Opposant du président russe Vladimir Poutine, expert en analyse politique, conférencier en droit international, Olivier Védrine, professeur universitaire en France et en Ukraine nous parle de la crise russo-ukrainienne à l’heure de l’élection présidentielle française.
Houda Belabd pour Le Petit Journal New York : Quelle est votre lecture de la politique du président Biden vis-à-vis de la crise russo-ukrainienne ?
Olivier Védrine : Face à l’invasion russe, l’administration Biden confirme les grandes lignes de sa politique étrangère en une illustration de la redéfinition démocrate de la politique étrangère : répondre aux crises par la voie diplomatique, économique et multilatérale plutôt que par l’usage de la force militaire, même si la dimension militaire est bien présente à travers l’aide apportée par les États-Unis à l’Ukraine. L’invasion russe a aussi confirmé le soutien américain à l’Ukraine, intensifié sous Biden depuis janvier 2021, et le choix d’isoler et de punir la Russie puisque le sommet de Genève de juin 2021 a échoué à la stabilisation de la relation américano-russe voulue par Biden. Les choix américains depuis l’automne dernier et jusqu’à ces derniers jours confirment la grande prudence de Biden face au risque d’escalade : il n’est pas question pour Washington que l’invasion russe conduise à un affrontement entre les deux principales puissances nucléaires mondiales, illustration du principe dominant de cette administration, si ce n’est d’un nouveau consensus américain, la retenue stratégique.
Les dirigeants politiques européens doivent mettre fin aux guerres de Poutine
Quelle est votre analyse de ce conflit en tant que Français qui a vécu en Ukraine ?
Mon analyse c’est que nous sommes en train de vivre maintenant une résurrection de l’OTAN grâce à Poutine. Par cette invasion de l'Ukraine comme l’invasion de la Crimée en 2014 et ce dans le but de forcer Kiev à se conformer à la stratégie européenne de Moscou par tous les moyens coercitifs nécessaires, y compris l'utilisation éventuelle de forces militaires à grande échelle a renforcé le camp occidental et l’Otan.
Nous sommes maintenant dans une situation qui est la conséquence de la grande naïveté des dirigeants occidentaux. L’arrivée de l’agent du KGB Poutine au pouvoir, il y a plus de vingt ans, aurait dû nous alerter, l’invasion de la Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée en 2014 tout cela est une suite logique de reconquête de l’espace soviétique. Les dirigeants politiques européens doivent mettre fin aux guerres de Poutine. Poutine veut soumettre l’Europe, détruire l’OTAN, écraser le modèle démocratique. Une nouvelle bipolarité se dessine, les régimes démocratiques contre les régimes autoritaires. Ce sera un combat à mort car, si nos démocraties privilégient les valeurs humanistes et le dialogue, les régimes autoritaires et les dictatures ne privilégient que la force.
La guerre en Ukraine et les sanctions des pays occidentaux contre la Russie vont bouleverser la politique économique européenne
Désormais, plusieurs pays européens devront payer les pots cassés de ce conflit. Jusqu'à quand, à votre avis ?
Les pays européens doivent rentrer dans une économie de guerre. La guerre en Ukraine et les sanctions des pays occidentaux contre la Russie vont bouleverser la politique économique européenne. On voit déjà que le choc attendu sur la croissance, sur les prix, sur l’emploi peut se révéler brutal. Les pays de l'OCDE et en particulier les pays d'Europe risquent de vivre durablement dans une « économie de guerre ». Ces pays ont en effet subi la chute de la production pendant la crise du Covid ; l'inflation avec la rareté de l'énergie et des autres matières premières, ainsi qu’ensuite avec ce conflit en Ukraine un besoin important de dépenses publiques supplémentaires (nécessaires pour assurer l'indépendance énergétique, pour moderniser les armées). Avec la transition énergétique, ils vont subir la nécessité de détruire un capital ancien important lié aux énergies fossiles et de le remplacer par un capital nouveau lié aux énergies renouvelables. Une économie de guerre est une économie où le besoin de dépenses publiques et d'investissements est très élevé.
La France doit consolider ses liens avec ses partenaires européens et américains
Pensez-vous que la rencontre Macron-Poutine est le début du dialogue entre la France et la Russie?
Ce sont les illusions françaises sur le dialogue avec Poutine ! Les conversations entre les deux dirigeants semblent avoir créé dans l'esprit français l'illusion que Poutine nous écoute. Mais pour faire entendre sa voix au-delà des murs du Kremlin, la France doit consolider ses liens avec ses partenaires européens et américains. Seul un front uni obtiendra des résultats dans toute conversation avec Poutine.
Toute illusion provient d'une fausse interprétation. Le général de Gaulle ne se serait fait aucune illusion sur Poutine. En mai 1920, de Gaulle est en Pologne pendant la guerre soviéto-polonaise, ou guerre russo-polonaise, qui se déroule de février 1919 à mars 1921. Témoin oculaire des épreuves endurées par le peuple polonais, de Gaulle participe aux opérations avec le général Bernard dans la troisième unité de l'armée du Sud (plus tard centrale) dirigée par le commandement polonais le général Rydz-Śmigły. De Gaulle a reçu une citation pour ses efforts et, après la victoire polonaise, il a rédigé un rapport sur l'armée polonaise. Si de Gaulle était là aujourd'hui, il soutiendrait l'Ukraine et rédigerait des rapports sur la guerre hybride !
Seul un front uni obtiendra des résultats dans toute conversation avec Poutine
Quels messages véhiculez-vous lors de vos dernières rencontres avec les médias européens, au cœur de cette conjoncture ?
Mon premier message, c’est la nécessité d’un front occidental uni car pour faire entendre sa voix au-delà des murs du Kremlin, nous devons consolider les liens entre les partenaires européens et américains. Ce front uni doit aider l’Ukraine par l’envoi d’armes, par des aides financières, par la condamnation des crimes de guerre et par la mise en place par l’OTAN d’une zone d’exclusion aérienne en Ukraine. Seul un front uni obtiendra des résultats dans toute conversation avec Poutine. Nous devons créer une véritable stratégie européenne de défense et renforcer nos liens transatlantiques. Nous ne devons pas nous faire d’illusions ; Moscou vise à marginaliser les Européens et à insulter l'Union européenne.
Mon second message est d’appeler l’Union européenne à engager sans délais le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne afin de montrer aux Ukrainiens, mais aussi aux citoyens russes et biélorusses, ce qu’est la solidarité des peuples d’Europe ! J’appelle l’Union européenne à faire ce qu’elle a fait sans sourciller avec l’île de Chypre, en l’admettant comme un pays membre. C’est faisable. L’Allemagne de l’Est rejoignit l’Union européenne en un an, grâce au grand homme d’État que fut Helmut Kohl !
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