Roland Lescure, député des Français d’Amérique du nord était aujourd’hui à New York. Entre une réunion avec les Conseillers au Commerce Extérieur et une rencontre avec la communauté française de New York, le rapporteur de la loi PACTE nous a accordé un entretien. Nous avons parlé de la loi PACTE, de CSG-CRDS, de bilinguisme, des élections européennes ainsi que du mouvement des Gilets jaunes.
lepetitjournal.com/New York : Vous êtes le rapporteur de la loi PACTE, pouvez-vous nous parler du déroulé de cette loi ?
Roland Lescure : Nous avons commencé à travailler sur cette loi à l’automne 2017, avec des entrepreneurs, en faisant des consultations en Amérique du Nord, dès la fin 2017. Le but était d’interroger mes électeurs sur la manière dont ils percevaient l’entreprise. L’idée était de comprendre ce que l’on pouvait faire pour améliorer la vie de l’entreprise et sa responsabilité, en France. Nous avons intégré cela dans nos réflexions. Nous avons eu un certain nombre d’experts mandatés par le gouvernement, notamment Jean-Dominique Senard, maintenant président de Renault, mais qui à l’époque était PDG de chez Michelin, mais aussi Nicole Notat. L’idée était de réfléchir sur la place de l’entreprise dans la société moderne. La loi a été déposée et présentée en Conseil des ministres le 18 juin 2018. Presque un an plus tard, nous devrions avoir une loi promulguée avant l’été. Elle vient de passer en deuxième lecture devant l’Assemblée. La lecture définitive de la loi sera le 11 avril. C’est une grosse année de travail, et c’est très excitant d’être rapporteur d’une loi.
Une des nombreuses mesures de la loi PACTE est faite pour faciliter la création des entreprises à l’étranger, pouvez-vous nous expliquer ce qui attend les entrepreneurs dans ce cadre-là ?
Aujourd’hui, lorsque vous créez une entreprise française, vous devez vous présenter en personne à la chambre de Commerce, à la Chambre des Métiers, vous devez vous inscrire, il y a énormément de démarches à faire. L’idée est de dématérialiser les démarches d’inscription aux différents registres, par la création d’un registre unique, un portail d’inscription en ligne. Cela constitue un apport très important pour des entrepreneurs qui souhaitent monter leur entreprise soit de l’étranger, soit parce qu’ils passent un temps certain à l’extérieur de l’hexagone.
Il y a aussi énormément de mesures qui visent à rendre les entreprises plus compétitives, et d’autres mesures qui visent aussi à attirer du talent en France, notamment dans le cadre du Brexit.
Une autre mesure concerne les investissements étrangers, pourquoi davantage les encadrer ?
On veut faire ce que les États-Unis font déjà depuis des années. J’ai été investisseur canadien, on avait des entreprises américaines dont nous étions actionnaires, majoritaires ou minoritaires. Il y a une procédure aux États-Unis qui s’appelle la procédure CFIUS qui permet à l’État américain d’avoir un droit de regard sur les investisseurs étrangers. Ce qui manquait en France. Il existe déjà dans notre pays une procédure de contrôle des investissements étrangers, gérée par Bercy. On souhaitait que le Parlement puisse avoir un droit de regard sur ces investissements. Dans le cadre de la loi PACTE, nous avons crée une mission ad hoc, composée de 4 parlementaires, dont je ferai parti, deux présidents de commission économiques, Sénat et Assemblée et les deux rapporteurs généraux du budget. Cette mission a pour but pour surveiller, d’avoir un rapport et de faire un compte-rendu exhaustif de ce que fait le gouvernement en la matière, tant sur les fusions-acquisitions autorisées, que celles qui ne le sont pas.
De toutes les mesures portées par la loi PACTE, quelle est celle qui va avoir l’effet le plus rapide sur l’économie française, et donc sur la croissance ?
D’un point de vue économique, ce sont toutes les mesures qui favorisent l’intéressement et la participation qui auront le premier effet visible. Le fait d’avoir supprimé le forfait social pour la participation, pour les entreprises de moins de 50 salariés, et supprimé celui pour l’intéressement, pour les entreprises de moins de 250 salariés, signifie que si une entreprise de 192 salariés veut faire de l’intéressement, donc associer ses salariés au résultat de l’entreprise, cette dernière peut le faire net de charge. Avant la loi, cela lui coûtait 20 % de plus. Par exemple, verser 1000 euros à un salarié lui coûtait 1200 euros. Désormais, ça ne lui coûte plus que 1000 euros. Je pense que d’un point de vue immédiat, c’est sans doute une des mesures qui aura le plus d’impact, y compris sur le pouvoir d’achat. Il faut savoir que la participation et l’intéressement, sont un véritable 13ème mois pour beaucoup de Françaises et de Français.
Je crois aussi beaucoup aux mesures sur la responsabilisation de l’entreprise. Le fait que si l’on veut attirer du talent, si on veut que les consommateurs soient heureux de consommer nos produits, si on veut que les actionnaires soient de plus en plus alignés avec la stratégie d’entreprise, et si on souhaite, d’une certaine manière, que ce que l’on appelle les parties prenantes de l’entreprise, soient fières de l’entreprise dans laquelle elles travaillent, il faut que l’entreprise s’inscrive davantage dans un univers social et environnemental. Ce sont des mesures de moyen/long terme, mais ce sont des mesures qui permettent de réconcilier les classes moyennes avec un modèle économique qui est aujourd’hui un peu bancal.
En mai, les Français sont appelés aux urnes dans le cadre des élections européennes, quel message avez-vous envie de porter auprès des électeurs de votre circonscription ?
Le premier message est maintenant obsolète depuis 24 heures puisqu’il fallait s’inscrire sur les listes avant le 31 mars. Mon second message est que je comprends bien qu’aux États-Unis, vous allez voter le samedi d’un long week-end, mais on peut rogner un peu sur son départ, et venir voter dès potron-minet, le samedi. On peut aussi faire des procurations. Et j’engage vraiment ceux qui ne pourront se rendre aux urnes à aller le faire.
L’élection européenne est effectivement une élection importante. Je pense qu’il y a énormément de choses qui sont aujourd’hui en phase avec les grandes questions du 21e siècle, sur l’environnement, sur le social, sur l’immigration, sur les frontières, sur la sécurité, sur ce qu’est une industrie moderne, sur ce qu'est une entreprise moderne. Toutes ces questions-là ne peuvent que se gérer au niveau européen.
Il faut arrêter de croire que dans notre environnement « gaulo-gaulois » ou « franco-français », on va être capable de gérer les grands enjeux économiques, sociétaux, d’immigration ou d’industrie.
Je pense que les Français qui vivent à l’étranger, en général, et en Amérique du Nord en particulier, peuvent apporter des choses à cette élection. Ce sont des gens qui sont bien évidemment internationaux, qui sont ouverts sur le monde, qui savent aussi ce que ça peut faire d’élire des leaders populistes. Ils ont vu ça ici. Ils savent aussi, plus que beaucoup de monde, les dégâts que peuvent causer une insuffisante mobilisation. Trump a, en partie, été élu parce qu’une bonne part de l’électorat démocrate ne s’est pas mobilisé. Donc, faites l’effort d’aller voter, vous avez une voix singulière à apporter sur ces grandes questions.
Concernant votre mandat de député, quelles sont vos priorités et actions, actuelles ou futures, menées à destination de votre circonscription ?
D’abord la fiscalité, et le social. Nous avions dit que nous mettrions tout à plat, ce qui a été fait via un rapport qui passe en revue l’ensemble des droits et des devoirs des Français qui vivent à l’étranger. Il y avait un certain nombre de préconisations, nous avons commencé à en mettre certaines dans la loi.
J’ai été déçu que l’on n’ait pas réussi à abolir la CSG-CRDS pour tous les Français qui vivent hors de France.
On a quand même réussi une première étape importante, même si elle ne satisfait pas les électeurs d’Amérique du Nord, nous l’avons supprimée pour tous les Français qui vivent dans l’espace économique européen. Notre objectif est de continuer le travail dans ce sens, et de généraliser l’arrêt de la CSG pour l’ensemble des Français qui ne résident pas en France.
Nous avons aussi beaucoup travaillé récemment, avec Samantha Cazebonne sur les enjeux d’enseignement, le bilinguisme, l’enseignement du français et en français à l’étranger. Je suis convaincu qu’avec Jean-Michel Blanquer, nous allons atterrir sur une nouvelle vision de ce qu’est le rayonnement de la France et du français à l’international.
Par ailleurs, on ne lâche pas le gouvernement sur le vote électronique, qui est prévu. Nous devrions avoir un vote par internet dès les prochaines élections législatives, voire même consulaires.
Les députés qui représentent les Français de l’étranger doivent pouvoir aussi apporter des idées neuves à l’Assemblée, je me fais fort, dès que nous avons un sujet important, de consulter les Français d’Amérique du Nord, de leur demander leur avis, et d’être leur porte-voix.
Quel est le prochain gros dossier de votre mandat ?
D’abord, nous allons faire ce que j’appelle le « service après vote » de la loi PACTE. En France, nous avons souvent tendance à penser que le travail se termine quand la loi est votée. Hors, il ne fait que commencer. Il faut que les agents économiques se l’approprient. J’ai donc déjà commencé, après la première lecture, un tour de France de la loi PACTE que je vais poursuivre. Je vais aller dans tous les territoires, mais aussi à l’international, afin de rencontrer les Français qui résident hors de France, évidemment en premier lieu dans ma circonscription, pour leur parler de cette loi et leur expliquer en quoi ils doivent se l’approprier.
Ensuite, il y a la procédure budgétaire qui va revenir à l’automne et que l’on souhaite préparer avec mes collègues députés de l’étranger, ce, dès ce printemps, notamment pour essayer de généraliser la fin de la CSG-CRDS. C’est un sujet qui va nous occuper durant les prochains mois.
Enfin, dans les semaines qui viennent, je vais m’impliquer dans la campagne européenne parce que je pense que c’est vraiment un combat très important. Je vais m’y impliquer dans ma circonscription et ailleurs. On a un rôle important pour porter ce que je considère être la bonne parole.
Dernier point, les Gilets jaunes. Vous avez dit pendant le Grand Débat « nous avons d’un côté un grand débat qui se généralise et de l’autre, un mouvement qui se radicalise ». Le Grand Débat a mobilisé les Français, tant dans l’Hexagone qu’à l’étranger, il est terminé. Par contre, le mouvement des Gilets jaunes, ne s’est pas arrêté pour autant. Comment le gouvernement va arrêter la montée de la violence ?
On a une France qui, dans l’ensemble, en a assez de ce mouvement qui ne concerne plus que quelques milliers de personnes. On avait 30.000 personnes en manifestation en décembre, il ne reste plus que quelques milliers de radicaux qui étaient dans la violence ces derniers samedis. Je pense que les gens en ont assez, en partie parce que nous avons répondu aux demandes, avec des mesures concrètes en décembre, mais aussi grâce au Grand débat qui est un exercice démocratique un peu inédit. C’est un peu nos « élections de mi-mandat à la française » qui sont en train de se passer. Les Français ont pu nous dire ce qu’ils souhaitent. Il faut donc bien terminer cet exercice et bien rendre compte aux Françaises et aux Français de ce qu’ils nous ont revendiqué. Nous devons traduire ces revendications, de manière très concrète dans la deuxième partie du quinquennat. Par ailleurs, il faut être intraitable sur les violences. Nous sommes passé aujourd’hui de la période d’indignation à la période de l’action et de la condamnation, avec 2000 peines qui ont été prononcées dont 800 peines de prison. J’ai demandé dans une tribune parue la semaine dernière dans Les Échos, que l’on évalue véritablement le coût économique et budgétaire de cette crise de manière à ce que les Français sachent ce que ça a coûté à la France.