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Autochtones du Québec : précarité en héritage - 3/3

En proie à une crise humanitaire, les Autochtones sans-abri de Montréal se retrouvent souvent isolés et peu pris en compte par des services sociaux inadaptés à leurs besoins spécifiques. Malgré quelques initiatives locales visant à leur redonner une voix, la marginalisation et la précarité continuent de régner. Alors que des efforts de réconciliation se déploient au niveau fédéral, le chemin vers une véritable inclusion reste semé d’embûches.

Jameson et Simiuni.Jameson et Simiuni.
Jameson et Simiuni. Parfois, contre une cigarette, un brin de monnaie, un sourire s’esquisse. © Amé Ly Photographe
Écrit par Guillaume Marchal
Publié le 10 novembre 2024, mis à jour le 11 novembre 2024

Il faut commencer par changer des petites choses pour faire de grandes choses.


 

Dans la rue, les personnes autochtones se regroupent quasiment toujours entre elles. À travers quelques mots échangés en Innue, teintés de légendes ancestrales, elles se sentent un peu plus près de leur culture natale. Mais ce communautarisme est aussi dû au manque d’adaptation des centres d’aide aux itinérants.

Cosimat Marchand, travailleuse sociale au sein de la mission Old Brewery, témoigne de cette distance entre certains services sociaux et les réalités du terrain. « Depuis deux ans que je travaille pour la mission, nous n’avons jamais eu de formation spécialisée sur les populations autochtones. Par exemple, la notion du temps pour eux n’est pas la même que pour nous. Notre société capitaliste nous impose de respecter un certain emploi du temps. Une personne autochtone saura qu'elle a quelque chose à faire, mais ne se mettra pas forcément une date, une heure et un endroit précis. Donc, leur fixer des rendez-vous est compliqué. C’est fou de se dire que le concept du temps, qui est un principe auquel nous ne pensons même pas en tant qu’occidentaux, est aussi différent pour eux. Je vous laisse imaginer le nombre d'autres concepts qui diffèrent avec notre mode de vie. » En conséquence, sur les six étages de son service, qui peuvent accueillir chacun 30 personnes, seuls deux ou trois autochtones occupent les chambres de la Old Brewery.

Selon Carolyne Grimard, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et spécialiste de l’extrême pauvreté, les services sont « peu adaptés aux réalités des autochtones ». D’après la chercheuse, ce décalage précarise encore un peu plus les autochtones. « C’est un fait, il y a moins de centres d’hébergement pour ces minorités. Ils se retrouvent plus facilement à la rue et sont coupés des organismes communautaires. La conséquence est que nous arrivons moins à les recenser et à cerner leurs besoins, notamment en matière de logement. »

D’après Carolyne Grimard, « à Montréal, tout le monde souffre de la crise du logement. Je vous laisse imaginer la situation pour les personnes aux revenus instables. » Elle explique qu’à Montréal, les logements vacants se font rares. « Le taux d’inoccupation est très bas. Il y a peu de logements sociaux abordables. De plus, les personnes autochtones ont souvent un rapport différent à la vision du logement ; elles ne souhaitent pas forcément habiter entre quatre murs en ville », conclut-elle.

Le PAQ [Projet autochtone du Québec] compte deux centres d’hébergement d’urgence à Montréal. « Ce n’est pas suffisant. Résultat : les premiers peuples se retrouvent plus facilement à la rue et sont beaucoup plus criminalisés », affirme Cosimat Marchand. Les chiffres du rapport de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) publié en 2021 corroborent cet avis. Les autochtones « représentaient 32 % des personnes incarcérées au fédéral, tandis que les femmes autochtones représentaient 50 % de l'ensemble des femmes détenues, même si elles ne comptent que pour 5 % de la population canadienne », soulignent les journalistes de Radio Canada. « La solution ne viendra pas des différents organismes et associations, mais des itinérants qui connaissent réellement les besoins du terrain », s’insurge Jonathan Lebire, Directeur Général de l'organisme Comm-Un.

 

Guérir du traumatisme

 

L’association Comm-Un a un fonctionnement bien différent de la majeure partie des organismes d’aide sociale. Au centre, les autochtones itinérants prennent des décisions. Sous l’égide de Jonathan Lebire, ils ont mis en place, début octobre 2023, des rondes de rue destinées à apporter un soutien psychologique et à répondre aux besoins de première nécessité des personnes marginalisées. « Ceux qui ont de l’argent et qui prennent des décisions, ce sont ceux qui sont au plus loin de la réalité. Il n’y a aucun échange entre le milieu des travailleurs de rue et le gouvernement provincial, aucun échange de renseignements importants qui amène des connaissances. Tu as beau injecter autant d’argent que tu veux pour créer des organismes, embaucher des intervenants, ça ne marchera jamais », déplore le directeur de Comm-Un. Ses équipes de rue parcourent les rues de Montréal tous les jours de la semaine. En contrepartie, Jonathan reverse un salaire aux itinérants qui prennent part à cette initiative.

L’organisme Exeko, association d’aide aux itinérants, propose un service d’accompagnement des plus démunis en privilégiant la culture. Plusieurs fois par semaine, l’organisme sillonnera les rues de Montréal en autocar pour distribuer du matériel artistique à toutes les communautés confondues : livres, lunettes de lecture, cahiers pour dessiner et écrire. « Parfois, il suffit de donner un moyen d’expression à ces gens pour qu’ils extériorisent de manière saine », explique Batone Neto, médiateur au sein d’Exeko. L’association a aussi un pôle spécialisé sur les autochtones. Elle organise des séjours dans les régions du Nord du Québec dans l’optique de valoriser la langue et la culture autochtone à travers des activités culturelles comme le théâtre.

 

Jonathan Lebire
Jonathan Lebire mène son équipe de rue qui s'apprête à partir sur le terrain. © Guillaume Marchal

 

Depuis 2008, le gouvernement fédéral canadien met en place une politique dite de « vérité et réconciliation du Canada ». Au Québec, un ministère des « relations avec les Premières Nations et les Inuit » est chargé de veiller au respect des mesures gouvernementales de réconciliation.

En mars 2023, un règlement historique a été approuvé pour réparer les torts subis par les membres des Premières Nations en lien avec les pensionnats indiens, dans le cadre du recours collectif de la bande de Gottfriedson. Ce recours vise à obtenir réparation pour les membres des Premières Nations touchés par les pensionnats indiens au Canada, mais plus spécifiquement pour les préjudices subis par les bandes (les communautés) elles-mêmes, au-delà des revendications individuelles.

Le gouvernement canadien a notamment alloué 2,8 milliards de dollars à la création de la Société des quatre piliers, une initiative visant à soutenir les efforts de guérison, de bien-être, d’éducation, de préservation du patrimoine, de revitalisation des langues et de commémoration​. Dans le budget 2024, le gouvernement propose d'investir 91 millions de dollars sur deux ans, à partir de 2024-2025, afin de renforcer le soutien aux communautés autochtones. Ces fonds, alloués à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, visent à documenter, localiser et commémorer les lieux de sépulture associés aux anciens pensionnats.

Entre 2015 et 2024, le financement consacré aux priorités autochtones a plus que doublé, passant d'environ 11,4 milliards de dollars en 2015 à plus de 32 milliards de dollars en 2024. Ces investissements visent plusieurs secteurs clés : la santé, l'éducation, les infrastructures, et la réconciliation. 

« Les choses progressent certes, mais on dit qu’il faudra sept générations avant qu’on soit guéri du traumatisme », nuance Michel Jean. Les yeux de Pierre Parent brillent d’espoir : « il faut commencer par changer des petites choses pour faire de grandes choses. Faire des sculptures au centre ne changera rien à mon alcoolisme, ni au fait que je serai peut-être sans-abri ce soir, mais on est ici ensemble et il y a quelque chose de culturel qui nous rassemble. »

 

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