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« Chez Vous Sans Moi » : La Course aux Défis d’Olivier Cassegrain

LongchampLongchamp
Dessin représentant un showroom Longchamp ©️Longchamp
Écrit par JC Agid
Publié le 19 mai 2020

Un jockey fumant sa pipe sur son cheval au galop. En un coup de crayon bleu, l’aquarelle de Marion Naufal résume les défis d’une course, d’un style, d’une marque - Longchamp - et d’une famille, les Cassegrain, dont l’histoire est depuis le début attachée à l’Amérique.

Confortablement installé sur sa terrasse, le petit-fils du fondateur de Longchamp, Olivier Cassegrain, veille avec gourmandise à la destinée américaine de l’entreprise familiale.

Alors qu’au Texas, le commerce reprend doucement, la boutique originelle de Madison Avenue est toujours fermée comme le sont toutes les autres enseignes de luxe à Manhattan. À Soho, la Maison Longchamp reste vide comme le Vessel d’Hudson Yards où, il y a encore quelques semaines, se pressaient touristes, voyageurs d’affaires et new-yorkais. « Les escaliers du Vessel sont avec ceux de la boutique de Soho les plus fameux de New York, » raconte, amusé, Olivier. Ils sont tous les deux l’œuvre du même architecte anglais. « Je serais assez content de revoir bientôt du monde sur ces marches, » ajoute le Vice-Président de Longchamp États-Unis, « enfin un peu plus de monde sur celles de SoHo que sur celles d’Hudson Yards. » Un défi supplémentaire pour celui qui n’aime rien d’autre que de surmonter les obstacles, un cigare aux lèvres.

 

Longchamp

Longchamp by Marion Naufal (c)

 

Merci de ne pas m’accueillir chez vous, Olivier Cassegrain, dans l’Upper West Side de Manhattan. Comment Longchamp, symbole contemporain du voyage et des sorties, se prépare-t-elle à un après-confinement, cette zone ‘grise’ avec très peu de touristes en perspective pendant au moins quelques mois ?

La crise financière de 2008 nous avait permis d’apprendre à diversifier la clientèle. Souvenez-vous : en quelques semaines, les touristes disparaissent. Cela se traduit par une baisse de 40 à 50% du chiffre d’affaires aux États-Unis. J’expliquais alors — et la crise a renforcé cette approche sur le marché américain— qu’il nous reste les clients locaux lorsque plus personne ne voyage. Nous devons toujours prendre soin de cette clientèle et c’est, je pense, une erreur de concentrer ses efforts sur le seul marché des touristes.

 

Vous êtes donc plutôt confiant dans l’avenir ?

La première vente effectuée à Dallas après la réouverture des magasins dans le cadre du retail-to-go a été réalisée avec un client local. Le directeur de notre boutique le connaissait bien et l’a contacté ; celui-ci cherchait justement des objets à offrir, l’opportunité parfaite. Les choses seront sans doute différentes à Las Vegas, un autre défi.

 

L’histoire de Longchamp est celle des défis, par exemple celle de vendre des bagages à des passagers avant d’embarquer dans un avion.

Quand Orly devient une base aéroportuaire moderne en 1961 avec l’inauguration du terminal connu aujourd’hui sous le nom d’Orly 4, mon grand-père trouve là le lieu parfait pour proposer ses valises. Tout le monde se dit que cet homme était fou de vouloir vendre des bagages dans un aéroport, mais le succès fut au rendez-vous. Nous étions une des premières boutiques à ouvrir à Orly.

 

Longchamp

Orly 1961(c) Longchamp

 

Le premier défi de Longchamp reste celui de la transformation d’un bar tabac des beaux quartiers parisiens en une marque de luxe connue dans le monde entier. C’est l’histoire d’une pipe et d’un cheval.

Une histoire qui commence avec mes arrières grands-parents. Dans les années 1930, ils ouvrent un bar tabac sur les grands boulevards de Paris, près des théâtres, du Palais Garnier, des cafés, de la vie parisienne, l’équivalent des Champs Élysées aujourd’hui. Mon grand-père, Jean Cassegrain, reprend l’affaire après la Seconde guerre mondiale et découvre alors un stock de pipes au bois de bruyère mais pas assez esthétiques pour les proposer en l’état à sa clientèle. Il a l’idée de couvrir le bois avec du cuir et commence à les vendre aux soldats américains présents en France dans le cadre de l’OTAN. Elles deviennent vite populaires. Un véritable art de vivre se crée autour du tabac, de la pipe, des cigarettes, des briquets et des cendriers. Mon grand-père invente alors des semainiers de pipe, des cendriers en forme de gants de baseball et des bouchons de champagne qui se transforment en porte-cigarettes. Le succès de ces objets en cuir est tel qu’il crée rapidement des portefeuilles et des porte passeports.

 

Va pour la pipe. Mais le cheval ?

Jean adorait les vieilles peintures de chevaux de la campagne anglaise des années 1900. Pour leur donner un aspect de mouvement, les chevaux étaient toujours représentés les quatre fers en l’air, en train de galoper. C’est ainsi que cet animal est devenu le logo de Longchamp.

 

Pourquoi Longchamp, et pas Cassegrain ?

Pour justement ne pas garder le nom de famille associé aux affaires. Mon grand-père ne voulait pas prendre le risque de le perdre et de toutes les façons, le nom Cassegrain était déjà celui d’une marque de légumes dirigée par nos cousins. Tous les soirs en rentrant chez lui, dans l’Ouest parisien, Jean passait devant les champs de courses de Longchamp et le fameux moulin datant du début du 14e siècle, visible des tribunes de l’hippodrome. Ce moulin lui faisait évidemment penser au nom Cassegrain : Longchamp s’est ainsi imposé comme le nom de l’entreprise, tout comme le cheval est devenu notre logo.

 

Longchamp

(c) Longchamp

 

Autre défi de Longchamp, réinventer sans cesse ses produits.

Dans les années 1970, mon père, Philippe, a appris que l’armée américaine disposait d’un stock de nylon à vendre, le nylon balistique. Avec ce matériau très résistant, l’armée fabriquait notamment ses blousons. Personne n’avait pensé à l’utiliser pour des sacs ou des valises. C’est ce que fait mon père, une valise légère qui peut être réduite au quart. Elle devient notre valise la plus populaire, très vite copiée. Lorsque mon père veut des années plus tard déposer le brevet en France, c’est trop tard. Il réfléchit à une autre idée et enregistre officiellement celle du « pliage », que nous appelons chez Longchamp, le pliage ‘origami’ en clin d’œil à l’art du papier plié japonais.

 

Déplions l’histoire de ce sac, en nylon donc, mais toujours avec une référence au cuir, un cuir très spécial ?

Au début des années 1990, l’épave d’un bateau coulé trois siècles auparavant fut découvert au nord de Saint Pétersbourg avec à son bord une cargaison de cuir, un cuir rustique, sec, salé, très solide. Mon père a eu l’opportunité d’en acheter un lot lors d’une vente aux enchères au moment même où il a créé le pliage. C’est devenu l’élément cuir de ce sac, le cuir de Russie.

 

Le cuir et l’animal. Est-ce que Longchamp s’investit comme d’autres marques pour une mode plus responsable de l’écologie et des ressources naturelles ?

Nous venons de créer un nouveau pliage sur mesure pour lequel nous recyclons des bouteilles trouvées dans l’océan. C’est le dernier exemple d’un souci constant de protéger l’environnement, ses ressources, de connaître nos fournisseurs, de tracer nos matières premières et de créer des produits qui durent longtemps.

 

Ce sac, ce pliage sur mesure, résulte une nouvelle fois d’une réinvention chez Longchamp ?

Le pliage traditionnel inclut systématiquement un rabat et deux anses en cuir quelle que soit la couleur. Mais nous nous sommes rendus compte que la clientèle ne voyait que ce cuir marron sur les étagères des boutiques. La couleur passait au second plan. Il nous fallait donc surprendre, imposer les couleurs. Le nouveau pliage, que nous appelons le Pliage Club, ne distingue plus la couleur du sac de celle du rabat et des anses. Nous y avons ajouté un petit twist : un petit cheval, d’une différente couleur, brodé sur le sac.

 

Longchamp

Le Pliage Club (c) Longchamp

 

Le pliage symbolise-t-il Longchamp aujourd’hui ?

C’est en tous cas, avec 60 millions d’exemplaires, le modèle de sac le plus vendu dans le monde.

 

La vente ! Là aussi, vous avez aux États-Unis—spécialement à New York—imposé un style, une expérience nouvelle. Mais les boutiques Longchamp sont toutefois une aventure récente, l’œuvre de Michèle Cassegrain, décidément une affaire de famille ?

Michèle Cassegrain, ma mère. Au début de son mariage, elle s’est concentrée sur sa propre entreprise familiale, mais le jour où mon père achète un tout petit espace derrière la Maison de la Radio, il lui dit, « c’est maintenant ou jamais ». Elle prend en charge le développement des boutiques, ouvre quelques années plus tard en 1998 une enseigne au 390 rue du Faubourg Saint Honoré et dix ans après, une beaucoup plus grande au 404 de la même rue. Aujourd’hui, Longchamp compte 300 boutiques dans le monde.

 

Longchamp

De gauche à droite: Olivier Cassegrain, Sophie Delafontaine, Philippe Cassegrain, Jean Cassegrain

 

Dont combien aux États-Unis ?

Vingt boutiques et 250 points de vente, sans compter les e-boutiques aux États-Unis et au Canada, au total 200 personnes travaillent pour Longchamp USA. Nous avons établi la marque dès les années 1950 aux États-Unis grâce à un réseau de distributeurs fidèles. En 1999, nous ouvrons notre première boutique sur Madison Avenue, à quelques pas du premier restaurant Bilboquet.

 

L’aventure américaine a ainsi commencé très tôt, notamment avec des clients parfois très fameux…

J’ai récemment trouvé une photo d’Elvis Presley avec une pipe Longchamp dans le musée Graceland à Memphis !

 

Et en 2006, vous inaugurez la fameuse Maison Longchamp sur Spring Street dans SoHo. Cette fois-ci, c’est le principe même du magasin que vous réinventez !

Son architecture en fait une boutique emblématique. Nous avions besoin d’un espace qui soit suffisamment grand pour vendre et disposer d’un show-room. L’immeuble de SoHo était parfait pour cela, immensément grand avec même la possibilité pour une terrasse sur le toit. Le grand architecte et designer anglais Thomas Heatherwick—qui vient de signer le Vessel dans Hudson Yards—accepte le défi d’imaginer cette boutique phare, une première pour lui aux États-Unis.

 

Ce n’était pas votre première collaboration avec Heatherwick.

Nous avions déjà travaillé avec lui mais pour la confection d’un sac ajustable avec des fermetures éclairs, près de six mètres de fermetures éclairs, un challenge pour nos ateliers. Là où il nous faut en général deux semaines pour faire un sac, celui d’Heatherwick, très complexe, nécessitait trois mois. Toutes les coutures des fermetures devaient être alignées, que le sac soit ouvert ou fermé. C’est Heatherwick, lui-même, qui avait choisi Longchamp pour relever le défi de créer son sac.

 

Et à votre tour, vous le choisissez pour faire de la Maison Longchamp SoHo, une destination.

Heatherwick est l’architecte du Garden Bridge à Londres. A New York, il va imaginer pour nous cet extraordinaire escalier de 55 tonnes — inspiré d’ailleurs par son sac — pour relier d’une seule couture les trois niveaux de la Maison Longchamp.

 

L’ouverture en 2006 est la soirée où le tout New York se presse alors.

Plus de 2500 personnes, dont Susan Sarandon, Uma Thurman, Eva Mendès, Lucy Liu dans une soirée orchestrée par Tastings et les champagnes Pommery. Nous ne savions plus comment accueillir nos invités.

 

Mais parmi eux, on n’aperçoit pas encore Kate Moss, une célébrité au cœur de l’histoire de Longchamp ?

Kate Moss suit une cure de réhabilitation à ce moment-là, mais elle devient vite notre égérie et la plus loyale des amies de Longchamp. Tout le monde savait que Kate Moss brulait la vie par les deux bouts, ses fêtes n’étaient un secret pour personne. Les grandes marques l’ont bien compris. Nous souhaitions continuer à travailler avec elle malgré ses difficultés et nous avons dessiné une collection de sacs ensemble. Peut-être l’avons-nous même aidée à reconstruire son image.

 

Pourquoi elle ?

Pour son style de vie, son histoire, sa merveilleuse disponibilité. Kate Moss est une des rares top modèles que l’on peut reconnaitre juste en voyant sa photo, peu importe la marque qu’elle représente. Chanel, David Yurman, H&M, Burberry… elle est libre de toute attache. Kate est un caméléon connu du monde entier.

 

Une fois de plus, tout se renouvelle chez Longchamp, y compris les égéries.

Nous avons travaillé ensuite avec Kendall Jenner. Génération des influenceurs et des réseaux sociaux oblige. Kendall, ce sont 128 millions d’abonnés sur Instagram.

 

Et la prochaine égérie ?

Une surprise à la hauteur des défis qui nous attendent. La nouvelle campagne Longchamp sera lancée en Octobre.

 

Pour lire cet article en version anglaise

Pour en savoir plus sur la marque Longchamp

 

Longchamp

Troy Miller-Cassegrain,  Olivier Cassegrain et leur fille (c) Olivier Cassegrain

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