Édition internationale

La « persistance du soutien envers Donald Trump » malgré les déboires judiciaires

Dans une entrevue exclusive, Jean-Claude Beaujour, avocat et président du Forum Transatlantique, partage son expertise unique sur les inculpations de Donald Trump et la dynamique politique aux États-Unis. Fort de ses années d'expérience, de collaborations avec des acteurs américains et d'engagement universitaire, Jean-Claude Beaujour offre un regard perspicace sur les événements récents, soulignant l'entrelacement subtil du droit et de la politique dans le paysage américain et transatlantique.

Jean-Claude Beaujour Donald TrumpJean-Claude Beaujour Donald Trump
Écrit par Aurélie Billecard
Publié le 28 août 2023, mis à jour le 29 août 2023

Selon les sondages récents du New York Times, Donald Trump devance largement ses concurrents à la primaire du Parti républicain en vue de l'élection présidentielle de 2024. Comment expliquez-vous cette popularité continue malgré ses déboires judiciaires ?

La popularité de Donald Trump, qui le place nettement devant le gouverneur de Floride Ron DeSantis, trouve sa source dans plusieurs facteurs clefs. D'abord, il occupe une place prépondérante dans les médias, conférant ainsi un rôle central aux candidats et générant une dynamique autour de sa personne. Cette visibilité demeure constante, indépendamment des positions des autres prétendants. Ensuite, au sein du Parti républicain, Donald Trump ne se réduit pas à un simple leader, mais incarne plutôt le mouvement enclenché par « Make America Great Again » (MAGA), mouvement qui transcende les limites traditionnelles des valeurs républicaines. Cette transformation d'un slogan en un mouvement intrinsèque au parti renforce sa popularité en occultant d’autres sujets. Sa position en tant que porte-étendard de ce mouvement MAGA demeure solide et constitue une base robuste pour son attrait.

De même, cette popularité s’explique par l'attachement des activistes politiques à leurs leaders. Malgré les déboires judiciaires, les activistes, particulièrement les membres fervents du Parti républicain, préfèrent sacrifier certaines valeurs républicaines plutôt que de renier leurs candidats.

Enfin, une autre dimension à considérer est la perception d’un grand nombre de militants républicains qui considèrent que l’élection de Trump a été volée, certains considérant d’ailleurs qu’il s’agit du principal argument venant à son soutien.  Ses partisans estiment également et qu’il font face à un système politique corrompu à Washington, au-delà des condamnations individuelles, relayant l'idée qu'une élite restreinte a monopolisé le pouvoir et qu’elle exclut ainsi un grand nombre de citoyens américains.

La combinaison de ces quatre éléments explique pourquoi Donald Trump n’aborde pas la dimension juridique des accusations portées à son encontre, privilégiant une ligne politique tandis que les procès en cours relèvent principalement d'aspects juridiques.

 

Comment percevez-vous l'impact de ces affaires sur sa popularité auprès de sa base électorale ?

 

Plusieurs raisons contribuent à renforcer la popularité de Donald Trump, le plaçant aisément en tête devant le gouverneur de Floride, Ron DeSantis (selon un récent sondage non seulement Trump est en tête et continue de grimper, DeSantis s’effondre, Pence l’ancien vice-président de Trump est inexistant tant que l’homme d’affaire Ramaswany fait parler de lui) .

D'une part, il s'agit d'une réaction des électeurs républicains face à ce qu'ils perçoivent comme une « chasse aux sorcières » et un acharnement injuste. Dans ce contexte, les partisans de Trump se rallient à sa défense contre les accusations et les persécutions qu'il subirait. 

D'autre part, cette adhésion massive est également alimentée par la diversité sociologique des États-Unis. De nombreux États (Texas, Arizona, Utha, etc) diffèrent  des mégalopoles côtières, comme New York, Los Angeles, Boston ou encore Washington. Cette Amérique – la première -  estime qu'elle est exclue des prises de décision et considère qu’elle ne se retrouve pas dans le projet porté par les Démocrates ; de fait elle se rallie derrière Trump. Les accusations portées contre le 45e président des Etats-Unis par divers procureurs ne semblent pas avoir pour l’instant d’effet politique comme on aurait pu le redouter. Au contraire, cette bataille judiciaire (91 charges au titre de 4 mises en examen) restreint les options de ses rivaux. S’ils se distancent de Trump et s’opposent directement à lui, ils risquent de perdre l’électorat qui lui est fidèle. Cette difficulté est particulièrement évidente lors des primaires où les candidats doivent se démarquer pour réussir. Pourtant, une confrontation ouverte avec Trump pourrait entraîner des conséquences négatives pour eux, à la fois aux primaires et aux élections générales de novembre 2024.

Finalement, les problèmes judiciaires et la couverture médiatique intensive occupent le devant de la scène, réduisant l'espace pour d'autres enjeux. Lorsque l'actualité est dominée par une figure aussi polarisante que Trump, il est difficile pour d'autres sujets de trouver leur place. Cette dynamique n'est pas propre aux États-Unis mais reflète une tendance générale dans les campagnes électorales où les personnalités dominantes monopolisent souvent l'attention médiatique, reléguant les sujets de fond en arrière-plan.

 

Donald Trump a été condamné en mai pour une agression sexuelle datant de 1996 et fait face à d'autres inculpations, mais ses soutiens semblent renforcer leur cohésion face à ces événements. Comment expliquez-vous cette solidarité envers lui malgré les accusations ?

 

La compréhension de ce phénomène se doit d'adopter une perspective ouverte, car il n'existe pas de vérité absolue en la matière. Deux approches sont souvent évoquées. Tout d'abord, il faut considérer les discussions que j'ai avec de nombreux Républicains, adhérents ou simplement sympathisants de ce mouvement. Ici, il est important de se rappeler que leur argument repose sur une vision altérée de la justice. Pour eux, la décision judiciaire n'est pas exempte de biais. Alors que vous, en tant que citoyen, accordez une confiance indiscutable à la justice et au système institutionnel en place, leur point de vue diffère. Ils insistent sur le fait que la décision est entachée par un système corrompu et manipulé. Cette perception façonne leur réaction, même face à une condamnation claire.

Ensuite, même ceux qui reconnaissent le fonctionnement du système judiciaire et son importance le placent en balance avec des enjeux plus vastes. Pour eux, les risques inhérents à une éventuelle perte de valeurs et à la mainmise de ce qu'ils perçoivent comme des éléments nuisibles à l'Amérique, tels que les « communistes » ou des forces étrangères, l'emportent sur le cas individuel d'une agression sexuelle. Dans leur hiérarchie des risques,  l’agression leur semble minime par rapport à la menace d'un effondrement de l'Amérique. Cette approche justifie leur soutien continu car pour eux, le maintien de leur vision globale prime sur les facteurs considérés comme secondaires

En résumé, cette persistance du soutien envers Donald Trump repose sur une combinaison subtile de deux éléments. D'une part, l'idée que les décisions prises par des systèmes qu'ils jugent corrompus les amènent à rejeter des verdicts tels que les condamnations à son encontre. D'autre part, la conviction que la poursuite de leur objectif global, symbolisé par le slogan « Make America Great Again », est d'une importance si cruciale que tout le reste devient secondaire. Cette convergence d'opinions, où les condamnations sont perçues comme issues de systèmes compromis et où les enjeux globaux priment sur les préoccupations individuelles, contribue à renforcer le soutien envers Donald Trump malgré les critiques et les controverses.

 

Le candidat républicain continue de rejeter en bloc toutes les accusations à son encontre, qualifiant cela de « chasse aux sorcières ». En quoi cela contribue-t-il à façonner le récit autour de sa personne et à maintenir sa popularité ?

 

Selon Trump, on lui en veut parce qu'il se bat pour sauver l'Amérique et qu’il défend les intérêts des Américains. Il prétend également exprimer les pensées non dites et incarner la défense des intérêts nationaux. En d'autres termes, sa personnalité est centrée sur un récit qu'il façonne lui-même, qui le place comme le protagoniste de l'histoire et il remet en question toute information contradictoire en la qualifiant de mensonge. Un exemple de cette tendance bien ancienne lorsque Trump a fait face à plusieurs faillites dans ses projets immobiliers à Atlantic City. Il parvint a présenter l’accord qu’il avait conclu avec des repreneurs sous un jour extrêmement favorable, occultant les conséquences néfastes pour de nombreux employés et sous-traitants. Cette tendance à créer sa propre narration s'étend aussi à d'autres domaines. Il se positionne en premier plan, anticipant et contrecarrant les récits opposés en les dénonçant comme des mensonges. Cette approche lui permet de capter l'attention médiatique et de placer son image au cœur des débats, parfois au détriment des véritables enjeux sous-jacents.

En dépit des critiques et des controverses, il joue habilement de cette stratégie de communication. En tant qu'ancien animateur de télévision et homme de communication, Trump comprend l'importance de sa propre image et il sait comment diriger l'attention autour de sa personne. Cette démarche a été particulièrement manifeste dans ses interactions avec Chris Christie, un ancien allié politique. Trump a commenté l'apparence de Christie de manière subtile mais révélatrice, utilisant l'humour populaire pour véhiculer un message discriminant à l’égard de l’apparence physique d’une personne.

 

Quel impact pourrait avoir l'éventuelle inculpation de Donald Trump dans le cadre de l'enquête fédérale sur ses tentatives de renverser le résultat de l'élection de 2020 et dans l'enquête en Géorgie sur ses pressions exercées lors de la présidentielle ?

 

La candidature de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, eu égard à la nature des charges (avec un risque de condamnation à des sanctions pénales) et l’impact sur le bon fonctionnement des institutions du pays est une source naturelle de préoccupation. 

D'un point de vue juridique, même si l’ancien président était inculpé ou condamné, cela ne l'empêcherait pas de se présenter aux élections de 2024 ; rappelons que ce fut le cas d’Eugène Debs qui a été candidat à la présidence des Etats-Unis au début du 20ème siècle en dépit d’une condamnation à une peine d’emprisonnement..

De plus, l'inquiétude grandit pour le bon fonctionnement des institutions, la justice étant un pilier du système. En effet Les délais pour la préparation des dossiers et le processus judiciaire complexe suggèrent qu'il est peu probable que les procès se concluent d'ici l'été prochain, malgré la nature des accusations. Ce scénario pourrait se prolonger au-delà des élections présidentielles.

Le véritable défi pour l’Amérique se situe dans la concurrence qui va inévitablement s’établir  entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir des urnes. Si Trump était candidat et que les électeurs le choisissaient malgré des procédures judiciaires en cours ou des condamnations, cela soulèverait une question fondamentale : quel pouvoir doit prévaloir, celui des urnes ou celui de la justice ? C'est une question complexe qui pose un défi institutionnel. La démocratie repose sur le principe du respect de la volonté du peuple exprimée à travers les élections, mais en même temps le système judiciaire doit garantir le respect de la loi et la justice.

Ma grande crainte aujourd’hui est la suivante : comment réagirait cette Amérique déjà profondément divisée face à la condamnation et éventuellement à une peine de prison  de Donald Trump ? L'idée que l'ancien président, en tant que candidat, puisse être incarcéré soulève des inquiétudes quant aux conséquences aussi bien institutionnelles que politiques. Bien que des exemples similaires existent dans d'autres grandes démocraties, la situation aux États-Unis est unique en raison de l'importance du pays et de ses institutions.