volumes et la place réservée à la nature (“Forest path”, 1985). Cette partie comporte aussi son œuvre la plus grande en taille, mesurant près de 5 mètres de long, dont l’intensité des lignes verticales entrecoupées incarne la fluidité d’un monde moderne en transition.
“Pour être un bon artiste, il faut être une bonne personne”
Alors que tout retraité pourrait aspirer à passer ses journées au rythme dicté par le corps et le repos, Lim Tze Peng travaille sans assistant et continue de produire une peinture par jour à l’âge de 103 ans. Il n’y a pas d’âge pour apprécier la beauté et celle-ci est omniprésente. L’éclosion des fleurs comme les imperfections sur le mur d’une vieille bâtisse sont autant de sources d’inspiration pour l’artiste. A ce jour, il a 20.000 peintures à son actif, dont la plupart ont été données à son pays et sont exposées à la National Gallery Singapore, le Singapore Art Museum et la Nanyang Academy of Fine Arts.
Informations et réservation : https://www.nationalgallery.sg/BecomingLimTzePeng