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Laetitia Garriott de Cayeux, l’Amérique de Joe Biden en partage

Laetitia Garriott de CayeuxLaetitia Garriott de Cayeux
Laetitia Garriott de Cayeux ©️Ael Pagny
Écrit par JC Agid
Publié le 9 décembre 2020, mis à jour le 10 décembre 2020

Joe Biden l’a dit et répété : il veut être le président de « tous les Américains ». Ses premières nominations à la Maison-Blanche sont un gage de cette promesse de diversité.  

L’entrepreneuse Deep Tech Américaine et née en France, Laetitia Garriott de Cayeux, s’est engagée depuis les sénatoriales de 2018 pour cette vision de l’Amérique, « son pays d’adoption ».

 

La journée historique du 7 Novembre

Samedi 7 novembre. New York, dans le quartier de Murray Hill.

Tout à coup, les klaxons de voitures et le son de cloches brisent le calme ensoleillé d’un après-midi d’été indien à Manhattan, le dernier sans doute de l’Automne. Laetitia Garriott de Cayeux enjambe rapidement les escaliers en colimaçon menant sur le toit de sa townhouse. Elle entend maintenant les cris heureux des passants et de ses voisins aux fenêtres des immeubles alentour. « Les larmes me sont montées aux yeux », me confie Laetitia. Les médias américains viennent d’attribuer la victoire de la Maison-Blanche à Joe Biden. L’ancien Sénateur du Delaware et Vice-Président de Barack Obama devrait ainsi devenir le 20 Janvier 2021 le 46e Président des États-Unis. « J’ai ressenti un véritable soulagement et une joie profonde pour l’Amérique ».

Pour Laetitia, Américaine par choix et née en France, « les Américains vont enfin avoir un Président, un vrai ». 

Lorsqu’elle s’installe aux États-Unis en 2002, le pays de Thomas Jefferson représente pour elle un modèle de démocratie et d'opportunité. « Mais l’Amérique de Donald Trump, c’est tout sauf ça. Durant les quatre dernières années, il a multiplié les attaques sur la démocratie. Sans parler de la dévastation supplémentaire liée à la COVID-19 car ce Président, de sa propre admission, ne croit pas à la science ».

Après les larmes de délivrance, les textos se succèdent sur son Iphone. Parmi eux, ces deux mots de Sujay Johnson-Cook, Ambassadrice sous Barack Obama : « Congrats sister !!! ». Laetitia l’avait convaincue de s’engager avant l’été pour enjoindre la communauté noire, et notamment les femmes, à aller voter. Elles seront 91% à préférer Biden à Trump et ont largement contribué au résultat final.

Sur la façade de la maison des Garriott de Cayeux, un immense néon donne le ton : ‘Vote As If Your Life Depends on It’ (Votez comme si votre vie en dépendait). Sans relâche pendant la campagne, Laetitia fait partie du club restreint qui coordonne des levées de fonds pour le tandem Biden-Harris. Cette victoire du 7 novembre est le résultat d’une campagne contre Trump et pour « l’âme » d’un pays pour lequel elle s’est engagée au départ dans l’espoir de contribuer à la victoire de la première femme à la Maison-Blanche, et cette fois-ci pour empêcher son locataire d’être réélu.

 

En route pour la victoire de 2020 dès la défaite de 2016

Quelques jours seulement après la surprenante victoire de Donald Trump en Novembre 2016, Laetitia était invitée à prendre la parole à Paris, seule sur la scène des “Femmes en Or” organisée par le groupe Havas. Elle venait de participer très activement à la campagne d’Hillary Clinton. Le thème de son intervention devait être celui de l’innovation et de la technologie. La défaite de Clinton a bousculé son discours. Laetitia choisit à la place un sujet tabou en France, celui de l’échec. L’échec d’une Amérique incapable d’élire pour la première fois dans son histoire une femme à la Maison-Blanche face à un candidat singulier, invité de dernière minute dans le monde politique, magnat de l’immobilier et star de télé réalité. L’échec aussi de la construction d’une Amérique « au grand cœur et inclusive ». Et le risque surtout, prévient Laetitia d’une Amérique qui se referme sur elle-même et revisite ses avancées progressistes. Quatre ans plus tard, à quelques jours du scrutin présidentiel, le Sénat américain nomme, et ce pour la troisième fois sous la présidence de Trump, un nouveau juge à la Cour suprême, Amy Coney Barrett, symbole d’un rétropédalage sur les droits des femmes. Laetitia avait vu juste.

Si l’entrepreneure américaine—experte en technologie, finance et affaires étrangères—parle d’échec, c’est aussi sa façon d’annoncer son engagement, alors qu’Obama est toujours Président, à une campagne dont le but principal est déjà de sortir Trump de la Maison-Blanche en 2021. Trois semaines avant la victoire de Trump – que certains observateurs avisés disaient tout à fait possible – Obama invite Laetitia à Washington. « C’était le dernier dîner d’État d’Obama, » se souvient-elle, un dîner en l’honneur du Premier ministre Italien Matteo Renzi. Elle discute avec Joe Biden juste avant de passer à table. « Nous avons parlé de la relation transatlantique et de son inquiétude pour l’avenir de l’OTAN si Donald Trump était élu. ». Pour Laetitia, dont le père a connu les bombardements à Lorient où il était enfant, la défense de l’Europe est « une fondation de la stabilité et de la prospérité Américaine ».

 

Joe Biden

Joe Biden & Laetitia Garriott de Cayeux lors de ses 40 ans alors qu’elle supporte sa campagne au soutien des sénatoriales de 2018

 

Joe Biden et son équipe contactent Laetitia pour les Sénatoriales de 2018

Deux ans plus tard en 2018, l’équipe de Biden la contacte et lui demande si elle pourrait les aider lors des élections sénatoriales. Laetitia devait fêter ses 40 ans avec ses amis. Elle décide à la place d’organiser une levée de fonds dans sa maison new-yorkaise en présence de Biden.
C’est bien de la campagne des présidentielles de 2020 dont il s’agit déjà, commencée deux années avant pour faire élire davantage de Démocrates au Sénat. Lorsque le New York Times interroge alors Laetitia sur ses motivations pour soutenir ainsi l’ancien Vice-Président et Sénateur Américain de 75 ans, elle répond simplement, « Je vois Joe Biden dans tous les coins des États-Unis pour faire élire des Démocrates. » Les sénatoriales sont l’autre pan essentiel de la machine politique des États-Unis. « Ces élections étaient en 2018, comme elles le sont aujourd’hui, clés pour protéger les démocrates de l’obstructionnisme de Mitch McConnell, le chef de la majorité Républicaine au Sénat depuis 2015 ». C’est aussi en 2018 que Laetitia rencontre Kamala Harris pour la première fois. « Nous étions peu nombreux et je me souviens de son regard enflammé, de sa détermination de vaincre et le lui ai fait remarquer. Elle a une énergie contagieuse. C’est une combattante ». Les rencontres avec les clans Biden et Harris, qui ne forment pourtant pas encore le ticket démocrate des élections de 2020, confirment davantage l’engagement de Laetitia pour les deux années à suivre.

 

La Lune, l’Amour et L’Amérique en partage

La maison New-Yorkaise où elle reçoit Biden n’est pareille à aucune autre. Elle et son mari Richard Garriott de Cayeux—a.k.a. Lord British, un des premiers créateurs de jeux vidéo, un explorateur et un aventurier de l’espace—ont aménagé leur domicile à l’image de l’histoire de leurs familles et de leurs travaux. Un véritable musée vivant, un parcours initiatique mêlant dans une jolie pagaille un rocher de lune, des ouvrages scientifiques, un dessin de la double hélice de l'ADN par le biologiste Watson qui l’a découverte, un portrait de Laetitia avec le physiciste Stephen Hawking, et attaché au plafond un modèle original du satellite Spoutnik. « Un hommage en somme aux découvertes et aux innovateurs du passé, d’aujourd’hui et de demain », explique Laetitia. On y trouve aussi des arbalètes, des armures d’Europe et d’Asie, et même une tête réduite.

Laetitia et Richard se sont rencontrés à la fin des années 2000 sur l’île des caraïbes de Saint Barthélemy. Lui était venu pour une conférence sur sa récente mission dans l’espace—Richard est le seul fils d’un Astronaute Américain, Owen Garriott, à être lui-même allé dans l’espace— Laetitia passe, elle, quelques jours de vacances avec l’économiste Nouriel Roubini—qui avait tiré les signaux d’alarmes de la crise de 2008—et le financier Américain d’origine hongroise George Soros. Un de leurs amis communs, Paul Allen, co-fondateurs de Microsoft, les présente. Leur attirance pour la science, l’aventure et l’inconnu les rapprochent instantanément. La conquête spatiale aussi. Un des cratères de la Lune est baptisé en mémoire des travaux du grand-père de Laetitia, le géologue français pionnier de la géologie planétaire, André de Cayeux de Sénarpont, dit « Cailleux », pseudonyme de cet homme d’origine beauceronne. Richard aime se targuer d’être le seul propriétaire d’un terrain lunaire après avoir acquis aux enchères un rover russe qui permet encore à ce jour de mesurer les variations de la distance Terre-Lune.

La lune et l’amour en partage. L’Amérique comme base de lancement. À chacun d’entre eux, leurs conquêtes respectives.

 

Une enfance studieuse avec à l’horizon l’entreprenariat et la technologie

Une tragédie à la veille de la fête d’anniversaire de ses huit ans signe le début du parcours de Laetitia. Sa mère décède brusquement. Les amis et la fête sont annulés. Les grands-parents de Laetitia et de son frère les accueillent le temps nécessaire pour leur père de s’ajuster à cette nouvelle réalité. La petite fille se réfugie dans les études et un jour s’imagine traverser l’Atlantique. À 17 ans, le bac en main, elle participe à un concours national et rencontre le Commandant Cousteau, un des membres du jury. Laetitia est sélectionnée pour représenter la France à un sommet international au Japon et plancher sur ce que pourrait être demain un internet encore balbutiant. Elle rencontre au Japon le fondateur du MIT Media Lab Nicholas Negroponte ; il deviendra des années plus tard un de ses sponsors sur sa route vers la citoyenneté Américaine.

Trois ans plus tard, Goldman Sachs offre un stage à Laetitia qui vient d’avoir 20 ans. Le stage se transforme en contrat. De Londres où elle vit, les États-Unis se profilent davantage. « J’avais planché tout un été sur l’acquisition d’une société britannique, Courtaulds Textiles, par l’entreprise américaine Sara Lee », explique-t-elle.  Goldman Sachs décide ainsi de l’envoyer en road show aux États-Unis avec le Directeur général de Sara Lee. Chez Goldman, Laetitia travaille également sur des transactions dans les secteurs de l’énergie, notamment avec la Chine, et de la technologie.  

Avec une camarade d’Harvard Business School, Laetitia développe un projet dont la technologie permet aux femmes de préserver leur fertilité, notamment après une chimiothérapie. Extend Fertility est la première entreprise Américaine à se lancer dans cette voie. Encore sur les bancs de l’université du Massachussetts, Laetitia voudrait tout donner à l’entreprenariat. Mais les études coûtent cher. Elle doit gagner sa vie pour rembourser ses emprunts et rejoint l’équipe fondatrice d’un fonds d’investissement américain qui lève $2.8 milliards, puis Renaissance Technologies fondé en 1982 par Jim Simons, un ancien professeur de mathématiques de l'université Stony Brook, avant de créer son propre fonds d’investissement, Ajna Partners, et de recevoir le prestigieux « Institutional Investor Award ».

En parallèle à la finance, Laetitia revient dans le monde de l’entrepreneuriat et s’engage dans la deeptech et la sécurité nationale. Elle prend la Présidence d’Escape Dynamics, travaille avec la NASA, l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) et avec la seconde femme Commandante de la navette spatiale, Pam Melroy. Elle investit aussi sans des projets prometteurs mais peu populaires à leurs commencements : SpaceX d’Elon Musk et SparkCognition, un leader dans l’intelligence artificielle. À New York, le prestigieux Council on Foreign Relations l’accueille parmi ses membres tout comme l’Economic Club de New York et le Truman National Security à Washington dédié à la sécurité nationale.

 

Laetitia Garriott de Cayeux

Hillary Clinton et Laetitia (avec sa casquette “Entrepreneurs for Hillary”)
lors de la soirée où Hillary accepte sa nomination comme première femme
candidate à la présidence du parti Démocrate (2016)

 

Au service de l’Amérique 

Laetitia franchit le cap de la politique le 4 Juillet 2014, enceinte de bientôt neuf mois de son second enfant. C’est la fête nationale des États-Unis bien sûr mais aussi les 50 ans de son mari. Elle réserve en ligne un site web qu’elle utilisera pour lancer un mouvement de soutien à la candidature d’Hillary Clinton : ‘Entrepreneurs for Hillary’ prend de l’ampleur et devient une véritable coalition nationale. « Je voulais rallier les entrepreneurs au support d’Hillary Clinton, mais aussi mettre en avant leur incroyable diversité » explique Laetitia qui se rend dans l’Iowa—État clé dans les primaires pour la Maison-Blanche—et organise plusieurs évènements au Texas avec Hillary Clinton et à New York avec le sénateur Tim Kaine, alors candidat à la Vice-Présidence.

« D’autant que je me souvienne, Laetitia a toujours été intéressée par les sujets politiques », explique son mari, Richard. « Nous nous sommes rencontrés à la toute fin 2008 quand les politiques économiques de sortie de crise étaient le grand sujet du moment. Ma femme est aussi passionnée par la dimension humaine de la politique. Lors d’un voyage au Bhoutan, peu avant notre mariage, Laetitia a voulu partager un repas avec un des auteurs de la constitution du pays. »  Une passion naturelle pour les affaires étrangères pour celle qui a grandi entre l’Europe et l’Asie. « Lorsqu’elle parie sur une candidature d’Hillary, Laetitia décide de consacrer une grande part de son activité à la politique. Nous étions sur Fire Island ce 4 juillet, près de New York, chez des amis. À partir de cet été, son engagement va s’accroître sans cesse et est devenu aujourd’hui l’essentiel de son travail, jour et nuit ! » Le soir du scrutin de 2016, Laetitia et Richard sont aux premiers rangs du Javits Center de Manhattan, au pied de la scène sur laquelle Hillary Clinton devait faire son discours de victoire. Elle ne viendra pas. C’est pour Laetitia comme pour le camp démocrate une surprise aussi brutale qu’inattendue. « Il y a évidemment eu une période de deuil après », ajoute Richard. Un deuil rapide.

À l’annonce de la candidature de Biden à la Maison-Blanche, Laetitia rejoint bénévolement son équipe de campagne. « J’ai souhaité développer des ponts entre les différents groupes de soutien ». Au total, ce seront 2500 heures de volontariat au profit de l’équipe démocrate. L’entrepreneur d’origine chinoise Ling Luo et elles communiquent sans relâche auprès de la communauté asiatique : plus d’un demi-million de textos envoyés ; 60,000 appels téléphoniques ; et 45,000 cartes postales. Pour l’État de Géorgie, l’objectif est clair : faire basculer cet État Républicain qui compte maintenant 30,000 nouveaux électeurs d’origine Asiatique dans le camp Démocrate. Au final, Biden l’emporte avec une maigre marge de 14,000 scrutins. Avec sa voisine et amie au Texas Luci Baines Johnson, la fille de l’ancien Président Lyndon Johnson, elle se donne pour objectif d’augmenter le nombre de nouveaux électeurs et faire voter les Texans. Mais si le taux de participation au Texas est au plus haut, les électeurs confirment leur attachement aux valeurs républicaines et à Trump. Avec Loren Blackford, ancienne Présidente d’une des organisations pro-environnement les plus influentes aux États-Unis, Laetitia informe les électeurs sur le programme d’économie verte de Biden. Elle convainc enfin, tous autour d’elle, de contribuer financièrement, l’élément essentiel d’une campagne réussie faute de quoi rien n’est possible dans le gigantisme américain.

 

Reconstruire les fondations américaines

Célébrant la victoire de son candidat, Laetitia a le regard rivé sur l’horizon.

La victoire de Biden-Harris ouvre « la voie vers un programme de sortie de crise réfléchi, et un leadership américain responsable fondé sur des valeurs démocratiques partagées » affirme-t-elle.

Elle attend de la nouvelle administration une gestion drastiquement différente, notamment sur la crise du Covid-19 en accordant à la science son rôle essentiel. « Trop de morts sont à mettre à l’actif de cette ignorance face à la réalité scientifique », ajoute Laetitia. Quelques jours avant le scrutin du 3 novembre, elle avait mis en place et présidé avec le Sénateur Chris Coons un évènement de campagne sur le thème ‘Science plutôt que Fiction’. Le ton est donné.

Le deuxième volet est celui de la promotion de valeurs démocratiques et d’un leadership américain responsable, faisant suite à une période durant laquelle, estime Laetitia, « Trump a mis en péril les institutions américaines, les principes mêmes de la démocratie, et les importantes relations avec nos alliés. »

« Face à la montée en puissance de l’autoritarisme dans beaucoup de pays dans le monde, Joe  Biden a promis de renouer avec le multilatéralisme ». Selon Laetitia, l’Administration Biden pourrait permettre de relancer la relation transatlantique. Une administration qui rebâtirait une coopération forte avec l’OTAN et placerait les questions technologiques, notamment l’intelligence artificielle, au cœur des objectifs de l’organisation militaire. Le retour dans l’OMS et l’adhésion aux conclusions des Accords de Paris sur le climat sont également prévus.

« Il est temps de penser à nos enfants, aux enfants de l’Amérique. » Un point essentiel pour cette mère de deux enfants de 8 et 6 ans. « Je suis certaine que le Président Biden et la Vice-Présidente Harris n’auront de cesse de reconstruire une vision et un héritage américain suffisamment solides pour les générations futures ».

Presque gênée, elle montre une note que son amie, la fille de Président Johnson, vient de lui adresser :

« Laetitia, nous venons de partager un voyage extraordinaire. Je serais toute ma vie reconnaissante d’avoir mis mon cœur à l’ouvrage avec vous pour une Amérique plus juste. Vous êtes jeune. Je suis vielle. Demain vous appartient, à vous et vos enfants. »