Malgré des avancées, la stigmatisation des Autochtones demeure profondément ancrée dans la société québécoise. Victimes de propos racistes et d'une marginalisation constante, ils subissent une discrimination accrue dans divers aspects de la vie quotidienne, notamment au sein des institutions publiques. Alors que les langues autochtones disparaissent lentement, la situation des sans-abris issus des Premières Nations, des Métis et des Inuits illustre une crise humanitaire oubliée.
On vit une véritable crise humanitaire au Québec.
La banalisation des propos racistes envers les Autochtones reste une réalité au Québec. Selon l’enquête sociale générale (ESG) sur la sécurité des Canadiens réalisée par le gouvernement en 2019, « 44 % des Premières Nations, 24 % des Métis et 29 % des Inuits avaient été victimes de discrimination au cours des cinq années ayant précédé l’enquête […] Les expériences de discrimination étaient plus fréquentes chez les Autochtones en 2019 (33 %) qu’elles ne l’étaient en 2014 (23 %) ». « Il y a encore une dizaine d'années, quand j’allais boire un verre avec des amis, on me disait ‘fais attention à la boisson ! Ça ne tient pas l’alcool les Indiens' », se souvient Michel Jean.
L’homme a été obligé de bloquer « plus de 300 comptes Twitter pour insultes racistes » alors qu’il publiait des tweets révélant certaines réalités communautaires. « En ce moment, je présente le JT de midi à la station TVA Québec. Au lieu de commencer le journal en disant ‘Bonjour tout le monde’, je salue le public en disant ‘Kuei [Bonjour en Innue NDLR] tout le monde’. Cela m’a valu des retours négatifs de la part de certaines personnes extrémistes. Ici, les gens sont très attachés à la langue française. Tout autour du territoire provincial, les gens parlent anglais, on est le dernier village gaulois », conclut Michel Jean.
Au Québec, le gouvernement préserve la langue française au sein du territoire. Dans le métro, on retrouve des slogans comme « Au travail, je parle français, c’est mieux ». « Personne ne se soucie de la perdition des langues autochtones. Dans l’esprit collectif, le français face à l’anglais, c’est un peu David contre Goliath. En réalité, le véritable David, ce sont les langues autochtones », réplique l’écrivain. Une part de la population identitaire nationaliste québécoise a du mal à reconnaître les influences culturelles autochtones. « Ils les sentent en compétition avec leur propre inspiration nationale », conclut-il. Même s'il existe une écriture innue, l'Histoire autochtone se transmet surtout oralement, ce qui fragilise la préservation de la mémoire communautaire.
Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle le ‘blood club’ et les ‘blood soul’.
Marie, bénévole autochtone de l’organisme Comm-Un, va plus loin. Elle témoigne du racisme envers les minorités qui sévit au sein des institutions publiques. « La police est raciste envers les Premiers Peuples. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle le ‘blood club’ [club du sang NDLR], et les ‘blood soul’ [esprit du sang NDLR]. On est systématiquement stigmatisé à cause de notre couleur de peau. La vie est dangereuse dans la rue quand tu es itinérant, particulièrement en tant que personne racisée ». Toujours selon l’étude de l’ESG, 21 % des Autochtones interrogés affirment qu’un incident discriminatoire s’est « produit dans leurs rapports avec la police ».
On vit une véritable crise humanitaire
Dans l’espoir d’avoir une vie meilleure, beaucoup d’Inuit du Nunavik [région située totalement au nord du territoire québécois NDLR] ont quitté leurs terres pour rejoindre Montréal. Leur région d'origine, très peu boisée et composée majoritairement de roches et de glace, est difficile à ravitailler. En cause, son éloignement avec les centres urbains québécois. « Si tu veux t’acheter une canette de Pepsi, tu dois compter 15 dollars canadiens [plus de 10 euros NDLR]. La vie est trop chère là-bas, y’a très peu de logements. C’est pour ça que j’ai quitté ce territoire », explique David [son nom a été modifié par souci d’anonymat], ancien habitant de la région qui a rejoint la capitale économique provinciale il y a 20 ans.
L’odeur de sa tisane à la cannelle se mêle avec celle du mégot froid et de la pierre taillée. En arrivant à Montréal, l’homme d’une quarantaine d’années a perpétué l’art de ses ancêtres en continuant de sculpter et vendre ses statues de pierre. Son activité ne lui permettant pas d’absorber ses factures, l’homme s’est rapidement retrouvé sans logement.
« Les réflexes de protection restent souvent les mêmes : alcool, drogue. Il y a des traumatismes avec lesquels tu ne peux pas vivre. Après ça, ils vont être stigmatisés », remarque Jonathan Lebire. Comme dans les rues du monde entier, l’alcool, la drogue et la violence sont le quotidien d’une majorité des sans-abris. Amassés aux abords des rues, le regard indifférent des passants alimente un peu plus la distance entre eux et la société.
« On vit une véritable crise humanitaire au Québec. Après plusieurs années d’expériences dans la rue, j’ai vu beaucoup de morts. Toutes les semaines il y a des overdoses, des coups, du harcèlement sexuel », explique Pierre Parent, itinérant autochtone Cris et Franco-Ontarien de la région montréalaise.
Après avoir passé 10 ans en prison pour avoir commis divers crimes dans la rue, Pierre consacre désormais sa vie à accompagner les itinérants autochtones au sein du centre Comm-Un.
L’histoire de Pierre n’est pas isolée. Dans son roman Tiohtiá :Ke [Montréal], Michel Jean raconte le parcours d’Elie, ancien détenu Innue qui débarque à Montréal et vit les différentes réalités de l’itinérance. Le roman est inspiré de la véritable vie d’un homme qui a été exclu de sa communauté après avoir tué son père alcoolique dans les régions du Grand Nord. « La réalité dépasse bien souvent la fiction », remarque Michel Jean. En arrivant à Montréal, Elie se rapproche rapidement de communautés autochtones itinérantes. « On est une famille dysfonctionnelle, mais on reste une famille », affirme Pierre Parent.