À New York, le saumon fumé a perdu son ambassadeur. Saul Zabar, figure tutélaire de la célèbre épicerie Zabar’s, s’est éteint à 97 ans des suites d’une hémorragie cérébrale. Avec lui disparaît bien plus qu’un commerçant : un gardien passionné de la gastronomie ashkénaze, et une figure vivante de la culture juive new-yorkaise.


Zabar's, une histoire de famille, un destin inattendu
Zabar’s, c’est d’abord une affaire de famille. Fondée en 1934 par ses parents, Louis et Lillian Zabar, l’épicerie s’installe à l’angle de Broadway et de la 80e rue ouest. Saul, né à Brooklyn en 1928, se destine à la médecine, mais la mort de son père, en 1950, change le cours des choses. Il abandonne ses études et reprend les rênes du magasin avec son frère Stanley.
Ensemble, ils transforment la modeste boutique en une institution. Spécialités ashkénazes : saumon fumé, bagels, rugelach, babkas, et café torréfié maison font la renommée de la maison. Zabar’s devient un lieu où l’on vient autant pour goûter et acheter, que parler et se retrouver.

Le flair de Saul, entre exigence et tradition
Saul Zabar veille sur sa boutique comme sur un trésor. Son bureau ? L’ancien coin café. Sa méthode ? Une présence quotidienne. Il s’assure de chaque détail. En 2021, dans une vidéo devenue virale, on le voit encore scruter la chair d’un filet cru. « J’espère que ce qui est, pour nous, le bon produit correspond au goût de nos clients », dit-il calmement.
Sous sa houlette, Zabar’s écoule près de 4 000 livres de poisson fumé chaque semaine, et 400 000 livres de café par an. À l’approche de Pessah ou de Rosh Hashanah, la file s’étire jusque sur Broadway.
Un comptoir devenu scène new-yorkaise
Zabar’s, c’est plus qu’un commerce : une scène à part entière de la vie new-yorkaise. Le maire Eric Adams ne s’y trompe pas en rendant hommage à « une vraie légende », qui a « apporté à cette ville le saumon fumé, l’amour, et l’endroit parfait pour se quereller au sujet de la babka ».
Le magasin s’invite dans un clip de Vampire Weekend, collabore avec Adidas, et reste fidèle à ses recettes “de Bubbe”, ces plats transmis par les grands-mères juives d’Europe de l’Est, mémoire affective et gustative d’une diaspora attachée à ses traditions.
Même la politique s’en mêle : en 2018, Cynthia Nixon scandalise les puristes avec un bagel à la cannelle garni de saumon. En 2019, Jerry Nadler brandit un sac Zabar’s lors de l’audition d’impeachment de Donald Trump.

Zabar's, un héritage vivant
Marié depuis 1968 à Carole Ann Kishner, professeure d’hébreu, Saul Zabar laisse trois enfants, Ann, Aaron et Rachel, et quatre petits-enfants. Plusieurs travaillent encore dans la boutique. « Le décès de Saul marque la fin d’une époque, mais son héritage vit dans chaque bagel, chaque tranche de poisson fumé, chaque tasse de café », écrit Zabar’s sur Instagram.
À la station de métro de la 79e rue, une affiche à son effigie rappelle désormais aux passants ce qu’il a apporté à la ville.
Un nom, une mémoire collective
Persévérance, fidélité aux racines, sens du détail et amour de la ville : Saul Zabar incarne tout cela. À travers son épicerie, c’est un pan entier de la culture new-yorkaise - juive, culinaire, populaire - qui continue de s’écrire. L’esprit de Saul reste. Et New York, elle, n’oublie jamais les siens.
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