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Pourquoi Kamala Harris a perdu les élections présidentielles américaines ?

La défaite de Kamala Harris face à Donald Trump en 2024 révèle des failles profondes dans la stratégie démocrate. Selon Romuald Sciora, politologue franco-américain, « les démocrates se sont trop concentrés sur des enjeux sociétaux au lieu de répondre directement aux problèmes économiques concrets des électeurs ». Entre les attentes des électeurs et les lacunes de la campagne, Harris n’a pas su rivaliser face à l’élan de l’ex-président républicain. Explications.

Kamala Harris à son pupitre pendant un discoursKamala Harris à son pupitre pendant un discours
Écrit par Jean Bodéré
Publié le 7 novembre 2024

 

Avec 5 millions de voix et 69 grands électeurs de moins que Donald Trump, force est de constater que les démocrates ont subi une lourde défaite au cours d’une élection pas aussi serrée que l’on pouvait attendre. Malgré la défaite, Kamala Harris estime que « ce n'est pas le moment de baisser les bras. C'est le moment de se retrousser les manches. C'est le moment de s'organiser, de se mobiliser et de rester engagés dans le combat pour la liberté et la justice » selon elle. 

 

 

 

Les quatre années ont été marquées par une politique étrangère vivement critiquée par les Américains ou des promesses non tenues et les nombreux faux-pas commis par le gouvernement Biden-Harris concernant la politique intérieure. La stratégie de campagne de Kamala Harris n’a aussi pas répondu aux attentes du peuple américain, y compris par une partie de l’électorat fidèle du parti démocrate qui n’a pas soutenu sa candidature, la jugeant trop éloignée des préoccupations réelles des électeurs.

 

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La politique étrangère sous les feux des critiques

Dès le début du mandat, l’administration Biden-Harris a suscité des critiques avec le retrait précipité d’Afghanistan. Romuald Sciora, essayiste, politologue et documentariste franco-américain, rappelle que le « retrait chaotique a été perçu comme une humiliation », marquant « une perte de crédibilité de l’administration Biden-Harris » sur la scène internationale. Pour beaucoup d’Américains, cette décision a donné le ton d’une « politique étrangère incertaine » et a laissé une impression de faiblesse.

 La gestion du conflit en Ukraine a également suscité des controverses. « En refusant de s’engager militairement, l’administration a donné l’impression que les milliards investis en Ukraine étaient gaspillés, un message mal perçu par les Américains » souligne le politologue. Nombre d’électeurs ont donc perçu les dépenses comme une mauvaise utilisation des fonds publics, sans engagement concret en retour. 

L'ambivalence de la position américaine sur le conflit israélo-palestinien a également eu un impact direct sur les élections. Selon Romuald Sciora, « La position ambiguë de l’administration a coûté aux démocrates de nombreux votes de la part de la communauté arabo-musulmane, un bloc essentiel dans les États décisifs », notamment en Pennsylvanie et au Michigan, deux États-clés au cours des élections. Les électeurs ont donc préféré voter pour d'autres candidats ou ont choisi l’abstention, frustrés par ce qu'ils ont perçu comme un soutien excessif à Israël et une absence de réponse aux attentes des progressistes au sein du Parti démocrate.

 

 

 

Les promesses non tenues et la crise de confiance intérieure

Sur le plan intérieur, la crédibilité des démocrates a été minée par des promesses non tenues de la part de Joe Biden. « Les électeurs se souviennent des promesses de logement abordable, de hausse des aides sociales », explique le documentariste, « mais n’ont vu que des augmentations de prix et peu de réformes structurelles » précise-t-il. En conséquence, les démocrates ont perdu le soutien des classes populaires et moyennes, qui ont ressenti une déconnexion entre les promesses politiques et leur réalité économique quotidienne. L’économie, bien que théoriquement en croissance, a aussi été fortement critiquée pour son incapacité à offrir des emplois stables et bien rémunérés.

« Les classes populaires et moyennes, en particulier, ont ressenti un écart croissant entre leurs attentes et la réalité économique » explique Romuald Sciora. Les Américains ont aussi été frappés par une inflation galopante post-pandémie qui a alourdi les charges financières des ménages, avec notamment des prix élevés sur l’essence et les biens de consommation de première nécessité. « Les démocrates se sont trop concentrés sur des enjeux sociétaux au lieu de répondre directement aux problèmes économiques concrets des électeurs » précise le franco-américain qui justifie un sentiment de trahison et de frustration envers les démocrates.

 

L'immigration, un « échec » pour les démocrates

La question de l’immigration est aussi l’une des pierres angulaires de la victoire de Trump. « L’immigration a été un sujet central, surtout pour l’électorat de Trump qui attendait un retour à une politique stricte » précise Romuald Sciora qui dévoile que « Kamala Harris était chargée de la politique migratoire sous Biden mais n’a pas réussi à rassurer cet électorat, au contraire ». Il explique que « Donald Trump a intelligemment exploité la faiblesse des démocrates sur le sujet, en promettant de reprendre le contrôle des frontières et de lutter contre l'immigration clandestine ». Le nouveau président américain a « su mobiliser sur ce thème tout en élargissant sa base électorale aux latinos conservateurs » selon lui.

 

 

 

Une stratégie électorale défaillante

La stratégie électorale des démocrates s’est également révélée insuffisante pour capter les préoccupations des électeurs. Trop concentrés sur des enjeux sociétaux, les démocrates n’ont pas su adresser les questions économiques concrètes, permettant ainsi aux républicains de s'approprier le discours de défense des classes populaires. Les républicains, sous la conduite d’un Donald Trump incisif, « ont su capitaliser sur chaque faux pas des démocrates. Leur stratégie était simple : rappeler aux Américains qu’ils méritaient mieux et qu’il était temps d'un changement, une promesse qui a résonné fortement » dévoile le politologue.

 

 

« Kamala Harris n’a eu que quelques mois pour s’organiser, ce qui est insuffisant pour une présidentielle, surtout face à un adversaire comme Trump, qui préparait son retour depuis des années ».

 

Kamala Harris, une image déconnectée des attentes

Romuald Sciora met en avant un problème d’image avec Kamala Harris elle-même. Perçue comme étant mise de côté durant le mandat de Biden, « elle n’a pas réussi à incarner l’autorité et la stabilité dont les électeurs avaient besoin face aux crises » explique le franco-américain. Sa campagne a été marquée par « des maladresses » et « des revirements », rendant difficile la construction d’un lien de confiance avec les électeurs selon lui.

 

 

 


« Elle n’a pas su se défaire d’une image d’élite déconnectée. Les électeurs ne se sont pas reconnus en elle, ce qui a compromis sa capacité à incarner le changement que les Américains recherchaient » poursuit-il. « La polarisation a atteint un point où même les enjeux les plus cruciaux, comme le changement climatique ou la violence armée, deviennent des batailles idéologiques sans issue » explique Romuald Sciora qui souligne que « les démocrates n’ont pas réussi à rassembler autour de ces sujets ».

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