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La philanthropie aux Etats-Unis

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Écrit par Nicolas Cauchy
Publié le 13 mai 2023, mis à jour le 19 septembre 2023

La philanthropie est profondément enracinée dans la culture et l'histoire des États-Unis. Elle se réfère à la volonté de faire des dons, souvent importants, à des organisations à but non lucratif ou à des causes qui visent à améliorer la société dans son ensemble.  Cependant, la philanthropie américaine suscite également des débats sur son rôle dans la société, notamment en ce qui concerne le pouvoir et l'influence des grandes fondations et des donateurs individuels sur les décisions politiques et sociales. Nous avons demandé à Marie-Monique Steckel de faire un point sur le sujet. 

 

SURVOL DE LA PHILANTHROPIE AUX ÉTATS-UNIS 

Aux États-Unis, la tradition du « Give back » est inculquée dès le plus jeune âge dans les écoles et est une des valeurs sûres des Américains. Cette tradition des Américains de vouloir changer le monde et de le rendre meilleur explique l’importance de la philanthropie. Contrairement à la France, où le gouvernement est appelé à jouer le rôle de protecteur de la société et à fournir les filets de sécurité nécessaires, les individus aux États-Unis prennent en main une grande partie du bien-être de la nation, et les chiffres reflètent cette différence. Globalement, la philanthropie représente 485 milliards de dollars aux États-Unis, dont 325 milliards (80 %) proviennent des individus. En France, le chiffre global est de seulement 9 milliards de dollars, dont seulement 20 % proviennent des individus. L’appauvrissement des budgets de l’État français provoque bien sûr un recours de plus en plus pressant à la générosité des Français, mais l’écart reste important et ce sont les entreprises françaises qui jouent un rôle citoyen plus important en pourcentage que les entreprises américaines. La structure des dons aux États-Unis reflète une société dont les priorités sont : 

  • Religion : 135 milliards de dollars (congrégations, missions et services de proximité) 
  • Éducation : 70 milliards de dollars
  • Services communautaires : 65 milliards de dollars.

À noter que le financement des Arts et de la Culture est en bas de la liste et des préoccupations des Américains — avec 23 milliards de dollars — juste en dessous des Affaires internationales. Malgré l’absence d’un ministère de la Culture, comme en France, le financement de l’État fédéral américain pour la culture est médiocre (150 millions de dollars). Cela explique le besoin des théâtres de monter des performances à billetterie élevée à Broadway et destinées à un large public, et la demande toujours essentielle de mécénat pour la plupart des institutions culturelles.

Malgré les différentes crises - crise des subprimes en 2008 ou durant le Covid, la philanthropie croît régulièrement aux États-Unis et démontre une résilience inouïe. Nos différents interlocuteurs n’ont pas émis de crainte pour la récession de 2023, et les campagnes de levée de fonds récentes illustrent bien cette tendance. Il existe 1,8 million d’institutions philanthropiques, 50 % des Américains donnent et le volontariat est un élément important de la vie américaine.

Contrairement au mythe français selon lequel les Américains sont plus généreux à cause de leur fiscalité, il a été constaté que la déduction fiscale qui leur est accordée n’est pas un facteur majeur. En France, les dons sont déductibles des impôts (avec un plafonnement) alors qu’aux États-Unis, ils sont déduits du revenu - ce qui est financièrement beaucoup moins intéressant.

Mais si les chiffres sont impressionnants, il convient également de constater que ce sont les donateurs les plus riches qui contribuent à 90 % des dons. Cela signifie qu’il y a une véritable armée de collecteurs de fonds qui rivalisent pour cultiver, séduire et harponner ces grands donateurs. De nombreuses institutions caritatives ont des programmes pour les « grands donateurs », car il est important d’être efficace. Il est bien plus prometteur de fidéliser les donateurs que d’en chercher de nouveaux. Pour fidéliser les donateurs, il faut que la mission de l’organisation soit cohérente avec leurs désirs et que les résultats concrets soient au rendez-vous. En effet, chaque donateur souhaite que son don ait un impact significatif sur la communauté. Ainsi, après l’arrestation et la mort de George Floyd en mai 2020, la lutte contre le racisme et une plus grande inclusion des Noirs dans la société américaine est devenue l’un des principaux thèmes de nombreuses organisations.

Depuis juin 2022, il y a également une résurgence des dons pour contrer les décisions de la Cour suprême sur l’avortement et les décisions de 13 États qui limitent l’avortement de manière draconienne. Planned Parenthood est l’une des organisations bénéficiaires de cette vague de dons, comme beaucoup d’autres. Nous constatons également l’augmentation de sociétés créées pour aligner les investissements rentables avec des objectifs qui sont bénéfiques pour la société. Cette année, les « Impact Investment » représentent 1.164 milliards de dollars aux États-Unis, et leur croissance prévue de 20 % s’explique en partie par l’influence des jeunes générations qui privilégient ces instruments financiers. 

DES CHANGEMENTS A L’HORIZON 

Critique des ultra-riches 

Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon a récemment annoncé qu’il allait faire don de la majorité de sa fortune. Il est actuellement la quatrième personne la plus riche au monde avec 124 milliards de dollars. Il a admis qu’il était difficile d’attribuer cette donation avec efficacité, ce qui pose la question de rechercher une stratégie rationnelle pour administrer les dons de cette ampleur. 230 des personnes les plus riches au monde ont promis de donner leur fortune à des causes caritatives.

Le « Giving Pledge » est un engagement lancé par Warren Buffet et Bill et Melinda Gates, par lequel ils se sont engagés à donner la moitié de leur fortune. Les dons massifs de ces super riches, tels que celui de l’ex-épouse de Jeff Bezos, la philanthrope MacKenzie Scott, ont un impact énorme sur les développements des organisations caritatives. Par exemple, elle a donné 122,6 millions de dollars à « Big Brothers Big Sisters of America ».

Ces dons sont parfois impulsifs et fantaisistes, sans véritable continuité et une critique commence a poindre et annonce un véritable changement d’attitude vis-à-vis de la philanthropie américaine. Ainsi, Arnaud Giridharadas et Lindsey McGoey apportent une critique incisive aux organisations caritatives des ultra-riches. D’après eux, ces dons ont pour seule mission d’améliorer leur image auprès du public. Leurs organisations sont a la gloire des riches. Ce mouvement récent apporte une réflexion intéressante aux différents Think tanks de la Ford Foundation ou de la Rockefeller Foundation et remet en cause l’ensemble du système de la philanthropie aux États-Unis. En effet, une constante fulgurante montre l’écart toujours plus grand du partage de la richesse aux États-Unis. En 1978, le 1 % des plus riches possédait 7 % des richesses. En 2022, le 1 % possède 18 %. Les inégalités ont dramatiquement augmenté et la philanthropie du 1 % semble être une justification de cet état alors que l’injustice de la structure sociale ne change pas d’un pouce !

Le livre de Thomas Piketty, « Le Capital au XXIe siècle », est devenu la bible de ces critiques, car pour lui, si la société ne change pas radicalement la diffusion de l’éducation et de la connaissance, l’inégalité ne diminuera pas.

Mais les critiques ne remettent pas en cause les bonnes intentions de ceux qui ne veulent pas changer le monde. Il est clair qu’apporter des soulagements positifs à des pans de la société n’est pas nocif en soi. Cependant, les bonnes actions sont effectuées dans un système qui est vicié et qui ne cherche pas à le transformer. Le raisonnement porte sur l’ensemble du système économique qui doit être repensé et transformé. Ainsi, le propriétaire d’un esclave peut parfaitement le traiter avec générosité, mais nie son droit à la liberté.

On retrouve le même raisonnement chez Chiara Cordelli, professeure de Sciences politiques à Chicago. Elle veut pousser les élites à se sentir responsables des faiblesses de la société, à changer la donne et condamne l’abandon du gouvernement américain de ses rôles dans l’éducation, l’environnement et la justice sociale. Ces activistes, analystes de la société et de la philanthropie, ont un grand écho par leurs publications et interviews et créent un mouvement de réflexion salutaire aux États-Unis. Ils restent cependant une frange minoritaire de la société américaine, mais à forte résonance.

Des nouveaux moyens de financement

Les donateurs ont de plus en plus de nouveaux moyens à leur disposition pour contribuer à leurs actions philanthropiques. Les donations par legs sont en augmentation régulière, les « donor advised funds ‘DAF, gagnent du terrain également, ils ont été établis par les grandes banques (Bank of America, JP Morgan, Chase Manhattan) et institutions foncières et permettent aux donateurs de contribuer facilement des montants aux organisations charitables de leur choix. Les grandes campagnes online deviennent courantes et les moyens digitaux représentent une part en progression des dons.

Récemment, l’expansion de la cryptomonnaie a suscité un grand espoir pour la philanthropie. En effet, de plus en plus de milléniaux et de membres de la génération Z font des dons avec cette nouvelle monnaie, ce qui permet à certaines organisations de collecter des fonds et offre une nouvelle façon de récolter des dons auprès des jeunes générations.

Ainsi, une organisation, ‘Orang-outan Outreach’, qui protège les orangs-outans abandonnés ou perdus et a pour mission de les réintégrer dans leur habitat, a reçu 1 milliard de dollars la première année où l’organisation a décidé d’accepter les donations crypto ou NFT. La guerre en Ukraine a également vu une expansion des donateurs en crypto.

Également, ‘Ukraine trust Chain’ a pu obtenir environ 100 millions de dollars sur Twitter. Et quelques heures seulement après le tremblement de terre en Turquie et en Syrie, des sociétés de cryptomonnaie comme Binance ont réussi à s’engager pour des dons de plus de 10 millions de dollars. Cela donne un vrai souffle humanitaire à la communauté crypto et démontre la flexibilité de cette monnaie.

Cependant, des critiques vigoureuses sont apparues. Les plateformes crypto sont des émetteurs massifs de CO2. Nombre d’institutions philanthropiques risquent d’aliéner leurs donateurs très soucieux de l’impact de ces plateformes sur le changement climatique. Mais, le véritable problème est que la valeur du don peut varier d’une semaine à l’autre. L’avantage pour le donateur est qu’il ne paie aucune taxe sur la plus-value du don et que l’institution reçoit un don potentiellement plus important. l’institution philanthropique vend le don immédiatement pour limiter les risques. Récemment, la chute spectaculaire de la plateforme FTX et les actions vraisemblablement frauduleuses de son propriétaire, Sam Bankman-Fried, SBF, ont porté un coup aux généreuses donations de cette plateforme.

En effet, FTX, qui était évaluée à 32 milliards de dollars il y a un an, a fait faillite en novembre 2022 et on a constaté que 8 milliards de dollars de leurs clients se sont volatilisés ! Or, Sam Bankman-Fried et son état-major de FTX s’étaient engagés sur plusieurs milliards de donations importantes pour le fonctionnement et l’avenir de nombreuses fondations ou institutions.

Par exemple, ProPublica, qui devait toucher 3 millions de dollars pour une étude sur la prévention des épidémies, a dû suspendre son projet. Le scandale est retentissant dans le monde de la philanthropie américaine. D’autant plus qu’il remet en question la philosophie qu’adoptaient SBF et ses ‘disciples’ avec enthousiasme : l’‘Effective Altruism’.

Effective Altruism’ est un grand courant philosophique développé avec succès par William MacAskill et adopté avec ferveur par de nombreux millennials et les jeunes. Effective Altruism se focalise sur une meilleure distribution des donations, une stratégie rationnelle pour que le don profite et améliore la vie du plus grand nombre. Sam Bankman-Fried a rencontré William MacAskill alors qu’ils étaient à l’université. Il lui a indiqué vouloir s’impliquer dans une organisation pour le bien-être et la sauvegarde des animaux. McAskill lui a recommandé d’oublier cette idée et de chercher à faire fortune pour pouvoir donner de larges sommes à de belles causes. Sam Bankman-Fried a suivi son conseil et s’est lancé dans l'accumulation d'une importante fortune dont il léguerait la majorité de ses gains dans les 10-20 prochaines années.

Malheureusement, la faillite de FTX a mis en question l’utilisation philanthropique de la cryptomonnaie et a donné à réfléchir sur la volatilité des engagements des disciples d’Effective Altruism. En effet, la plateforme crypto et la vision de MacAskill avaient gagné un grand nombre de donateurs dans le monde de la finance et de la tech., tels Peter Thiel ou Elon Musk, qui soutiennent que le futur de la philanthropie sera plus robuste si une stratégie rationnelle et philosophique saine est adoptée par l’ensemble du secteur et continuent de défendre l’idée de ‘gagner plus pour donner plus ‘.

Des changements démographiques

D’ici 2050, les États-Unis seront un pays à majorité non blanche et cette transformation démographique changera radicalement le paysage philanthropique. De nombreuses organisations se créent dans les communautés noires, indiennes ou asiatiques, mais elles n’ont pas encore pris leur place légitime dans la philanthropie. Le mois de la philanthropie ‘Black History Month’ est une célébration de la place des Noirs dans l’histoire américaine, mais donne également une impulsion à donner à des causes telles que la réforme de la justice, la prévention de la violence, la médecine, les problèmes de nutrition, etc. Les sportifs noirs souhaitent également jouer un rôle dans l’éducation, bien qu’ils l’aient souvent évitée. 

EN CONCLUSION

La philanthropie aux États-Unis est une tradition profondément enracinée et un exemple inspirant pour la France. Si les chiffres de la philanthropie américaine sont impressionnants, il est important de noter que ce sont les donateurs les plus riches qui contribuent à 90 % des dons. Les organisations caritatives rivalisent pour cultiver, séduire et harponner ces grands donateurs. Les critiques à l’encontre de la philanthropie des ultra-riches soulignent l’importance de remettre en cause le système économique dans lequel ces dons sont effectués.

En France, il est primordial que les individus s’impliquent davantage dans le bien-être de la nation, alors que les budgets de l’État français sont en diminution constante. Il est temps pour la France de se concentrer sur la création d’un environnement favorable pour la philanthropie à démarrer depuis l’école, donner une vitrine aux actions des philanthropes français et internationaux et permettre de meilleurs résultats pour la communauté en utilisant mieux les différentes formes de volontariat existantes. 

Marie-Monique Steckel