Les manifestations contre la guerre du Vietnam, la première gay pride, le mouvement des droits civiques ou encore le Watergate, autant d’évènements qui ont été couverts par le photo-journaliste franco-américain Jean-Pierre Laffont. Ces décennies derrière la caméra ont permis d’immortaliser l’Histoire américaine mais pas seulement. Cette légende du photo-journalisme a reçu ce 13 novembre 2023 l’insigne de chevalier de la légion d’honneur, en présence du Consul de France, Jérémie Robert.
Les flashs se sont fait encore entendre ce 13 novembre au Consulat de France à New York, lorsque Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival de photojournalisme Visa pour l'image à Perpignan, décorera de l’insigne de chevalier de la légion d’honneur, Jean-Pierre Laffont. Une récompense en signe de reconnaissance de la France pour 57 ans au service du photojournalisme, comme l’explique le Consulat de France à New York : « cette prestigieuse distinction est l'expression de la profonde gratitude de la France à l'égard de Jean-Pierre Laffont pour sa brillante œuvre documentaire, qui a contribué à la compréhension de nombre d'événements majeurs du XXe siècle. »
L’Amérique en photos et sans cliché
1965, à tout juste trente ans, Jean-Pierre Laffont débarque à New York. Le jeune photographe se fait vite repérer et devient en 1969, le premier correspondant étranger de l’agence Gamma. Avec son épouse Eliane, il crée ensuite Gamma US et Sygma Photo News, deux agences de référence aux Etats-Unis. Jean-Pierre Laffont devient le témoin privilégié de toute l’histoire américaine. Ses clichés reflètent les mutations de la société américaine et les tensions sociales. Il suit les manifestations de la jeunesse contre la guerre du Vietnam, le mouvement hippie et les festivals de musique de Powder Ridge et Watkins Glen, le mouvement des droits civiques mené par Martin Luther King, les manifestations pour la défense des droits des femmes et des LGBTQ+, la première parade de la Gay Pride à New York, mais aussi la violence des quartiers populaires de New York.
Manhattan, New York City, NY. 23 janvier 1974.
Jean-Pierre Laffont, un regard sur l'Amérique et le monde
En tant que correspondant pendant huit ans pour la Maison-Blanche, Jean-Pierre Laffont a photographié le Watergate et la destitution du président Nixon. Il a également couvert la montée du mouvement Black Power et du KKK, les assassinats de Martin Luther King et de Bobby Kennedy, les conditions de vie dans les prisons et l'utilisation de la chaise électrique, les baby-boomers et le consumérisme ou encore la mort de l'industrie automobile et la disparition des exploitations agricoles familiales. Il a immortalisé avec la même passion Andy Warhol, Alfred Hitchcock, Brigitte Bardot ou André Malraux que les laissés-pour-compte des quartiers défavorisés de la ville qui ne dort jamais.
Brooklyn, New York City, NY, 1er Avril 1968.
Un photo-journaliste multi-récompensé
L'ensemble de sa carrière est récompensé par de nombreux prix prestigieux, notamment le World Press Photo General Picture Award, et le 1er prix du New York Newspaper Guild Award. En 1996, Il a une rétrospective de son travail à Visa Pour l’Image et il y est nommé Chevalier des Arts et des Lettres. En 2015 la Maison Européenne de la Photographie à Paris a montré son exposition rétrospective de son travail aux Etats-Unis « Tumultueuse Amérique » qui depuis voyage dans de nombreuses villes en France, Russie, Chine, Italie et Etats-Unis. En 2016 Jean Pierre est nommé International Photographer of the Year of the Pingyao Photo Festival, Chine. En 2020 il reçoit The Lucie Award for Achievement in Photojournalism et le Visa D’Or Award du Figaro Magazine pour l’ensemble de sa carrière professionnelle. En 2023, il est nominé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur pour 60 ans au service du photojournalisme.
New York City, NY. 15 avril, 1967.
On me dit souvent que je suis le seul photographe français qui aura passé une grande partie de sa vie à couvrir les évènements importants qui ont transformé les États Unis
En amont de la cérémonie, Jean-Pierre Laffont a accepté de répondre à nos questions :
Quel est votre sentiment quant à cette insigne de Chevalier de la légion d'honneur ?
C’est avec une forte émotion que j’ai appris le 13 juillet 2023 ma nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur dans la catégorie de l’Europe et des Affaires Étrangères pour mes 57 ans au service du photojournalisme.
Ma première pensée a été pour mon grand-père Amedée Laffont qui était Grande Croix de la Légion d’Honneur qu’il avait reçu pour l’ensemble de sa carrière de professeur de médecine et doyen de la faculté d’Alger et fondateur de l’encyclopédie médicale, et qui a été ravi quand je lui ai dit que je voulais être photographe (pas évident dans une famille composée uniquement de médecins). Il m’a encouragé avec ces mots : “Tu vas être le premier de la famille à voir le monde.” Je pense qu’il serait fier de moi aujourd’hui.
On me dit souvent que je suis le seul photographe français qui aura passé une grande partie de sa vie à couvrir les évènements importants qui ont transformé les États Unis. Lorsque je regarde mon travail, je me rends compte de la chance incroyable que j’ai eu de pouvoir réaliser mes rêves de jeune photographe… Ces photos sur l'Amérique forment un portrait personnel et historique d’un pays que j’ai observé de manière critique mais avec affection, et pour lequel j’éprouve une profonde reconnaissance.
Je suis très touché et honoré et voudrais exprimer toute ma gratitude au Consul Jérémie Robert que je remercie pour son soutien et son engagement. Je suis particulièrement touché de l'intérêt sincère qu’il apporte à mes photos. Et enfin, je suis fier de recevoir cette médaille devant ma famille, ma fille Stéphanie et mes deux petites filles, Sparrow et Sylvie, et tout particulièrement ma femme Eliane, avec qui j’ai tout partagé.
Je pense que l'essentiel pour être photojournaliste, c’est la curiosité, la passion, l’envie de voyage, et vouloir comprendre et montrer ce qui se passe dans le monde.
Alors que les conflits et les tensions géopolitiques sont à leur paroxysme, comment voyez-vous le rôle des photo-journalistes ?
Voici comment je suis devenu photojournaliste : Je suis allé à l’école des Arts et Métiers de Vevey pendant 3 ans et j’y ai tout appris : le design, la technique, la composition, la précision, le travail en laboratoire et la retouche, les éclairages, la lumière... Puis je suis allé à Paris où je deviens l’assistant de Sam Levin, grand photographe des stars de l’époque. Mais ce que je voulais vraiment faire, c’était être photojournaliste et courir le monde. C’est en 1964 que je suis parti aux Etats-Unis qui me fascinaient et où je vis toujours 60 ans plus tard. J’ai tout vendu : voiture, meubles, et je me suis acheté un aller-simple pour New-York.
J’ai découvert les grands événements des années 60, 70, 80, 90 : la guerre du Vietnam, le Watergate, le départ de Nixon, la libération des femmes et des gays, et des droits civiques… Je me sentais de plus en plus engagé dans mes histoires et pouvais passer des mois à couvrir, sans commande, des grands sujets humanitaires comme la pauvreté des fermiers américains et leurs injustices sociales. Je photographierais aussi les grands Muhammad Ali, Robert Kennedy, Martin Luther King et quelques présidents pendant mes 8 ans à la Maison Blanche. Mon moteur, c’était raconter des histoires. Je voulais informer pour améliorer le monde.
Je pense que l'essentiel pour être photojournaliste, c’est la curiosité, la passion, l’envie de voyage, et vouloir comprendre et montrer ce qui se passe dans le monde. Mais la qualité principale, c’est d’avoir de l’empathie, ressentir les douleurs et les faire partager.