Au Québec, les Autochtones sont surreprésentés parmi les sans-abris. Ils représentent presque 15 % de tous les itinérants à Montréal. Ces minorités sont également stigmatisées à tous les échelons de la société. Longtemps privés de leurs droits par les premiers Canadiens français, les nouvelles générations souffrent encore des maux du passé : décalage culturel, traumatismes, addictions, précarité.
La situation empire énormément à Montréal pour les personnes qui se retrouvent à la rue.
Les feuilles orangées de l’automne s’abattent sur les tentes noirâtres des sans-abris de Montréal. Le pas lourd, ils sont nombreux à appréhender la rage de l’hiver canadien. Au Québec, les températures peuvent descendre jusqu’à -30 °C. Marry, itinérante [terme québécois qui désigne un sans-abri NDLR] d’une quarantaine d'années issue des communautés autochtones, pleure sur un bord de trottoir. Sa voix rauque est avalée par le brouhaha constant du quartier des affaires. Hier, sa meilleure amie est morte d’une overdose sur le pavé. « Ces deux derniers mois, on a perdu huit personnes issues des communautés autochtones. Rien qu’à Montréal », déplore Jonathan Lebire, directeur général de l’organisme Comm-Un, association d’aide aux sans-abri issus de ces minorités à Montréal. Habillé d’un manteau gris oversize, l’homme au visage froid raconte qu’il a lui-même passé une dizaine d’années dans la rue. « On se comprend avec les personnes du centre », rajoute-t-il.
Il suffit d’arpenter les rues du centre-ville pour remarquer la surreprésentation des populations autochtones parmi les sans-domicile fixe. Publiés en septembre, les derniers chiffres du « dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible » au Québec parlent d’eux-mêmes : « Les Autochtones comptaient pour 13 % des sans-abri, soit cinq fois plus que leur proportion dans l’ensemble de la population ». « La situation empire énormément à Montréal pour les personnes qui se retrouvent à la rue », constate le directeur de Comm-Un.
À l’origine de cette marginalisation communautaire au Québec : le traumatisme du colonialisme des Canadiens français et la longue privation des droits des premiers peuples. À l’aube du XVIIe siècle et aux dépens des populations, les premiers colons s'approprient des territoires autochtones.
« Nos livres d’histoire commencent en 1492 avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. On ne parle pas de l’ethnocide qui a eu lieu ici, ni des pensionnats autochtones. Même si aujourd’hui ça tend à changer un peu », explique Michel Jean, écrivain et journaliste lui-même d’origine innue Mashteuiatsh, l’une des 41 communautés dispersées sur le territoire québécois. L’homme à la carrure imposante touche par sa sensibilité. À travers ses romans, il dépeint la « triste » réalité autochtone, bien qu’il ne se « considère pas comme un militant ». Pour son livre Kukum, retraçant l’histoire de sa grand-mère autochtone, l’homme a reçu le Prix littéraire France-Québec 2020.
Marginalisation systèmique
« Les Canadiens sont persuadés qu’ils ont fait mieux que les Américains en matière de colonialisme », affirme Michel Jean. « Le gouvernement québécois a tout fait pour assimiler les natifs. On ne parle pas de génocide, mais d’ethnocide », explique Jacques Leroux, historien spécialiste des cultures autochtones. À travers la « Loi sur les Indiens » de 1876, le gouvernement québécois a entravé les pratiques ancestrales comme la chasse. La législation de l’époque permettait aussi aux colons d’accaparer les terres autochtones.
Ainsi, les Canadiens français entendaient contraindre les populations autochtones à se tourner vers le monde du travail canadien. « Ils voulaient faire d’eux de parfaits ouvriers », ajoute le sociologue spécialiste des peuples autochtones, Denys Delage.
Mais l’assimilation forcée fonctionne peu. Les premiers peuples souffrent grandement de la politique du gouvernement provincial, sans pour autant intégrer totalement la société. Dès la fin du XIXe siècle, les natifs vont se voir priver de leurs enfants par la politique d’assimilation. Les jeunes générations subiront un endoctrinement, notamment dans les tristement célèbres pensionnats pour Autochtones au Canada.
Une grande partie de l’histoire autochtone n’est pas enseignée lors du cursus scolaire québécois. « On ne voulait pas mettre ça dans notre histoire, il fallait accepter quelque chose qu’on ne pouvait pas accepter. L’histoire du Québec est beaucoup trop redorée. On parle un tout petit peu du traumatisme et après on va glorifier les bienfaits qu’ont apportés les Européens ici. C’est comme pour l’histoire de l’Afrique, on va dire qu’on a construit des routes, des écoles en faisant abstraction du malheur », estime Jonathan Lebire.
Selon Michel Jean, aux yeux de la société, la mort d’un autochtone et celle d’un Blanc n’ont pas la même valeur. « Il y a plus de deux ans, 4 chasseurs attikamek sont tombés à l’eau et se sont noyés. La police a été déployée une journée et personne n’en a parlé dans les médias. Deux ans plus tard, un riche homme et son fils se sont crashés en hélicoptère. La police et l’armée ont été déployées pendant deux semaines et ça a fait la une de tous les journaux », raconte l'écrivain.