Objets hautement symboliques de la culture aborigène, dans ce dossier en quatres volets nous faisons un peu de lumière sur leurs origines, histoires et autres détails que vous ne pouvez ignorer.
Il existe plus de 200 communautés aborigènes distinctes avec leurs propres dialectes et coutumes. Ainsi, les Aborigènes ne chassent pas tous avec des boomerangs ou ne jouent pas tous du didgeridoo ou ne vendent pas tous des peintures à points!
Les Aborigènes sont d’incroyables peintres. Sur écorces dans les Territoires du Nord et sur tissus et toiles dans la partie du désert central. Les dessins et figures qu’ils peignent ont tous une signification bien particulière apparentée à la mythologie du rêve. La peinture aborigène peut paraitre plus ou moins hermétique voire simpliste à une audience non avertie. Elle recèle en fait de nombreux secrets et comporte une signification profonde.
Le dossier d’aujourd’hui fait un point sur l’histoire de cet art millénaire et tous les développement qui ont suivi.
Histoire de la peinture aborigènes
Une origine qui remonte à la nuit des temps
Les aborigènes d’Australie sont les premiers humains connus à avoir peuplé la partie continentale de l’Australie.
Il n'existe aucune trace de langues autochtone écrites Les images rupestres étaient une forme de communication visuelle. Cet art rupestre offre des représentations picturales de vues aériennes de la terre, des animaux qu'ils chassaient, des animaux qu'ils vénéraient ou de ceux qui étaient leur totem spécifique. Ces images sont parties intégrantes de la culture au même titre que la langue parlée.
Cette tradition picturale s'est perpétuée, principalement à l'abri de l'influence occidentale, cachée dans des sites isolés, dans des grottes et sur des gravures rupestres. Malheureusement, les dessins et les sculptures réalisés sur des outils en bois et objets d’art tels que des boucliers ont pour la plupart disparu. Ils ont péri avec le temps.
Les dessins gravés dans des roches ou sur des supports plus permanents existent toujours. La datation a établi que la culture aborigène est très probablement la plus ancienne de la planète.
La colonisation
A la fin des années 1700, les Occidentaux sont arrivés en Australie et se sont progressivement installés sur tout le territoire, ils ont poussé un grand nombre d'indigènes hors de leurs terres. Certains liens culturels se sont perdus dans certaines régions, particulièrement dans les zones urbaines fortement construites de l'Australie, d'autres plus isolés sont restés très forts.
Compte tenu de la pression et des attaques incessantes et débilitantes dont la culture aborigène a fait l'objet, il n'est pas surprenant que la tradition artistique indigène ait perdu de sa vigueur. De nombreux indigènes ont continué, à l’abri des regards, à pratiquer leur art qui faisait partie de leur vie rituelle. Dans le désert, dans les régions reculées du Kimberley et de la Terre d'Arnhem, ils étaient encore florissant.
Cette tradition artistique, cependant, est devenue de moins en moins comprise, à mesure que les influences occidentales devenaient de plus en plus dominantes dans la vie d’une population déracinée. La culture occidentale et l'attrait de la télévision, du sport et de tout ce que l'Occident a à offrir (en bien comme en mal) a érodé ces connaissances.
Le respect traditionnel pour les aînés était également en train de s'effondrer, car de nombreux jeunes ne sont plus initiés aux traditions.
Naissance d’un art contemporain
Les signes Aborigènes furent repérés depuis les débuts du XXe siècle par des anthropologues. L'artiste Karel Kupka fut probablement un des premier à collectionner des écorces peintes dans les années 1950 et à s'intéresser à l'individualisme de chaque artiste, pour ensuite les rapporter en Europe. Celles-ci figurent aujourd'hui dans les collections permanentes du Musée du Quai Branly à Paris mais également du MEG à Genève.
La révolution « Papunya »
Au début des années 1970, Papunya, situé à 240km d’Alice Spring, a été un tournant dans cette histoire. L'instituteur Geoffrey Bardon, affecté dans cette communauté isolée, s'est rendu compte de l'importance de l'art pour les populations autochtones en tant que support de communication. Il a également pu constater que ce lien ininterrompu à la culture et connaissance des ancêtres, était en train de s'éroder.
Il s'est senti concerné et a commencé à travailler principalement avec des hommes âgés. Il a réussi à les convaincre qu'ils devaient commencer à enregistrer l'art et les histoires associées à l'art, car les deux sont fortement liés. Il les a encouragés à utiliser des supports plus permanents, comme des toiles et des tableaux, et à utiliser pour la première fois des acryliques plutôt que les traditionnels pigments ocre.
Les ainés de Papunya se sont réunis pour réfléchir aux histoires qui pouvaient être partagées et à celles qui devaient rester secrètes. Ils ont décidé d'adopter l'idée de peindre leurs histoires. Ce fut une décision significative.
Leur plus forte motivation était l’enregistrement permanent de la culture. Ils voulaient que la prochaine génération puisse voir ce qu'étaient les histoires, l'art et la façon dont ils représentaient les esprits créateurs des ancêtres.
La plupart de ces peintures sont des vues aériennes du paysage, des cartes, mais pas seulement du paysage physique, elles étaient aussi métaphysiques et intensément spirituelles.
Ces premières œuvres ont d'abord été réalisées par les Pintupi et d'autres groupes linguistiques à Papunya. La peinture s'est rapidement répandue chez les Warlpiri à Yuendumu. Ils sont devenus célèbres en peignant les portes de l'école locale avec des motifs et des histoires traditionnels. Pour beaucoup d'enfants, c'était la première fois qu'ils voyaient ouvertement l'art de leur propre peuple. Ces portes se trouvent maintenant au Musée national et dans d'autres grandes galeries. Ce sont des pièces d'art historiques et très importantes.
L’art d’or de la peinture aborigène
Les traditions de nombreux groupes autochtones étaient si fragiles à cette époque. Elles auraient pu très facilement être perdues. Le mouvement de la nouvelle peinture a été repris une communauté après l'autre. Cette période sera considérée comme l'âge d'or de l'art indigène.
C'est à ce moment-là que tous les anciens ont commencé à peindre et à enregistrer leurs histoires avant qu'elles ne soient perdues. C'était un véritable épanouissement de l'art, chaque région avec son propre style, avec ses propres histoires.
Cela a vraiment captivé l'imagination des communautés dans toute l'Australie. Cela a aussi attiré l'attention du monde de l'art en Australie et à l'étranger au fur et à mesure de son développement.
Il y avait également une motivation financière, car Geoffrey Bardon y avait perçu un marché pour ces peintures. Bardon ne pouvait pas se douter que ces premières œuvres marquaient le début d'une nouvelle vague d'art australien.
La peinture aborigène : une culture vivante
La production d’œuvre sur des support fixes marque la naissance de l’art aborigène contemporain. L'introduction des peintures acryliques sur toile en provenance du désert occidental n'a été pratiquée que depuis le début des années 1970 et a gagné en popularité dans les années 1980 et domine encore aujourd'hui. Soudain, les artistes disposaient d'une vaste gamme de couleurs faciles à utiliser.
La culture aborigène australienne est très vivante, évolue, change et s'adapte au 21e siècle. Sa force réside en partie dans le fait qu'elle peut s'adapter tout en conservant son intégrité. Les histoires derrière les peintures ne sont que le squelette de l'histoire. Nous ne connaissons pas toute l'histoire et, à moins d'être initié, vous ne la connaîtrez jamais. Ce que les artistes partagent avec nous, ce sont les morceaux qui ne sont pas sacrés. Ils vous donneront un aperçu de leur culture et de leur histoire, mais une partie de celle-ci est gardée secrète.
De nouveaux styles apparaissent sans cesse. Les artistes du désert occidental ont porté le mouvement des beaux-arts indigènes à un niveau différent et nouveau. Ils avaient une apparence, un style et une sensation différents et une palette très distincte de ce qui les avait précédés. Plus que jamais, différents mouvements artistiques captent l'imagination du public. Il y a encore beaucoup d'autres communautés qui ne peignent pas, qui n'ont pas de centres d'art, et pourtant il y a tant de gens dans ces communautés qui ont un immense talent inné.
Les artistes d’aujourd’hui ne se cantonnent plus aux histoires ancestrales, ils utilisent leur art pour des revendications politiques mais aussi comme un processus de guérison.
Différents styles, différentes régions
Les régions ont souvent leur propre style identifiable. Vous pouvez souvent regarder une peinture et dire, oh oui, celui-là est un artiste Pintupi ou celui-là est Warlpiri, ou celui-là est d'Utopia. Toutes ces régions ont un style identifiable. Parfois c'est vraiment évident, parfois c'est dans les symboles qu'ils utilisent et l'iconographie.
Peintures radiographiques (X-ray)
Dans le nord de l'Australie (Terre d'Arnhem NT), l'art radiographique aborigène est un style traditionnel utilisé pour représenter les animaux et les histoires locales. De nombreux animaux sont peints en montrant certaines caractéristiques anatomiques
L'art radiographique montre le lien et la compréhension de l'artiste avec son pays et ses habitants. La représentation délicate des structures osseuses et des organes internes donne à l'image un effet tridimensionnel.
Hachures croisées
Les hachures croisées, souvent appelées Rarrk, sont un style de peinture courant dans la Terre d'Arnhem, au nord de l'Australie, censées détenir un grand pouvoir spirituel.
On utilise des poils semblables à des cheveux que l'on trouve à l'intérieur de la tige d'un roseau, ou des cheveux humains eux-mêmes, pour peindre méticuleusement les fins détails du rarrk. Il s'agissait à l'origine d'une peinture cérémoniale traditionnelle, et aujourd'hui les artistes de Kunwinjku utilisent le rarrk pour signifier ces traditions.
Peint à l'origine sur de l'écorce séchée ou durcie, le hachurage contemporain est réalisé sur des toiles à l'aide de peinture acrylique. La technique est réalisée en créant des lignes parallèles rapprochées, puis en appliquant une deuxième série de lignes parallèles rapprochées qui se croisent avec la première. Les techniques plus avancées donnent l'impression que le motif a été tissé dans la peinture. Cette technique a été utilisée pour représenter des créatures marines, des reptiles et d'autres animaux et revêt une signification spirituelle.
Ocre
L'ocre est plus un médium qu'un style, mais ce médium génère un style qui lui est propre.
L'ocre est originaire de la Terre d'Arnhem et du Kimberley en Australie occidentale et Alice Springs, au centre du Territoire du Nord. L'ocre est un type d'argile dure qui se décline naturellement en de nombreuses couleurs différentes allant du rouge, rose, jaune au blanc et parfois bleu.
Il est réduit en poudre puis mélangé à de la salive, de l'œuf, de l'eau ou de la graisse animale pour fabriquer de la peinture.
De nombreuses autres couleurs sont obtenues à partir du blanc ainsi qu'en ajoutant différents pigments, provenant soit du sang humain ou animal, soit du pollen des plantes.
Il s'agit du plus ancien type de peinture utilisé en Australie, certains datant, avec des retouches, de plusieurs milliers d'années.
La peinture par points
A ne pas confondre avec le pointillisme. Bien que le concept de la peinture par points soit apparu relativement récemment, en 1971, les Aborigènes ont dessiné des motifs avec des cercles et des points dans le sable des milliers d'années auparavant.
Les peintures d'Australie centrale adoptent ce style plus abstrait, provenant de motifs sacrés utilisés lors de cérémonies, peinture corporelle et des peintures au sol. La peinture par points, qui varie du plus fin travail par points réalisé avec de fines baguettes, à des points plus gros et plus audacieux qui forment des motifs variés de points terreux ou très colorés. Ce type de style caractérise l'art aborigène dans l'esprit de la plupart des gens.
Il a été transféré sur la toile lorsque l'art aborigène est devenu populaire dans la culture occidentale, à l'école de peintres Papunya Tula.
À cette époque, on craignait que les populations non indigènes et les autres régions rivales ne comprennent les connaissances secrètes, de sorte que l'imagerie à double point était utilisée pour dissimuler les motifs et les significations sacrés, afin qu'ils ne puissent être distingués que par leur peuple. Les premières peintures représentaient des objets rituels et des cérémonies spirituelles. Les œuvres de l'école de peintres Papunya Tula n'étaient pas destinées à être vendues, mais devaient permettre aux artistes de créer une représentation visuelle de leur pays d'origine.
Feuilles médicinales de brousse
Il s'agit d'un style de peinture moderne popularisé par l'artiste aborigène australienne Gloria Petyarre, dont les tableaux les plus récents représentent le Bush Medicine Dreaming, un style dans lequel les artistes rendent hommage aux plantes médicinales du bush.
Elle a remporté le très convoité Telstra National Aboriginal & Torres Strait Islander Art Award en 1999.
Les feuilles puissantes de ces plantes sont récoltées par les femmes et utilisées pour leurs pouvoirs médicinaux et réparateurs. En imitant un mouvement fluide et un rythme ondulatoire, les artistes utilisent une série de coups de pinceau pour représenter les différentes propriétés médicinales de la plante.
Champ de couleurs
La peinture colorée est caractérisée par de grands champs de couleurs plates plutôt que par la figuration et repose sur une forme et un processus cohérents.
Ce style est utilisé par le légendaire artiste aborigène Kudditji Kngwarreye (le frère cadet d'Emily). Il a été le premier artiste à peindre en champs de couleurs en 1993 et est le maître de cette technique. Ceci lui a attiré les foudres du monde de l'art aborigène.
Dix ans plus tard, bien qu'il ait été encouragé à revenir à la peinture par points, les amateurs d'art abstrait ont commencé à adopter son travail.
On dit que son style est similaire aux œuvres de Mark Rothko, un grand peintre moderniste américain.
Bradshaw Art
Controverse, intrigue, informations contradictoires et confusion entourent cet étonnant style d'art aborigène. De nombreuses recherches ont été menées pour découvrir les origines de ces figures et une réponse claire ne sera peut-être jamais possible.
Un certain nombre de groupes indigènes originaires de la région où se trouvent les Bradshaw pensent qu'elles ne sont pas l'œuvre des Aborigènes et qu'elles sont antérieures à leur arrivée en Australie et ont été copiées par les Aborigènes: Il faudrait donc qu'un groupe d'humains antérieur aux aborigènes ait élu domicile sur cette terre ?
Il y a ensuite des rapports contradictoires, comme les croyances de l'un des plus célèbres peintres Bradshaw, Kevin Wainer, qui nous assure qu'elles sont l'œuvre de ses ancêtres aborigènes.
Les figures Bradshaw sont symétriques, mystiques, parfois représentées avec des couvre-chefs détaillés, y compris les formes coniques et les "nœuds" distincts qui dépeignent un style opulent et raffiné. Les Bradshaw sont également représentés en train de chasser et de faire des danses cérémonielles dans leurs œuvres et Kevin Wainer ajoute une touche étonnante en incluant des empreintes de mains dans nombre de ses œuvres !
Les Wandjinas
Les wandjinas ne se trouvent que dans la région du Kimberley (nord-est de l'Australie occidentale) ; on ne les voit nulle part ailleurs en Australie.
Ils sont profondément spirituels pour les habitants de cette région, le peuple Mowanjum, qui comprend trois groupes linguistiques, le Worrorra, le Ngarinyin et le Wunumbal.
Les Wandjinas ont de grands yeux, comme l'œil d'une tempête, mais pas de bouche. On dit qu'ils n'ont pas de bouche car cela les rendrait trop puissants. Ils sont souvent représentés avec des coiffes élaborées, indiquant différents types de tempêtes.
Certains esprits imaginatifs y voient la preuve de visites extra-terrestres, qui auraient apportés leurs connaissances astronomiques aux aborigènes.
Autres styles
Les différents styles énumérés ci-dessus sont ceux dit traditionnels mais la créativité et talents des peuples aborigènes est sans limite et beaucoup d’artistes explorent aujourd’hui tous les styles et mediums. Ils côtoient et rivalisent avec la nouvelle génération d’artistes occidentaux. A vous de les découvrir…
Une figure legendaire: Albert Namatjira
A la fin des années 1930 à Hermannsburg, au sud d’Alice Spring, l'artiste et aquarelliste Albert Namatjira va devenir extrêmement célèbre et pourtant ses aquarelles ressemblent à de l'art de style occidental. Pour de nombreux Australiens, il aurait été le premier artiste indigène dont ils auraient entendu parler ou qu'ils connaîtraient. Il est devenu très célèbre en Australie et ses œuvres se vendent aujourd'hui à des dizaines de milliers de dollars.
Si de nombreux artistes occidentaux, à un niveau similaire de compétences techniques, se sont rendus dans le même pays et ont peint à l'aquarelle, c'est l'œuvre de Namatjira qui se distingue par sa capacité incontestable à capturer l'essence du paysage qu'il peignait. Il témoigne d'une compréhension et d'un lien avec la terre.
Albert a créé sa propre école d'art, qui existe encore aujourd'hui. Les artistes du centre artistique Many Hands produisent toujours de magnifiques aquarelles de la campagne autour d'Alice Springs, des trous d'eau et des canyons. Ils peignent toujours les « ghost gums » qui figuraient si souvent dans l'œuvre d'Albert. La tradition se perpétue sans aucun doute. Une tradition qui a adopté des styles de peinture occidentaux et les a intégrés dans quelque chose d'intrinsèquement indigène.
Dans notre prochain volet de ce dossier vous découvrirez la mythologie et l’iconographie propre à ces peintures.