Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 2
  • 0

Lara Sleiman, curatrice à New York ou l’art comme « vecteur de changement social »

Formée à Sotheby’s Institute of Art, Lara Sleiman s’épanouie dans le monde de l’art à New York. « La curation est devenue pour moi une véritable passion », nous explique la jeune Française d’origine libanaise et ayant grandi au Sénégal. Entre deux projets d’exposition, elle nous peint son portrait marqué par le rêve américain et son désir que l'art devienne « un pont entre la prospérité et la solidarité ».

lara sleimanlara sleiman
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 9 juillet 2024, mis à jour le 13 juillet 2024

Comment êtes-vous arrivée à la curation ?

Mon parcours n’a pas été un long fleuve tranquille. Depuis très jeune, j'ai su que ma profession serait liée à l’art. C’était une évidence. Cependant, je ne connaissais pas, et étais loin de me douter de la diversité et de la variété des métiers du monde de l’art. Je me suis d’abord orientée vers le métier de commissaire-priseur. En 2016, en France, il fallait avoir une double licence en droit et en art, puis passer le concours. J’ai choisi de faire les deux séparément et ai entamé mes études de droit à l’Université Paris Nanterre. Après l’obtention de mon master 2, je me suis dit qu’il était temps d'accomplir la deuxième partie de mon objectif : l’art. Toutefois, c’était sans compter sur la difficulté à changer de filière dans le système français. Trouver un master en marché de l’art s'est avéré impossible sans tout reprendre à zéro, depuis la première année.

J’ai alors décidé d’aborder le problème sous un autre angle : je changerais de système ! C’est ainsi que, en septembre 2022, j'ai atterri à Sotheby’s Institute of Art (SIA) à New York, dans le programme de master “Art Business”. Rapidement, j’ai réalisé l’étendue des possibilités et n'ai cessé de découvrir de nouveaux métiers et la face cachée de ceux que je pensais connaître. J'ai découvert mon penchant pour la communication avec les artistes, mon envie de les aider, de leur trouver un lieu pour s’exprimer, pour afficher leur art. Un désir parallèle au mien, de les aider à construire leur portfolio.

Lors de mon deuxième semestre, pour confirmer cet amour naissant de la curation, j’ai choisi de suivre le cours de “Curating Contemporary Art”. Notre excellent professeur nous enseignait la matière d’un point de vue pratique, et nous avons monté nos propres expositions en petits groupes. Depuis lors, je ne souhaite plus arrêter, malgré les challenges, les difficultés et les obstacles. La curation est devenue pour moi une véritable passion, un moyen de donner une voix aux artistes et de créer des expériences enrichissantes pour le public.

 

Together we art

 

Qu'est-ce que votre parcours aux Etats-Unis vous apporte dans votre métier ? 

Je ne peux pas nier avoir été séduite par l'American Dream. Même pendant mes études de droit, je rêvais déjà de vivre à New York. L’idée de pouvoir tout y accomplir était irrésistible. Lorsque j'ai eu l'opportunité de candidater au master de SIA, je l’ai saisie immédiatement, et je n’ai jamais regretté cette décision.

New York est une ville – je dirais même un monde – où tout peut arriver, du jour au lendemain, pour le meilleur comme pour le pire. C’est un lieu d’un dynamisme incomparable, où il faut se forger une forte personnalité pour réussir. Ce flux incessant se ressent également dans le monde professionnel, particulièrement dans le marché de l’art. New York permet aux personnalités les plus loufoques, éclectiques et excentriques de s’exprimer pleinement. Et quoi de plus important en art que l’expression authentique de l’artiste ?

Parallèlement, tout spectateur, quel qu’il soit, peut se retrouver dans ces œuvres. Cette expression artistique sans fin offre des possibilités de curation et d’exposition très vastes.

D’un point de vue plus pratique, les États-Unis m’ont appris à me débrouiller rapidement et avec peu de moyens, à chercher des connexions, à “networker” et à trouver des opportunités. Ce sens de la débrouillardise et cette volonté forte, propres à New York, sont valorisés partout dans le monde. Ils justifient pleinement la fameuse phrase “if you can make it in New York, you can make it anywhere”.

 

L'art a ce pouvoir unique de toucher l'âme, de provoquer des émotions et de susciter des réflexions profondes sur notre société.

 

En quoi est-il important pour vous que l'art ait un rôle social ? 

L'art, pour moi, est bien plus qu'une simple expression esthétique; il est un puissant vecteur de changement social. Depuis que j'ai plongé dans ce monde fascinant, j'ai été constamment frappée par la capacité de l'art à transcender les barrières culturelles, à éveiller les consciences et à initier des dialogues essentiels. L'art a ce pouvoir unique de toucher l'âme, de provoquer des émotions et de susciter des réflexions profondes sur notre société. Il peut dénoncer les injustices, célébrer les diversités, et donner une voix à ceux qui en sont souvent privés. C'est un langage universel qui peut mobiliser, inspirer et transformer.

En tant qu'acteur du monde de l'art, je ressens une profonde responsabilité de promouvoir cet aspect social de l'art. Je crois fermement que chaque œuvre a le potentiel d'éclairer, d'instruire et d'unir. Pour moi, l'art est une forme d'activisme silencieux mais puissant, un miroir de notre société et un phare pour un avenir différent.

Mais il y a un autre aspect tout aussi crucial : l'impact financier de l'art dans le soutien de projets sociaux. L'art peut et doit être accessible à tous, car il enrichit nos vies et nous unit. Cependant, il est également indéniable que le marché de l'art reflète le marché économique, et qu'il peut être un moyen efficace de financer des initiatives sociales. En mobilisant certaines ressources et en les orientant vers des causes sociales, l'art devient un pont entre la prospérité et la solidarité.

 

A défaut d’être artiste moi-même, j’ai la chance aujourd’hui de pouvoir être celle qui peut être aidera certains à représenter la beauté de l’art africain contemporain internationalement. 

 

Vous êtes particulièrement sensible à l'art africain, pourquoi est-il essentiel de participer à l'accompagnement de cette scène contemporaine émergente ? 

Française d'origine libanaise, j'ai grandi au Sénégal, un pays où ma famille réside depuis des générations. Chaque année, lorsque je retourne à Dakar, je rentre à la maison. J'ai eu la chance de grandir dans une diversité culturelle riche, entourée de talents incroyables. Cependant, j'ai également été témoin du manque d'opportunités qui empêche souvent ces artistes de se faire connaître au-delà de leurs frontières.

A défaut d’être artiste moi-même, j’ai la chance aujourd’hui de pouvoir être celle qui peut être aidera certains à représenter la beauté de l’art africain contemporain internationalement. 

L'art contemporain africain de la diaspora a déjà commencé à trouver sa place en Europe. Malheureusement, il reste encore trop peu représenté aux États-Unis, même dans des centres artistiques majeurs comme New York. Il est essentiel de participer à l'accompagnement de cette scène émergente, non seulement pour célébrer sa diversité et sa richesse, mais aussi pour garantir que ces artistes aient la reconnaissance qu’ils méritent et leur place dans l’histoire de l’art.

 

Beyond the paint

 

Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur dans les prochains mois ?

J’ai quatre principaux projets à venir d’ici la fin de l’année. En tant que curatrice junior pour la galerie The African Art Hub (TAAH), je participe à deux foires majeures à Londres et à Paris : la British Art Fair en septembre et AKAA Paris en octobre. Ces deux foires offrent à l’équipe de TAAH l'opportunité de mettre en avant des artistes de la diaspora africaine et de les accompagner dans leur parcours artistique. L’objectif de TAAH ainsi que des foires est en parfaite adéquation avec le mien, car nous partageons la mission de promouvoir et de soutenir ces talents émergents.

En mai dernier, nous avons eu l’opportunité d’exposer à 1-54 New York, au moment où la ville bouillonnait d'une effervescence artistique, accueillant de nombreuses foires et événements. Cette expérience a été l’une des plus enrichissantes de ma carrière, me permettant de réaliser l’ampleur des possibilités pour l’art africain sur la scène internationale. Les deux prochains projets s’inscrivent donc dans cette même dynamique.

Les deux autres projets reflètent l’aspect social que je souhaite donner à l’art. J’ai l'honneur de faire partie de l’équipe curatoriale de la 7ème édition de Together We Art, une foire annuelle organisée dans le but de récolter des fonds pour l’organisation Life Project 4 Youth (LP4Y). LP4Y est présente dans de nombreux pays, construisant des écoles, offrant des formations et, de manière générale, aidant les jeunes à s’intégrer dans la vie professionnelle.

Le deuxième projet est un événement artistique visant à lever des fonds pour la Palestine. Bien que nous travaillions encore sur la forme exacte du projet, nous prévoyons qu'il se concrétisera fin 2024 ou début 2025. Ces initiatives montrent mon engagement à utiliser l’art comme un outil pour des causes sociales importantes, tout en continuant à promouvoir la richesse de l'art africain contemporain.

Sujets du moment

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions