S’ils ont quitté la Nouvelle Calédonie, la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quittés. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs…
Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Martin SROCZYNSKI dit SROKA : Musicien.
Artiste aux multiples talents, la musique de Sroka est comme lui : curieuse et généreuse. Son appétit pour les sonorités d’ailleurs est fascinante, et son envie de les partager contagieuse.
L’enfance calédonienne et les débuts musicaux de Sroka
Sroka est né en Nouvelle-Calédonie, d’une mère originaire de Grenoble et d’un père d'origine polonaise et pied-noir espagnol. Ses parents avaient décidé de changer de vie des années plus tôt et de partir s'installer en Nouvelle-Calédonie, où il voit le jour.
Dès son plus jeune âge il est bercé dans un environnement musical. Son père écoute beaucoup de musique et lui fait partager sa passion. C'est une voisine violoniste qui lui donne envie d’essayer cet instrument à cordes qui le mènera jusqu’à l’école territoriale de musique de Nouméa. C'est vers ses 15 ans qu'il reçoit l’instrument qui changera sa vision de la musique : une basse.
Ainsi en parallèle du violon et de son enseignement plus classique, il monte avec son frère et quelques amis : Dharma, un groupe de reggae. Le groupe tourne sur l’île, notamment au Théâtre de Poche et autres lieux de la scène musicale locale.
Les voyages et la découverte des musiques du monde en Amérique Latine
En 2012, à 18 ans, Sroka décide de partir en France pour voir du pays et surtout pour étudier la musique. Après un passage par Bordeaux, le jeune artiste part étudier au conservatoire de Paris.
Très vite il a des envies de voyage et d'un retour aux sources, musicalement parlant. Il ressent ce besoin de faire de la musique comme quand il était ado : passionnément et spontanément. Il met le cap sur l’Amérique Latine pour un voyage d’un an. L’envie d’aller à la rencontre des gens, de parler musique avec des inconnus l’emmène vers la Patagonie où il commence à faire de la musique dans la rue, puis de Valparaiso au Chili jusqu'à Bogota en Colombie.
Sroka est bassiste et avait laissé son instrument de prédilection derrière lui pour ce périple. Sur place il s’achète une guitare : ce changement d’habitude et d’instrument lui permet de prendre du recul sur sa propre pratique musicale. Dans chaque pays il rencontre des musiciens avec lesquels il cherche à apprendre quelque chose de nouveau et surtout de local. L’envie de partager et la soif d’apprendre est quelque chose qui se retrouve tout au long de la carrière de Sroka. Ainsi dans chaque pays il apprend des morceaux du répertoire traditionnel : de la samba en Argentine à la chacarera à Cueca au Chile ; de la musique créole sur la côte péruvienne, jusqu'à la musique afro-cubaine de Colombie.
Comme à l’époque où j’étais en Nouvelle-Calédonie et que j’écoutais la musique locale – le Kaneka ou le folk mélanésien – ce qui me touche c’est le côté organique de la musique latino. Sentir la tradition dans les mélodies me fait vibrer.
Sroka aime rencontrer des gens qui ont une approche de la musique différente de la sienne, et des parcours singuliers : « des fois on intellectualise un peu trop la musique. Après des années de conservatoire, ce voyage m'a permis de relativiser et de juste ressentir la musique de nouveau. »
Une énergie et une vision de la musique qu’il cultive depuis cette période artistique latine et nomade.
Enseigner la musique : recevoir pour mieux donner
A son retour en France son frère est lui aussi en métropole, ce qui permet à Sroka de trouver une dynamique nouvelle. Il reprend ses études pour devenir professeur de musique. En 2014 il obtient le certificat MIMA (Musicien interprète des musiques actuelles), puis en 2016 le Diplôme d’étude musicale du conservatoire, en musiques actuelles amplifiées. Il donne des cours au conservatoire de Bordeaux ; comme un paradoxe pour celui qui avait fini par fuir les conservatoires pour la musique de rue.
J'ai aussi fait ces études là pour ensuite rentrer en Nouvelle-Calédonie y enseigner la musique et pour y faire avancer les choses dans ce domaine.
Sroka enseigne la basse et les musiques actuelles comme tuteur dans des ateliers collectifs. Il se place plus en coach qu’en instructeur ; il essaye de catalyser les énergies et talents de ses élèves, de leur faire prendre conscience de la façon dont on s'approprie un morceau et comment travailler sur la dynamique ou le relief d’un morceau. Toujours avec cette sensibilité tournée vers l’autre et cette volonté de partage.
L’INTERVIEW MOTS CLÉ
Si je te dis : COLLECTIF B612
SROKA : Quand je suis arrivé en France en 2012, on était plusieurs très bons amis de Nouvelle-Calédonie à venir à Bordeaux. On était toujours tous ensemble et parmi cette bande il y avait mon ami Jérémy et son cousin Erwan. Sa famille avait une maison à Saint-Savin, à une trentaine de kilomètres au nord de Bordeaux, et cette maison a toujours été comme un refuge pour nous les petits calédoniens de Bordeaux.
Beaucoup de musiciens et d'artistes venaient pour se rencontrer là-bas. Dans le salon il y avait un piano à queue et une batterie... Ça a toujours été un endroit très inspirant pour moi. Il y a 3 ou 4 ans, Erwan a décidé d'officialiser les choses et de monter une association qui s'appelle le B612 et qui est un collectif d'artistes multi-arts. Ce n'est pas que de la musique, il y a beaucoup de street-art, de sculpture… C'est un lieu de résidence artistique où tu as accès à un endroit calme où créer, te retrouver avec d'autres artistes. Il y organise un festival où il mélange les street-artistes et les musiciens. Il a aussi conçu le jardin comme un musée à ciel ouvert, avec des œuvres de peintres.
Ce lieu est un astéroïde, totalement inspirant. Et qui commence à être connu dans la région de Bordeaux avec un vrai réseau qui s'articule autour du B612.
Pour en découvrir plus c’est ici sur le facebook du collectif.
Si je te dis : L’OUTRE-MER FAIT SON L’OLYMPIA
(Événement créé en 2020 pour mettre en lumière la richesse et la diversité des sonorités des Outre-mer, ancrées dans des traditions perpétuellement relues sous le prisme d'influences internationales.)
SROKA : C'était un moment fou ! Tout s’est fait assez vite ; c'était assez magique d'être avec Jason (Jason Mist) dans un hôtel de Montrouge à faire les répètitions avec d'autres musiciens et le lendemain de se retrouver dans cette salle immense avec plein d'autres artistes d'outre-mer : des martiniquais, des guadeloupéens, des guyanais, des tahitiens, des wallisiens ; que des musiciens des îles, c'était vraiment bouillonnant ! Entre les 2 ou 3 jours de répétitions et le concert, nous avons passé une petite semaine tous ensemble entre artistes, et avec l’organisation du spectacle et les gens de la production de France Télévisions. J’en garde un très bon souvenir et j’y ai fait d’excellentes rencontres.
Le concert en lui-même a été un moment assez magique. A la sortie de scène j'avais l'impression d'avoir fait un saut en parachute ! C'était très beau de représenter la Nouvelle-Calédonie. Avec Jason nous avions ce questionnement : est-ce que nous sommes les bonnes personnes pour représenter la Nouvelle-Calédonie ? Et finalement oui, pourquoi pas. Je fais partie des gens qui viennent de là-bas, et quelque part j’ai aussi cette responsabilité de représentation en tant qu'artiste.
Si je te dis : DUOS
SROKA : Ça faisait très longtemps que j'avais envie de faire quelque chose pour moi. Je n'avais jamais trouvé quoi faire pour être 100% honnête avec moi-même. Je suis toujours passé par différents instruments pour essayer de m'exprimer musicalement, entre le violon, le piano ou la guitare etc. Mais jamais par la basse qui est pourtant l'instrument que je maîtrise le mieux.
Donc un jour j'ai décidé de revenir à la basse. D’abord pour savoir si j’étais capable de jouer de la musique seul à la basse. Est-ce qu’un morceau à la basse peut être autonome et fonctionner seul ? Oui c’est possible. Mais j’ai aussi réalisé que j’avais envie d’inviter des musiciens à partager ces morceaux là avec moi. L’idée était donc de remettre la basse au centre de la musique, et de changer le rôle qu'elle peut avoir habituellement : au lieu d’être placée comme un instrument de fondation, qu'elle soit également un instrument soliste.
J'ai commencé avec une amie à moi qui fait de la trompette qui s'appelle Julie Varlet.
Le résultat a été vraiment bon et j’ai eu envie d’en faire d’autres. A chaque fois j'ai invité des gens avec qui j'adore faire de la musique, avec une volonté que le résultat final contienne des sonorités atypiques et les combinaisons étonnantes. J’ai par exemple fait un duo basse-banjo par exemple avec un esprit touareg. L’idée de ces duos est de proposer des mini voyages musicaux.
Si je te demande : TON ŒUVRE EMBLEMATIQUE
SROKA : Probablement mon duo avec Waagal qui s’intitule : GROW. Il illustre bien le parcours que j’ai pu avoir, avec cet aspect d’une plante qui grandit.
Si je te demande : TON INSTANT DECISIF
(CF : l’instant décisif selon le photographe Henri Cartier-Bresson)
SROKA : C'est quand mon père a commencé à fabriquer des guitares et des basses, et pouvoir partager ça avec lui et jouer sur ses instruments de musique ! C'est quelque chose dont je suis très fier et qui me donne la force pour avancer dans cette voie.
Sroka est un musicien inspiré. Sa musique éclectique et multiforme envoute et transporte. Chacun de ses morceaux ou duos est une invitation au voyage et à la découverte des cultures du monde.
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