Roland Lescure est député des Français d’Amérique du Nord et président de la Commission des affaires économiques. Depuis Paris, où il vit confiné comme l’ensemble des Français , il a répondu aux questions de notre édition. Nous parlons de la crise sanitaire à laquelle le monde est confronté et des Français de sa circonscription.
Lepetitjournal.com New York : En tant que député, et donc d’élu, quel regard portez-vous sur cette épreuve à laquelle les Français, ceux de l’étranger inclus, sont confrontés ?
Roland Lescure : C’est une épreuve historique, par l’ampleur de la crise sanitaire bien sur, puisqu’aucun pays n’est épargné par le Covid-19, virus extrêmement contagieux et dangereux pour les populations à risque. C’est aussi une épreuve économique et sociale sans doute inégalée : dans l’immédiat, elle plonge le Monde dans une récession profonde, mais à plus long terme, elle va aussi nous amener à questionner les modèles sur lesquels l’économie mondiale s’est construite depuis trente ans. Enfin, c’est évidemment une épreuve humaine individuelle et collective d’un genre nouveau, où le confinement qui se généralise nous conduit à repenser notre rapport au temps, à l’espace et à l’autre.
Ces trois dimensions - sanitaire, économique et humaine - sont particulièrement prégnantes pour les Françaises et les Français qui vivent à l’étranger. Ils doivent composer avec l’éloignement de leurs proches, avec des systèmes de protection sanitaire de qualité variables et avec des filets de protection sociale eux aussi variables. On va sans doute réaliser que malgré ses défauts, le système sanitaire et social Français est sans doute l’un des meilleurs au Monde.
Aux expatriés entrepreneurs d’Amérique du Nord, qui ont leur entreprise fermée et qui, pour une durée inconnue, ont leur chiffre d’affaires en dégringolade, qui subissent dramatiquement cette pandémie, quel message pouvez-vous leur adresser ?
Nous pensons évidemment fort à eux. Je mesure pleinement l’ampleur de la situation mais je les engage à ne pas baisser les bras. Ils subissent comme nous tous les conséquences sanitaires de la crise pour eux et pour leurs proches, auxquels s’ajoutent les soucis liés à leur entreprise. Aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure au Canada, ils ne disposent pas des mécanismes de soutien qui existaient déjà en France et qui ont été renforcés : chômage partiel, délais de paiement pour les charges fiscales et sociales, garanties de prêts, etc. Du coup, ils ont pour beaucoup d’entre eux été amenés à prendre des décisions extrêmement difficiles (licenciements, fermeture d’activité voire d’entreprise). Cependant, l’Amérique du Nord s’organise elle aussi pour soutenir son économie. Les Etats-Unis et le Canada votent des plans de soutien, les Etats et les provinces mettent en place des dispositifs, et parfois les villes mettent elles aussi en place de nouveaux outils. J’engage donc les entrepreneurs français à se rapprocher des sites officiels de ces différents niveaux de gouvernement, notamment la « small business administration » aux Etats-Unis.
Certains d’entre eux, sous visa E, qui par ailleurs a été raccourci comme nous le savons, risquent de rencontrer des difficultés lors de leur renouvellement. Si dans le pire cas de figure, ils étaient obligés de rentrer en France, seraient-ils accompagnés, d’une manière ou d’une autre ?
Il est malheureusement bien trop tôt pour répondre à ce type de questions. Je suis en contact régulier avec Philippe Etienne, notre ambassadeur à Washington, qui échange avec les autorités américaines sur ces sujets de visas. On est encore dans la phase où les différents pays cherchent avant tout à s’assurer que leurs ressortissants coincés à l’étranger puissent revenir sur leur sol, et privilégient les citoyens ou résidents permanents. La France a annoncé qu’elle prolongeait automatiquement de trois mois la durée des cartes de séjours temporaires qui arrivaient à échéance actuellement. A ce stade ni les Etats-Unis ni le Canada n’ont pris une telle mesure.
L’Assemblée nationale a voté, le week-end dernier, la suspension du délai de carence pour la sécurité sociale. Les expatriés de retour en France pendant la crise du coronavirus pourront donc avoir accès au remboursement de leurs soins comme le reste de la population française. Cette dérogation est effective du 1er mars au 1er juin, soit pendant la période de pandémie, a précisé la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. La date du 1er juin est-elle une estimation de la fin de la pandémie pour le Gouvernement ?
J’ai été très impliqué dans la préparation de cet amendement, avec les cabinets de Jean-Baptiste Lemoyne et d’Olivier Véran. Cette disposition est à effet immédiat, la Caisse nationale d’assurance maladie a donné des instructions en ce sens aux Caisses primaires. Les dates fixées dans l’amendement indiquent notre évaluation de la situation au moment où il a été voté. Nous verrons évidemment dans les semaines qui viennent si tout cela doit évoluer. Nous aurons à la mi-mai au plus tard un rapport du Gouvernement au Parlement, qui permettra d’évaluer la situation sanitaire. Nous serons alors en mesure d’évaluer la pertinence des dates fixées dans la loi d’urgence, sur ce sujet comme sur tant d’autres (notamment la date des élections municipales et consulaires).
« L’après coronavirus » est quelque chose dont nous entendons beaucoup parler dans les médias. D’après vous, quel enseignement les citoyens vont tirer de cette période de confinement et d’angoisse ?
Là encore, c’est un peu tôt pour se projeter dans l’après. Quand vous êtes au coeur de la guerre, la paix semble bien loin, et les perspectives de re-contruction le sont d’autant plus. Mais nous n’échapperons pas à la remise en question des habitudes qui ont rythmé notre vie, nos activités personnelles et professionnelles depuis trente ans. Les modèles économiques et sociaux des grand pays, les grand équilibres géopolitiques vont eux aussi évoluer.
Vous êtes un élu, mais vous êtes aussi un citoyen, un époux, un père de famille. Comment vivez-vous cette période de confinement et d’incertitude face à ce nouveau coronavirus ?
Je me suis mis au télétravail, avec mes collègues de l’Assemblée nationale et avec mon équipe. Je multiplie les applications de téléconférence et d’échanges virtuels. Mes relations avec mes proches sont pour l’essentiel elles aussi devenues virtuelles, ce qui paradoxalement n’empêche pas de reprendre contact avec des amis pour lesquels le temps manquait auparavant. Comme tout le monde, j’adapte mon rapport avec l’espace, avec le temps et avec l’autre à cette situation inédite de confinement. Petit à petit, une nouvelle organisation de mes journées se met en place. Après une dizaine de jours un peu chaotiques, je retrouve une certaine forme de routine quotidienne, où les réunions de travail succèdent aux activités plus personnelles. Chaque soir à 20.00, toute la France se met à sa fenêtre et applaudit ses personnels soignants. Je ne manquerais ce rituel pour rien au monde. J’essaye de rester serein face à l’épreuve, tout en étant extrêmement prudent et en appliquant de manière disciplinée les consignes de sécurité. Nous devons être conscients de la gravité de la situation, sans céder à la panique. Nous devons aussi réaliser combien la discipline personnelle est le gage de notre succès collectif. Prenons soin de nous , et prenons soins des autres !