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Quel verre pour déguster un champagne ?

Verre champagneVerre champagne
©️ Pommery
Écrit par JC Agid
Publié le 23 décembre 2020, mis à jour le 23 décembre 2020

C’était un mouvement imprévu et heureux, j’ai balayé deux verres sur pied posés sur une table basse. Ils étaient larges au milieu et biseautés vers le bas. Leur forme n’avait plus d’importance. Il ne restait sur le sol que des éclats de verre brisé.

Ces deux verres étaient un cadeau, deux verres à champagne qui n’avaient rien à voir avec ceux que j’utilisais pour mes amis : six flûtes, connues également sous le nom de « tulipes ». Fines et allongées, des reliefs de lumières sur pied, en cristal, fragiles et uniques, mes six flûtes ont bonne place chez moi.

Peu importe donc les deux verres cassés, mais malgré tout une interrogation. « Si je sers du champagne dans des flûtes, est-ce que j’utilise les bons verres » ? 

 

Verre champagne

     ©️JC Agid

 

J’ai posé la question à Clément Pierlot, le Chef de Cave des Champagnes Pommery, lors d’un dîner-dégustation organisé en ligne par le French Institute Alliance Française, Tastings et Vranken Pommery America. La réponse de Clément Pierlot fusa :

« C’est très simple, » me dit-il. « Si le verre est trop étroit, le champagne se rétrécira ; si le verre est trop plat, le champagne s’aplatira ».

J’avais donc tout à redécouvrir.

Je me souviens de ces fameux verres « plats » de mon adolescence, des coupes méticuleusement rangées dans un placard, un véritable travail d’artisans. Occasionnellement, mes parents les disposaient sur un vieux plateau de bois marron clair et de marqueterie, si large que je devais ouvrir mes bras le plus possible pour atteindre chacune des poignées d’argent et l’apporter de la cuisine au salon. Je prenais alors la bouteille par son fond, comme on me l’avait appris, et je laissais lentement glisser le champagne dans ces verres d’exception, eux-aussi en cristal. J’observais, j’écoutais, je m’impatientais. Les bulles chantaient et se promenaient à la surface, de la pure magie — elles disparaissaient tout aussi vite. Je devais porter mon bras vers mes lèvres tout en me pliant en deux à la recherche d’un équilibre nécessaire pour éviter de renverser le précieux liquide sur le tapis.

La coupe est indissociable de l’histoire du champagne. Elle a même sa propre légende, attribuée à la Marquise de Pompadour. Conseillère influente — et maitresse officielle pendant quelques années — du Roi Louis XV, la Marquise raffolait de ce vin. Le champagne en décadence à la Cour à Versailles, la coupe aurait été moulée sur son sein gauche.

La flûte apparait dans les années 1930, plus élégante sans doute. Verre élancé et fermé, cette forme retient davantage les bulles, l’élément essentiel des saveurs et des parfums de ce vin, son amusement aussi.

Si les verres s’adaptent aux goûts, le champagne évolue avec les époques.

La plus grande révolution champenoise se déroule sous la direction de Jeanne Louise Alexandrine Pommery.

À la mort de son mari Louis Pommery en 1850, elle prend en main une des plus belles marques en devenir. Moins d’un quart de siècle plus tard, elle innove et surprend le monde masculin des vignobles et de la gastronomie. Elle crée le champagne brut. Avant Louise Pommery, explique Clément Pierlot, « le champagne était un vin très doux avec une teneur de 150 grammes de sucre par bouteille ». La coupe est alors le verre parfait car il laisse s’évaporer un peu de ce sucre. À l’écoute d’une clientèle anglaise exigeante, Louise Pommery décide de transformer ce breuvage, de le rendre plus sec, presque nature, sans ajout de sucre. Elle travaille avec les maîtres de caves et métamorphose le style même du champagne. Elle commence par choisir les grappes de raisin directement sur les vignes, endosse tous les risques financiers des vignerons et décide du moment précis où le fruit sera récolté. « Le rôle du sucre était de masquer l’acidité du champagne », donc d’un raisin encore trop jeune pour être cueilli. « Il était essentiel de maitriser l’heure des vendanges et de travailler les vignes pour améliorer la maturité du raisin », explique le Chef de Cave.

 

Champagne Pommery

Clément Pierlot, le Chef de Cave des Champagnes Pommery ©️Pommery

 

Les vendanges, cette année, étaient particulièrement précoces en Champagne — elles ont commencé par endroit le 17 août. Les spécialistes parlent d’une récolte exceptionnelle, la troisième d’une « trilogie » après les deux grandes années 2018 et 2019, la promesse de grands vins à déguster plus tard.

La patience est nécessaire pour obtenir un bon champagne. Contrôler le temps des vendanges ne suffit pas. Louise Pommery et ses maîtres de cave avaient besoin d’espace pour vieillir le vin et lui apporter à la fois « de la rondeur et de l’élégance ». Elle fait alors édifier un château sur un immense domaine de 50 hectares. Dans les sous-sols, source autrefois des pierres qui servent à la construction de Reims et des villages alentours, elle réunit des galeries à n’en plus finir, 18 kilomètres de crayères.

La température y est idéale et l’espace suffisamment grand pour entreposer les tonneaux de champagne d’abord, puis les bouteilles et les laisser reposer en attendant l’instant de la dégustation. « Je monte et descends 116 marches tous les jours », raconte Clément Pierlot, pour atteindre ce monde d’en-dessous, enfoui à 30 mètres du sol.

A peine âgé de 40 ans, Clément Pierlot est seulement le dixième Maître des Caves des champagnes Pommery. Un œnologue spécialisé en agronomie, Il se voit comme « une sorte de gardien du temple et supervise toutes les étapes de la création d’une cuvée, de la taille des vignes jusqu’à la commercialisation d’une bouteille de champagne ». Clément Pierlot avait auparavant dirigé les vignobles du groupe Vranken-Pommery Monopole pendant 15 ans. Sa passion pour le terroir, son attachement à une viticulture responsable et la confiance du Président fondateur du groupe lui ouvrent la porte ultime, celle qui lui permet de « signer les champagnes ».

À chaque saison sa journée type, et à chaque journée son lot de visite des vignobles, de dégustations (en moyenne deux quotidiennes, soit une cinquantaine de verres) et de travail avec son équipe composée d’une soixantaine de vignerons, d’œnologues et d’ingénieurs agricoles.

« J’ai voulu une équipe qui exprime la diversité des métiers du champagne et une diversité hommes-femmes, un groupe fort et constant car le travail de dégustation n’est pas une science exacte ».

Le résultat est une lignée de champagnes variés, du Pommery Royal, « l’étendard de la marque » en bas de la pyramide à la Cuvée Louise au sommet, et de multiples vins entre les deux. Le Blanc de Blanc Apanage — la cuvée 2017 est la première dont il est entièrement responsable — est réalisé exclusivement avec du raisin chardonnay — un des trois principaux cépages de la Champagne avec le Pinot Noir et le Meunier. Ses « arômes du Printemps, des fleurs blanches, du jasmin et des agrumes », le dédient à la gastronomie et aux plats de poissons.

 

Champagne Pommery

©️Pommery

 

Va pour un Blanc de Blanc pour un dîner de fêtes — ou une Cuvée Louise (mon préféré) pour un dîner de romances.

Mais la question demeure : comment rendre hommage à ce terroir, au climat de la Champagne, aux mains des vignerons, aux nez des œnologues, aux multiples étapes de l’élaboration même du vin — pressurage, fermentation, assemblage, maturation, remuage, dégorgement et dosage ?

Oublions flûtes et coupes. Peu importe le charme et le fantasme du sein d’une des plus fameuses Marquises de Versailles.

« Nous avons besoin d’un verre suffisamment large pour observer les bulles » danser, un verre sur pied, étroit en son fond, généreux et large en son milieu pour laisser respirer le vin et légèrement rétréci en son haut pour conserver les bulles dans le verre.

Pour un champagne millésimé du niveau d’une Cuvée Louise (ce serait la même chose pour un Dom Pérignon ou une bouteille de Krug Grande Cuvée), Clément Pierlot suggère même un verre à vin blanc, encore plus large en bas. Pour un champagne d’été, enfin, celui des « piscines », un champagne de nouveau plus sucré, le verre doit être encore plus grand, plus rond pour permettre au vin et aux glaçons de s’épanouir ensemble.

Il s’agit de rendre à chaque fois le champagne heureux, de lui donner de l’espace pour exprimer sa complexité, son histoire et tous ses arômes.

Je n’aurais jamais dû casser ces deux verres.