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Aurélien Buffler (ONU) : “Tous les civils doivent avoir accès à l'aide humanitaire”

Kosovo, Balkans, RDC, Yémen, Tchad… Depuis 2004, Aurélien Buffler sillonne le monde pour le compte de l’ONU afin de coordonner l’aide humanitaire auprès des populations touchées par les crises les plus difficiles. Aujourd’hui établi à New York, il revient sur les leçons tirées de son parcours au sein de l’OCHA : “Le moment le plus fort à mes yeux reste mon passage en République Démocratique du Congo. Je me rappelle avoir été saisi par l'impact concret et tangible de notre action.”

Aurélien Buffler ocha onuAurélien Buffler ocha onu
© Aurélien Buffler
Écrit par Yoni Binh
Publié le 11 juin 2024, mis à jour le 11 juin 2024

 

Vous êtes aujourd’hui chef de section au sein du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies (OCHA). Quel est le parcours qui vous a mené jusqu’à ce poste ?

Aurélien Buffler : J'ai assez rapidement su que je voulais travailler à l'ONU. J'ai étudié le droit en France et en Angleterre. À la fin de mon cursus, j'ai été recruté par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour aller au Kosovo. Cette dernière avait l'avantage d'être très liée à l'ONU et correspondait à ce que j'avais étudié en droit. Puis de fil en aiguille, et après avoir brièvement travaillé pour le ministère des Affaires étrangères, j'ai rejoint l'ONU à New York. 

On dit souvent qu’être diplomate est un métier de passion. La diplomatie, les relations internationales et l’humanitaire ont-ils été une évidence pour vous ?

En m’engageant dans cette voie professionnelle, j'ai souhaité contribuer à une idée géniale et très noble qui est celle des Nations Unies. Étant donnée ma formation en droits de l'Homme et en droit international, l'idée de contribuer de manière concrète à essayer de rendre le monde meilleur m'a vraiment attiré.

 

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Quelles sont vos missions et responsabilités en tant que chef de section à l’OCHA ?

L'OCHA est le Bureau de la coordination des affaires humanitaires. En cas de crise humanitaire, l'OCHA coordonne les efforts de la communauté internationale en matière d'aide humanitaire. Toutes les ONG et les agences onusiennes qui viennent apporter de l'aide humanitaire - à Gaza, en Syrie, au Yémen… - sont coordonnées par l'OCHA afin d'apporter la réponse la plus efficace possible. L'OCHA exerce aussi un rôle de politique humanitaire, de droit international, de coordination au niveau global. Mes activités sont plus précisément centrées autour de ces dernières missions. Aujourd’hui, je passe la majorité de mon temps à New York, où je réalise un travail davantage normatif et juridique.

 

Aujourd'hui, nous sommes présents dans une quarantaine de pays, principalement dans le cadre de conflits armés. 

L'OCHA a beaucoup de bureaux sur le terrain, à l'instar des agences onusiennes comme le HCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), le PAM (Programme alimentaire mondial) et l'UNICEF. Nous nous efforçons toujours de discuter avec ces agences afin d'apporter une réponse coordonnée et percutante dans des contextes qui sont très difficiles. Aujourd'hui, nous sommes présents dans une quarantaine de pays, principalement dans le cadre de conflits armés. Nous agissons dans toutes les crises médiatisées aujourd'hui : Gaza, Syrie, Yémen, Soudan, Ukraine... mais aussi pour des crises dont on parle moins, mais qui sont tout aussi importantes.

 

Le moment le plus fort à mes yeux reste mon passage en République Démocratique du Congo.


Quels ont été - selon vous - les plus grands accomplissements de l’OCHA depuis que vous y êtes arrivé ?

Il y a eu des moments où je me suis senti fier de l'action que nous menions, et d'autres où je me suis parfois senti inefficace. Plusieurs accomplissements purement diplomatiques m'ont marqué. Il y a trois ans, nous avons par exemple réussi à convaincre plusieurs États de voter des résolutions au Conseil de sécurité. Ces résolutions, qui pouvaient paraître très bureaucratiques, ont pourtant eu un impact conséquent sur nos opérations sur le terrain parce qu'elles nous ont permis de ne pas tomber sous le coup des sanctions internationales en tant qu'humanitaires. Cela veut dire que notre personnel n'avait plus à s'inquiéter d'être poursuivi dans certains pays, mais aussi que les banques n'étaient plus inquiètes de nous soutenir. Et cela est essentiel puisque nous avions alors la possibilité d'opérer dans de nouvelles zones en crise. 

Mais le moment le plus fort à mes yeux reste mon passage en République Démocratique du Congo. Ce pays abrite aujourd'hui l'une des plus grosses crises humanitaires au monde, mais ce n'est pas celle dont on parle dans les journaux. Lors de mon déplacement, la situation était extrêmement difficile : environ 10.000 personnes étaient regroupées dans un champ sans aucune provision, et avec une épidémie de choléra qui commençait à s'installer dans la souffrance la plus totale. Nous avons alors pu évaluer ce qu'il se passait, puis nous avons mis une réponse humanitaire en place. De retour sur ce champ un mois plus tard, j'ai constaté l'efficacité des aides envoyées - soutenues notamment par l'UNICEF - en voyant les sourires des enfants. La relation que nous avions instaurée avec les autorités et les communautés locales nous a permis de nous faire connaître dans ces zones, ce qui a institué une compréhension de la raison de notre présence et de ce que nous essayons de mettre en place. Je me rappelle avoir été saisi par l'impact concret et tangible de notre action.

 

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Forces militaires de la MONUSCO déployées en RDC, 2017 © MONUSCO

 

À quel point votre profession est-elle tournée vers le terrain ? 

J'essaie de me rendre sur le terrain le plus fréquemment possible. De septembre à décembre 2023, j'étais par exemple en Libye pour coordonner l'action humanitaire déployée après les inondations terribles qui ont touché la zone de Derna. La possibilité d'aller sur le terrain est l'un des éléments qui m'a le plus motivé à rejoindre les Nations Unies. J'ai le sentiment qu'il est important de voir ce que l'on fait de manière concrète, en se rendant sur les lieux. Puis, il y a un côté personnel à ne pas négliger ! Choisir cette vie, c'est avoir la volonté de voir d'autres endroits, de rencontrer d'autres personnes.

 

L'ONU a perdu près de 200 de ses personnels au cours des sept derniers mois à Gaza. 


Les actions humanitaires qui ont lieu en Ukraine et à Gaza retiennent aujourd’hui l’attention de la communauté internationale. Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez sur ces territoires, et quelles sont les préconisations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires en la matière ?

Dans des contextes comme Gaza, l'Ukraine, ou le Soudan, nous faisons face à des problèmes de sécurité très importants pour nos équipes. Dans ces zones où les hostilités sont encore en cours, il peut aussi arriver que nos équipes soient volontairement visées par les parties au conflit qui n'ont pas intérêt à ce que l'aide humanitaire passe. 

Notre seconde difficulté importante est le manque d'accès humanitaire, lorsque des parties au conflit - qu'elles soient étatiques, ou bien des groupes armés - ne mettent pas les moyens en place pour que l'aide humanitaire arrive jusqu'au jusqu'aux personnes qui en ont besoin. Face à cela, nous essayons de nous protéger comme nous le pouvons. Malgré tout, l'ONU a perdu près de 200 de ses personnels au cours des sept derniers mois à Gaza. 

Il y a aussi un travail de négociation avec les différentes parties pour l’acheminement de l'aide humanitaire. Ces négociations se font à un niveau très opérationnel, avec les militaires ou les groupes armés qui sont sur le terrain, mais aussi à l'aide de leviers diplomatiques, notamment au Conseil de sécurité, pour avoir un soutien politique de ces parties au conflit. 

 

La France passe des messages assez clairs sur le besoin de protéger les acteurs humanitaires, de respecter le droit international humanitaire et de faciliter le passage de l'aide humanitaire.

Quelle est la position actuelle de la mission permanente de la France sur les crises humanitaires actuelles, et plus particulièrement sur l’acheminement d’aide humanitaire encadrée par l’OCHA ?

Je décrirais la position française sur ces dossiers comme étant en ligne avec ses positions traditionnelles en matière d'aide humanitaire. J'ai le sentiment que la France passe des messages assez clairs sur le besoin de protéger les acteurs humanitaires, de respecter le droit international humanitaire et de faciliter le passage de l'aide humanitaire. La France a un rôle particulier à l'ONU parce qu'elle est un des membres permanents du Conseil de sécurité. Donc lorsque la France parle, elle est écoutée. 

Que diriez-vous de l'influence de la France aujourd'hui aux Nations-Unies ?

Il est indéniable que la France essaye. De vrais efforts sont produits sur certaines problématiques, dont le droit international humanitaire. La France organise tous les deux ans une conférence humanitaire internationale, par exemple. La dernière était présidée par le président Macron au mois d'avril 2024. La France essaye de prendre l'initiative et de s’affirmer. Ces efforts se heurtent cependant à la réalité de certains équilibres géostratégiques. 

La France est là pour défendre ses intérêts nationaux, comme le font tous les États-membres. Dans cette idée, la défense de la francophonie est un autre pilier de la diplomatie française aux Nations-Unies. 

 

La France contribue beaucoup au budget de la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO), qui est l’un des principaux bailleurs humanitaires mondiaux.

La France est-elle une contributrice importante au financement de l'action de l'OCHA ? 

Le volet humanitaire de l’ONU est financé hors du budget régulier, et principalement basé sur des contributions volontaires. Concrètement, l'OCHA et d’autres agences onusiennes frappent à la porte des États pour solliciter leur aide pour le bien d'opérations humanitaires en Syrie, en Ukraine, à Gaza...Pendant longtemps, la France avait une stratégie qui n'était pas totalement en ligne avec cette pratique, et favorisait les aides bilatérales. Mais ces dernières années, la France a changé de doctrine : elle contribue par exemple beaucoup au budget de la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO), qui est l’un des principaux bailleurs humanitaires mondiaux. La France tente aussi d'augmenter ses contributions à l'humanitaire, notamment à travers l'OCHA. 

En vingt ans de carrière, avez-vous observé de grandes mutations et de nouveaux défis dans votre métier de fonctionnaire de l'ONU ? 

Énormément de choses ont changé. L'évolution des moyens de communication a complètement changé notre métier. L'information circule plus vite, et en plus grande quantité. La moindre information est désormais rendue publique quasi-immédiatement, et nous devons gérer cette nouvelle donne, ce qui n'est pas toujours évident. Lorsqu’il y a une pression publique sur certaines thématiques, cela devient plus difficile à gérer que de discuter calmement avec des interlocuteurs. 

 

Nous défendons l'idée selon laquelle tous les civils doivent avoir accès à l'aide humanitaire. [...] Nous sommes simplement mobilisés pour servir une population qui est victime de la guerre.
 

Notre époque est aussi caractérisée par un risque croissant de politisation de l'aide humanitaire. L'ONU met en place une une aide humanitaire impartiale et neutre, c'est-à-dire une aide humanitaire qui s'adresse aux plus démunis, sans considération politique, religieuse, ou culturelle. Il y a toujours eu un risque de politisation, mais lorsqu'un nombre croissant d'acteurs non humanitaires avec un agenda politique s'intéressent à l'humanitaire, nos principes sont mis sous pression. Gaza et la Palestine sont l’une des situations humanitaires les plus politisées au monde. Dans ce cadre, il y a des tensions sur la façon dont l'aide humanitaire doit être acheminée, et à qui elle doit l’être. Malgré tout, nous défendons l'idée selon laquelle tous les civils doivent avoir accès à l'aide humanitaire. Nous ne sommes pas là pour servir les groupes armés palestiniens ou l'armée israélienne. Nous sommes simplement mobilisés pour servir une population qui est victime de la guerre.

Plusieurs français ont mené des carrières diplomatiques entre l’ONU et la diplomatie française (Bernard Kouchner, Philippe Douste-Blazy, Hervé Ladsous…). Vous est-il déjà venu à l’esprit de vous engager auprès de la diplomatie française ?

J'ai un immense respect pour le travail des diplomates, et notamment des diplomates français. Mais pour ma part, j'aime profondément l'idée des Nations-Unies. J'aime défendre ses objectifs, notamment parce que ces derniers vont au-delà des intérêts nationaux. Donc pour l'instant, je n'ai pas l'appétit de rejoindre la diplomatie française. D'ailleurs, je ne sais pas s'ils voudraient de moi (rires) !

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