Sonia Dridi, une correspondante française à Washington

Nombreux sont les Françaises et Français établis aux Etats-Unis, tous avec des profils aussi divers que variés. Nous sommes allés à la rencontre de l'une de ces expatriés, Sonia Dridi, correspondante aux États-Unis pour les médias français et auteure d'une biographie sur Joe Biden.

 

Qu’est-ce qu’une correspondante ?

Un(e) correspondant(e) est une personne qui habite le pays qu’il ou elle couvre et qui tente au mieux de traduire, expliquer, décrypter, les informations qui s’y déroulent. Selon moi il est important de faire preuve de la plus grande objectivité possible. Il est aussi souvent essentiel de replacer les éléments dans leur contexte. En ce qui me concerne, je suis donc actuellement correspondante aux États-Unis.  

 

Comment devient-on spécialiste de la politique américaine ?

Je ne me vois pas comme une spécialiste, mais plutôt comme une observatrice. Lorsque je suis arrivée aux États-Unis, il y a sept ans, après avoir couvert l’Égypte, je suis rapidement partie à la rencontre des Américains en me déplaçant dans de nombreux états, en lisant la presse de tous bords. A Washington j’ai aussi tenté de multiplier les sources et contacts en me rendant dans les Think Tank par exemple, en assistant à des conférences. Il est important de parler aux gens en dehors de Washington (DC), mais aussi de bien comprendre le fonctionnement de la Maison-Blanche et du Congrès. Ce sont les clés pour bien comprendre le pays et aussi tenter au mieux d’analyser les évènements.

 

Pourquoi vivre à DC plutôt qu’à New York ou Los Angeles ?

J’aime beaucoup la Californie que j’ai découverte lors de mon année à l’étranger dans le cadre de mes études à Sciences Po. Mais vivre à DC, c’est être au cœur de la politique internationale, dans les coulisses de nombreuses négociations, de la Maison-Blanche et du Congrès. Tous les acteurs clefs passent par la ville: ambassadeurs, politiciens, chercheurs, scientifiques, stratèges, activistes… 

DC est une ville passionnante je trouve et qui devient enfin de plus en plus artistique et de plus en plus diverse. Il n’y a heureusement pas que des journalistes, chercheurs et politiciens. Aussi on peut s’y loger plus facilement qu’à NY ou LA et la “vraie” Amérique comme certains l’appellent, l’Amérique rurale, comme la Virginie de l’Ouest est à une heure trente de route seulement. 

Vivre à New York impliquait d’être correspondante à l’ONU, ce qui m’intéressait moins.

 

Pourquoi avoir écrit un livre sur Joe Biden ?

Parce qu’on me l’a demandé ! Les Éditions du Rocher m’ont contactée en 2020, lorsque Biden était pressenti pour être formellement désigné candidat démocrate aux élections. Je n’étais pas complètement certaine qu’un livre sur sa vie intéresse de près les lecteurs francophones et j’ai demandé un peu de temps pour me documenter. Biden était alors, pour la plupart des Français, un quasi-inconnu. Beaucoup savaient surtout qu’il avait été le VP de Barack Obama mais pas plus. Et là, surprise ! J’ai découvert un personnage de roman, avec une histoire personnelle fascinante, tragique, pleine de rebondissements. C’est « un revenant ». Je me suis donc lancée et j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire, notamment en allant à la rencontre de ses proches, amis d’enfance, collègues... 

 

Quel genre d’homme est Biden?

Ce qui m’a au tout départ étonnée, c’est son « Irish Temper » comme on dit ici, caractère bien trempé. Il peut très vite perdre son sang froid et d’ailleurs les journalistes ont pu le constater ces deux dernières années à la Maison Blanche. C’est aussi un vrai gaffeur, on ne compte plus ses gaffes que ce soit avant ou après le début de sa présidence. Parfois, c’est aussi parce qu’il est très sincère et dit tout simplement ce qu’il pense. Ce qui peut donner des sueurs froides à son équipe de communication. Il a un côté aussi très sympathique, il est d’ailleurs surnommé « Uncle Joe » depuis des années. 

Il est accessible mais a un fort égo et a tendance à améliorer ses faits d’armes.

Ce qui m’a intéressé également c’est que c’était un rare élu ces dernières décennies à vraiment s’intéresser à la politique étrangère. Non pas qu’il ait toujours pris les meilleures décisions. D’ailleurs un ancien Secrétaire à la Défense sous Obama, Robert Gates, disait que Biden avait eu tout faux sur les grands sujets de politiques étrangères ces dernières décennies.

Il peut avoir des avis très tranchés et il est difficile de le faire revenir sur certaines décisions, on l’a vu en début de mandat avec le retrait des troupes américaines d'Afghanistan. 

Le comparer à un homme politique français ? Je dirais Jacques Chirac.

 

Comment s’est passée l’écriture du livre?

Nous n’avions pas beaucoup de temps et j’ai écrit sans discontinuité pendant quatre mois environ. Mon idée était de tenter d’écrire un livre qui se lise comme un roman et de profiter du fait que je vive ici pour recueillir le maximum de témoignages et faire du terrain, notamment en me rendant aux quelques événements de campagne qu’il a fait. Je me suis rapprochée de ceux qui l’avaient connu plus jeune, des amis d’enfance, des sénateurs qui le fréquentaient depuis des décennies pour collecter leurs témoignages. J’ai aussi rencontré un conducteur de train par exemple que Joe Biden avait connu pendant ses trajets bien connus entre le Delaware et DC, du temps où il était sénateur et était surnommé “Amtrak Joe”. 

J’ai beaucoup travaillé. C’était mon premier livre et je voulais être à la hauteur de la confiance que m’avaient confiées les éditions du Rocher. 

 

Comment se portent les États-Unis depuis l’élection de Biden ?

Le pays est encore très polarisé. Les démocrates et les républicains ne dialoguent quasiment pas et ne se comprennent plus. Que ce soit en politique mais aussi dans les familles, entre voisins. Joe Biden qui se présentait en “rassembleur en chef” n’a pas réussi à réunifier le pays. C’est un défi énorme, quelque chose a vraiment changé depuis l’élection de Donald Trump et la haine en politique s’est banalisée.  

 

Joe Biden va-t-il se présenter aux prochaines élections ?

Très certainement, il devrait annoncer sa décision quelques semaines après son discours sur l’Etat de l’Union, probablement fin février ou début mars selon ce que m’ont confiées des personnes qui travaillent dans l’administration Biden.  Beaucoup de démocrates vont être déçus et frustrés si c’est encore lui le candidat démocrate. Le parti démocrate n’a pas vraiment organisé la relève. Les proches du président ne voient pas qui d’autre pourrait faire barrage aux républicains. Mais la génération plus jeune, qui avait voté Biden par défaut, parce qu’il se présentait lui-même comme un « Président de transition » risque d’être très déçue et peut-être moins motivée pour aller voter. 

 

Et pour finir, quel accueil votre livre a-t-il reçu ?

J’ai eu des retours de lecteurs qui m’ont dit avoir beaucoup apprécié qu’il se lise comme un roman, avec de nombreux témoignages et anecdotes. J’ai aussi eu de bonnes critiques dans la presse francophone. Les lecteurs ont découvert un personnage qu’ils ne connaissaient pas du tout et cela les aident à mieux comprendre et analyser les décisions et le comportement du Président aujourd’hui. 

 

 

Sonia Dridi est journaliste indépendante, correspondante à Washington pour France 24, BFMTV, RTBF. 

Auteure de  “Joe Biden, le pari de l’Amérique anti-Trump” 

Twitter @sonia_dridi